Moralisation financière : ces banques qui ne tiennent pas leurs promesses

Les banques peuvent-elles s'enrichir en misant sur le décès prématuré des citoyens ? Peuvent-elles miner les budgets des Etats en aidant à la fraude ? Depuis la crise des subprimes, elles avaient pourtant promis de moraliser leurs pratiques. Les Etats peuvent-ils les y forcer ? C'est ce que promettait de faire l'Union européenne réunie cette semaine à Bruxelles pour endiguer l'évasion fiscale.
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Moralisation financière : ces banques qui ne tiennent pas leurs promesses
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Moralisation financière : ces banques qui ne tiennent pas leurs promesses
Décès prématuré d'un assuré : une bonne nouvelle pour le spéculateur…
Le marché est colossal puisqu'il représente 35 milliards de dollars. Quel est-il ? Celui du rachat par des fonds spéculatifs des assurances-vies des particuliers américains. Certains des acteurs de ce marché morbide sont même accueillis par des banques françaises, BNP-Paribas et le Crédit Agricole. Le principe est simple, mais profondément malsain, puisqu'il réside sur la possibilité par les clients de ces grosses structures financières de verser avant l'heure une partie du montant de leur prime décès à des personnes âgées souvent malades et en manque d'argent pour payer leurs soins. Avec, comme retour sur investissement, une grosse plus-value si la personne décède avant l'échéance prévue : une sorte de "viager de la prime à l'assurance-vie" : la spéculation se situant sur l'échéance… de la mort de l'assuré. Le documentaire-enquête de Laurent Richard et Jean-Baptiste Renaud "Banquiers : ils avaient promis de changer", aborde ce commerce morbide (en encadré, voir à 32'00), aux acteurs plus cyniques que jamais.
Moralisation financière : ces banques qui ne tiennent pas leurs promesses
Nicolas Sarkozy dénonçant le “capitalisme dévoyé“ lors de son discours de fin 2008 à Toulon
Les banques ont-elle appris quelque chose ?
Les produits bancaires dits toxiques ont été les principaux responsables de la crise financière qui a débuté en 2007 aux Etats-Unis, entraînant la chute de Lehman-Brothers (l'une des plus grande banques au monde) pour arriver à la mise en cause du système financier dans son ensemble. La "finance folle", incarnée par les fameux "marchés financiers", est devenue l'emblème d'un fonctionnement économique absurde basé sur la spéculation, les transferts d'argent à la nanoseconde, déconnecté de l'économie réelle, avide et incontrôlable. Si l'ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, avait déclaré dès fin 2008 vouloir faire cesser les pratiques "délirantes" des banques, contrôler les paradis fiscaux, moraliser le capitalisme financier, aucune action concrète ne fut menée. Le candidat Hollande devait lui aussi combattre la finance, "cet ennemi sans visage", comme il l'avait déclaré lors d'un meeting politique marquant au Bourget. Une loi sur la séparation des activités bancaires a donc été votée en février 2013, devant empêcher la spéculation financière avec l'argent des déposants. Il s'avère que les termes de la loi permettent d'empêcher la spéculation de seulement 0,75% (le cas de la Société Générale) à 2 % au maximum des activités des banques françaises, et par la seule création de filiales. Autant dire que le changement est infime, et que toujours rien n'interdit aux banques de continuer leurs pratiques spéculatives à haut risque dans le "casino géant mondial des marchés financiers". Elles jouent impunément avec l'argent de leurs clients, tout en conservant la garantie d'être sauvées par l'argent des contribuables en cas de faillite. Rien ne leur interdit non plus de permettre l'évasion fiscale de sommes colossales, qui empêchent les Etats de réduire leurs dettes. Comme auparavant. L'Union européenne semble donc vouloir agir pour contrer l'évasion et la fraude fiscale en se réunissant cette semaine à Bruxelles avec, en France une commission d'enquête au Sénat qui doit plancher sur le "rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières". Pour autant, les pratiques les plus contestables de ces mêmes banques ne sont toujours pas remises en cause. Les "subprimes" devaient servir de leçon aux banques : les rachats de contrats d'assurance-vie pariant sur le décès de leurs détenteurs n'ont pourtant pas l'air d'attirer l'attention des décideurs politiques. Les banques peuvent-elles faire ce qu'elles veulent, comme participer à spéculer sur la date de décès de retraités, sans que personne n'agisse ou ne réagisse ? Peuvent-elles continuer à aider les plus grandes fortunes à ne pas participer à l'effort commun par l'impôt, sans être inquiétées ?
