Mondial 2022 : le boycott des villes françaises est-il une stratégie efficace ?

Sept grandes villes françaises ont annoncé qu’elles ne retransmettront pas les matchs de la Coupe du Monde de football, qui se tient du 20 novembre au 18 décembre 2022 au Qatar. Quelles sont les raisons de cette décision ? Est-ce que cette stratégie peut s’avérer efficace ? Entretien avec Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport.

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Travailleurs qatar
Des travailleurs marchent vers le Lusail Stadium, qui sera utilisé pour la Coupe du monde 2022 au Qatar (photo d'illustration datant de décembre 2019)
AP Photo/Hassan Ammar, File
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D’abord Lille, Strasbourg et Rodez. Ont suivi Marseille, Paris, Nancy, Bordeaux et Reims. Ces villes françaises ont fait le choix de refuser de promouvoir les matchs de football de la Coupe du Monde. Celle-ci se tiendra du 20 novembre au 18 décembre 2022 au Qatar. Les villes concernées invoquent des raisons humanitaires et environnementales pour justifier ces choix. 

Pourquoi ces villes ont-elles choisi de boycotter le Mondial ?

  • Le traitement des travailleurs immigrés et le nombre de décès dans le cadre de la construction des huit stades de la Coupe du Monde figurent parmi les principales raisons de ce boycott.
  • Benoît Payan, maire socialiste de Marseille dénonce une “catastrophe humaine et environnementale.
  • Pour la maire de Lille Martine Aubry, cette compétition est un “non-sens au regard des droits humains, de l’environnement et du sport.
  • Arnaud Robinet, maire de Reims, estime qu’"à l’heure où les pouvoirs publics demandent (...) de réduire (la) consommation d’énergies, de telles installations susciteraient une incompréhension légitime (...) pour l'un des événements les plus controversés de l'histoire du sport."
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Jean-Baptiste Guégan est spécialiste de la géopolitique du sport et auteur du livre Géopolitique du sport, une autre explication du monde, dont la deuxième édition est parue aux éditions Bréal en juin 2022. Il estime que la stratégie adoptée par ces villes n’est autre que de la récupération politique. Selon lui, la meilleure manière de faire pression sur le Qatar, pays organisateur de la compétition, serait de responsabiliser les acteurs du football. 

TV5MONDE : Qu’est-ce qui justifie la décision de ces villes de ne pas retransmettre les matchs du Mondial sur écran géant ? 

Jean-Baptiste Guégan : C’est de la récupération politique de base. J’aimerais dire que ça aura une vraie efficacité politique et que derrière, ça va changer le regard du Qatar mais honnêtement, je n’y crois pas. En ce moment en France, chaque sujet de football est politisé. Sur les trois dernières semaines, on en est au dixième sujet lié au foot récupéré par la gauche et les Verts. 

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La réalité, c’est comment faire d’un problème qui est complètement différent de la Coupe du Monde, un enjeu politicien pour flatter sa base électorale ? C’est très simple : quand il y a un problème sécuritaire, qui va coûter de l’argent dans un contexte budgétaire contraint, et qu’on y ajoute la crise de l’énergie avec l’explosion des coûts, on sait d’emblée qu’organiser une fan-zone, ça va être difficile. Par ailleurs, il risque d’y avoir peu de monde, car il va faire froid. 

Quelles villes ont choisi de ne pas diffuser les matchs sur écran géant ?
Quelles villes ont choisi de ne pas diffuser les matchs de la Coupe du Monde sur écran géant ?
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Ça permet aux uns et aux autres de faire oublier certaines affaires ou leur incapacité à se faire entendre. Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport

C’est beaucoup plus facile pour les mairies d’habiller ça en se disant vertueuses en ne mettant pas d’écran géant et en disant boycotter le Qatar. Est-ce que ça marche ? Je ne pense pas. Ça permet aux uns et aux autres de faire oublier certaines affaires ou leur incapacité à se faire entendre. 

TV5MONDE : Cette décision illustre-t-elle des contradictions de la part des mairies qui ont choisi de boycotter le Mondial ? 

Jean-Baptiste Guégan : C’est là où la position de Pierre Rabadan pour la mairie de Paris est intéressante. Il a dit qu’il n’y aura pas d'écrans géants, mais derrière on le fait parce qu’il y a tout un ensemble de problèmes complètement différents. Ça arrange Europe Écologie les Verts (EELV) de taper sur la Coupe du Monde alors que David Belliard parle du PSG. C’est bien de découvrir le truc dix ans plus tard, mais ça ne leur posait pas de problèmes d’être invités en loge au Parc des Princes. 

Pourquoi la mairie de Paris ne va pas diffuser les matchs sur écran géant ?

Pour nous il n'a pas été question d'installer des zones de diffusion des matches pour plusieurs raisons : la première c’est les conditions de l’organisation de cette Coupe du Monde, tant sur l’aspect environnemental que social, la seconde, c’est la temporalité, le fait que ça ait lieu au mois de décembre.Pierre Rabadan, adjoint à la mairie de Paris chargé du sport

Pour lui, "ce modèle de grands événements va à l'encontre de ce que [Paris] souhaite organiser".

Il me semble que la Fondation PSG a encore un contrat avec la mairie de Paris. Par ailleurs, je crois que la maire Anne Hidalgo a passé énormément de temps dans les loges, a fortiori pendant la campagne des élections municipales. Mais il faut aussi regarder plus loin. Ontologiquement, EELV a un problème avec le football professionnel. Ils sont contre le football professionnel, mais ils ont eu l’occasion de flatter leur base dans un contexte où le parti est divisé et leurs leaders sont en train de s’entretuer. 