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Pierre Condamin-Gerbier : “l’hypocrisie de la classe politique française est totale, et si la justice va au bout, cette affaire peut aller très loin“
Au delà des pratiques immorales : obliger les banques
Le problème économique majeur des grandes nations occidentales est celui de la dette, d'où la volonté du gouvernement américain, avec le FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), d'instaurer un système d'échange automatique d'informations bancaires afin de récupérer les avoirs des fraudeurs fiscaux. Ce principe oblige les banques basées à l'étranger à identifier les comptes de leurs clients américains supérieurs à 50 000$ et à communiquer à l'IRS (le fisc américain) le solde le plus élevé atteint par le compte dans l'année, afin de repérer une possible évasion fiscale. Il prendra effet en 2014.
Cette lutte contre le secret bancaire, lancée en 2010 aux Etats-Unis avec la signature de la loi Dodd-Franck de régulation financière, doit être un exemple à suivre pour les chefs d'Etats européen présents au Conseil européen de Bruxelles ce 22 mai. Un FATCA européen est nécessaire, menant à une harmonisation fiscale, appuyé sur une réglementation bancaire contraignante et obligeant les institutions financières installées dans les paradis fiscaux à donner les informations permettant aux Etats européen de pouvoir enfin traquer l'évasion fiscale. Mais ce sommet du 22 mai n'était pas le premier en date sur le sujet : le problème de la dette devenu critique permettra-t-il de voir se concrétiser la fameuse transparence bancaire et la fin de l'évasion fiscale ? Sachant que si ce sommet sur l'évasion fiscale a eu lieu, c'est avant tout sous la pression des révélations des "offshoreleaks", dévoilant une liste de 120 000 sociétés offshore et de milliers de fraudeurs fiscaux au sein de dizaines de pays de l'OCDE. Les éléments de réponse contenus dans le reportage de Rémi Vincent sur le sommet de Bruxelles (voir encadré) ne portent pas à l'optimisme, comme si la zone économique la plus libérale du monde ne pouvait envisager de chasser ses fraudeurs. Des fraudeurs qui ont détourné plus de 1000 milliards d'euros : de quoi régler la crise de la dette et stopper les politiques d'austérité en Europe. Mais est-ce bien là l'objectif des dirigeants de l'Union ? Le report à la fin de l'année de toute décision concernant une FATCA européenne semble confirmer ce manque d'enthousiasme à créer de nouvelle règles bancaires. Il faut garder en mémoire qu'en France, des dizaines d'hommes politiques, hommes d'affaires, industriels et sportifs sont soupçonnés d'avoir placé de l'argent dans la société suisse Reyl et Compagnie pour échapper à l'impôt, selon les sources du quotidien Le Monde. Une société qui a accueilli le compte de Jérôme Cahuzac (transféré ensuite à Singapour) : Reyl et Compagnie, cette entreprise de gestion qui a multiplié par sept ses fonds sous gestion entre 2006 et 2013 pour parvenir à les porter à la coquette somme de… 5,6 milliards d'euros… Reyl et Compagnie, dont l'un des cadres, Pierre Condamin-Gerbier, entendu par les juges de l'affaire Cahuzac, dévoile les pratiques et affirme qu'elle implique de nombreux politiciens français de droite comme de gauche, ainsi que des entrepreneurs et sportifs de haut niveau.