Le gros problème de cette communication, c’est que ça sous-entend que les gens sont des moutons et qu’ils vont suivre aveuglément en reprenant le buzz.Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport

TV5MONDE : Cette stratégie de boycott va-t-elle desservir les villes concernées ? 

Jean-Baptiste Guégan : Le gros problème de cette communication, c’est que ça sous-entend que les gens sont des moutons et qu’ils vont suivre aveuglément en reprenant le buzz. Ça marchera sûrement. Mais en occurrence, je pense que les gens sont intelligents. Les supporters du PSG vivent ce dilemme depuis que le club a été racheté par le Qatar. Il y a eu le même dilemme quand Canal + a racheté l’équipe à une époque. Là, les Marseillais vivent la même chose en rêvant de se faire racheter par les Saoudiens. C’est intégré chez les supporters de football. 

La vraie question, c’est pas de savoir si on va regarder un match de foot dans la rue. C’est de savoir ce que les Français vont manger, si ils sont capables de payer leurs factures d’électricité. Objectivement, je doute de leur sincérité quant à la capacité à prendre en compte les conditions de travail des travailleurs. 

TV5MONDE : Les ONG proposent une stratégie différente : ne pas boycotter la compétition, en parler pour faire pression. Est-ce que c’est plus efficace ? 

Jean-Baptiste Guégan : Je pense que c’est la meilleure stratégie. Le meilleur moyen de faire changer un pays, en tout cas de l’obliger de faire face à ses problèmes et ses contradictions, c’est de discuter avec lui. Si on appelle au boycott, on empêche toute forme de relation. Et historiquement, dans le sport, aucun boycott n’a fonctionné. C’est un outil de communication interne. 

Dans le sport, c’est impossible car les autorités sportives diront qu’elles sont apolitiques, donc qu’elles iront à la compétition. Derrière, les gens veulent voir du foot, donc de toute façon, les joueurs y seront. C’est aussi leur métier. Une fois qu’on a dit ça, le boycott pose un souci, car dans les relations internationales, il y a le mot relation. En l’occurrence, si on boycotte, ça ne peut pas marcher. 

Le vrai souci, c’est la responsabilisation des autres acteurs.Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport

À l’inverse, si on responsabilise les acteurs, on oblige la FIFA a regarder le monde en face. Il faut lui rappeler que c’est elle qui a attribué la compétition, que ce n’est pas nouveau que le Qatar soit un pays autoritaire, que la question environnementale ne surgit pas de nulle part. Le problème finalement, c’est pas tant le Qatar, même s’il a des choses à régler. Le vrai souci, c’est la responsabilisation des autres acteurs. De son côté, Amnesty International va viser les entreprises, les partenaires et les écosystèmes. Ils préfèrent tenter un dialogue constructif, montrer la réalité et après laisser chacun prendre ses responsabilités en conscience, mais surtout à payer. 

Amnesty International assume de ne pas boycotter la compétition

  • Le 12 septembre 2022, l’ONG Amnesty International publie un documentaire de 13 minutes sur les travailleurs migrants du Qatar, oeuvrant pour la Coupe du Monde.
  • Dans ce documentaire, Amnesty International explique qu’elle “n’appelle pas au boycott de la Coupe du Monde.
  • Elle considère que c’est “l’occasion de montrer ces situations de droit humains.

Plus on fait pression sur ce pays, plus on fait la lumière sur ces violations des droits, plus le pays va réagir, et dans le bon sens, en adoptant des législations, en mettant en place plus de moyens pour qu’elles soient appliquées sur le terrain.Lola Schulm, chargée de plaidoyer à Amnesty International

Obliger le Qatar et les partenaires à payer,  alors que la FIFA va verser 6 milliards d’euros de bénéfices, ça a du sens politiquement. Amnesty a demandé un fond de 400 millions d’euros, qui correspond aux sommes budgétées pour le nombre de travailleurs morts et impayés. A minima, ils auront fait avancer la situation. Le vrai souci, c’est pas nous à Paris, c’est là-bas et c’est demain. 

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TV5MONDE : Est-ce le bon moment pour se mobiliser contre cette compétition ? 

Jean-Baptiste Guégan : Je pense que tous les moments sont bons pour parler du problème. Les travailleurs ne vont pas disparaître. Il ne faut pas oublier que le Qatar organise les Jeux Asiatiques d’été en 2030 par exemple. Il y aura aussi d’autres questions autour de ça, notamment les Jeux Olympiques d’été. 

Il reste du chemin à faire...

  • Ce 4 octobre, le Conseil olympique d'Asie annonce que l’Arabie saoudite va organiser les Jeux asiatiques d’hiver en 2029.
  • "Elle va se prendre un bashing monstrueux pour une raison très simple : tout le monde aura expérimenté les reproches par rapport au Qatar, donc ils vont se transposer à l’Arabie saoudite, un cran au-dessus, analyse Jean-Baptiste Guégan. Ce qu’on a toléré il y a dix ans, on ne le tolérera plus maintenant."

Une fois qu’on a dit ça, il faut préparer la suite. C’est toujours le bon moment et a fortiori, toute la communauté internationale a les yeux focalisés dessus. En plus de ça, les médias suivent. C’est la première fois qu’on parle d’une Coupe du Monde de cette manière-là, qu’il y a un événement sportif avec autant de sujets. Donc il faut continuer. Cette Coupe du Monde sera un tournant pour ça.