Mort d'Adama Traoré en France : le combat de sa sœur Assa

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assa traoré
Assa Traoré, la soeur d'Adama Traoré, pendant le rassemblement du 13 juin 2020, à Paris, place de la République. Elle mène le combat pour obtenir "justice" pour la mort de son frère, après une interpellation des gendarmes, en juillet 2016, en région parisienne.
© Reuters / Denis Prezat / Avenir Pictures / ABACAPRESS.COM
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Deux témoins clés ont été entendus ce jeudi 2 juillet par les juges d'instruction en charge de l'enquête sur la mort d'Adama Traoré, le 19 juillet 2016 à Persan, dans le Val-d'Oise, après son interpellation par des gendarmes. À l'approche de la date anniversaire du décès du jeune homme, retour sur le combat de la soeur d'Adama Traoré, Assa Traoré, et sa quête de vérité. Nous l'avions rencontrée au Mali en 2016, lors des funérailles de son frère.

La Française Assa Traoré, figure emblématique de la lutte contre les violences policières et le racisme depuis la mort de son frère Adama, a reçu dimanche 28 juin, aux États-Unis, le prix "BET Global Good"

Ce jour-là, la chaîne américaine BET, spécialiste du divertissement auprès des populations noires aux États-Unis, organisait de manière virtuelle, sa cérémonie annuelle de remises de prix, les BET Awards. Comme chaque année, un prix spécial  récompense une action en faveur de "la communauté noire mondiale".

"C'est une reconnaissance pour toutes les victimes, pour toutes les familles qui ne cessent de lutter pour la vérité et la justice", a déclaré Assa Traoré, dans un message vidéo diffusé lors de cette cérémonie.


Depuis la mort en juillet 2016 de son frère Adama, après son arrestation par des gendarmes dans la région parisienne, Assa Traoré, ancienne éducatrice spécialisée, enchaîne manifestations, prises de parole et interviews. Épaulée par un solide comité d'une vingtaine de proches et de militants des quartiers, elle réclame inlassablement "vérité et justice" pour Adama.

Assa Traoré et sa famille ont la conviction qu’Adama a été tué. L'enquête, toujours en cours, vire à la bataille d'expertises. Sur le plateau du journal Afrique de TV5MONDE en janvier 2018, Assa Traoré, huitième d'une fratrie de 17 frères et soeurs, n'a de cesse de raconter l'histoire de son frère perdu, Adama.

Celle qui a toujours pris à coeur le rôle de grande soeur prend aujourd'hui les rênes de la lutte au nom de sa famille. "Avant de nous quitter, mon père nous a dit de toujours être là les uns pour les autres. S'il arrivait quelque chose à qui que ce soit, il faudrait qu'on puisse se battre. C'est ce qu'on a fait quand on a enlevé Adama. Cette mort ne pouvait pas être impunie."

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Une interpellation qui tourne mal

Le 19 juillet 2016 - jour de ses 24 ans -, Adama Traoré, jeune homme français d’origine malienne, habitant à Beaumont-sur-Oise (au nord de Paris) se fait interpeller par des gendarmes. Il meurt quelques heures plus tard. Il aurait perdu connaissance dans la voiture le transportant à la gendarmerie de Persan, selon des sources proches du dossier.

La famille n’est prévenue que tard dans la soirée du décès du jeune homme. Tout de suite, les proches suspectent une “bavure” policière. Après la première autopsie, la justice rend ses premières conclusions. Adama Traoré aurait souffert d'une "infection très grave" ayant atteint "plusieurs organes" et n'aurait pas subi de violences, contrairement à ce que "certains membres de sa famille ont pu dire", d’après le procureur de Pontoise, Yves Jannier. ​

Cette explication est alors rejetée par les proches du jeune homme. "L'infection dont pourrait avoir souffert Adama Traoré n'explique pas les causes de la mort", avait déclaré le premier avocat de la famille, Karim Achoui. "On recherche les causes de la mort et là on nous donne son état de santé", avait-il ajouté. Il demande alors une contre-expertise, avant l’inhumation du corps.

Des révoltes explosent dans la ville de Beaumont-sur-Oise après le décès d’Adama Traoré. La mort du jeune homme suscite aussi de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, autour du mot-dièse #JusticePourAdama, parfois associé à #BlackLivesMatter ("La vie des Noirs compte"), habituellement utilisé pour dénoncer les brutalités policières contre les Noirs aux Etats-Unis.

Une première marche blanche est organisée par la famille du jeune homme. Plusieurs milliers de personnes y participent. "Mon frère a été tué, mon frère a subi des violences", accusait Assa Traoré, la soeur du jeune homme de 24 ans, lors d'une conférence de presse, affirmant qu'il faisait l’objet d'un "acharnement policier depuis plusieurs années".
 

Infection pulmonaire, pathologie cardiaque, ou plaquage ventral ?

Un deuxième rapport d’autopsie met en évidence “un ensemble de lésions compatibles avec une cardiomyopathie hypertrophique qui est potentiellement la cause directe de la mort", a déclaré le procureur de Pontoise, Yves Jannier. Il s'agit d'une "pathologie cardiaque, pour laquelle il peut n'y avoir aucun signe avant-coureur", a-t-il précisé. La famille demande une troisième autopsie, refusée par le juge d’instruction.

On aurait voulu que le Mali soit là pour nous soutenir, que le Mali prenne position dans cette affaire, qu’il demande à l’État français ce qu'il s'est passé.

Assa Traoré, interviewée par TV5MONDE lors des funérailles d'Adama au Mali le 7 août 2016

Quelques jours plus tard, on apprend qu’Adama Traoré a été maintenu au sol sous "le poids des corps" des trois gendarmes qui l'ont interpellé, selon une source proche de l'enquête, citant les déclarations de l'un d'entre eux. L'un des trois gendarmes qui a arrêté le jeune homme de 24 ans a dit aux enquêteurs "n'avoir porté aucun coup", selon cette source. "Nous avons employé la force strictement nécessaire pour le maîtriser, mais il a pris le poids de notre corps à tous lors de son interpellation", a poursuivi le militaire.

"L'hypothèse que je privilégie, c'est que ce qui a provoqué l'asphyxie constatée par les deux autopsies serait la compression thoracique telle qu'expliquée par les gendarmes", a alors réagi le nouvel avocat des proches d'Adama Traoré, Yassine Bouzrou.
 

Qu'est-ce que le plaquage ventral ?

La compression thoracique, ou plaquage ventral, est au coeur des polémiques de nombreux cas de violences policières. Utilisé et enseigné comme une manœuvre d'immobilisation par la police française, le plaquage ventral est interdit dans d'autres pays, comme la Suisse, ou certaines villes des États-Unis, comme New York.

Pourtant, en 2014, six ans avant la mort de George Floyd à Minneapolis, la mort d’un homme noir asphyxiant sous le poids d’un policier est filmée. Il s’agit d’Eric Garner. Déjà, les dernières paroles de cet homme étaient “I can’t breathe” (“Je ne peux pas respirer”).

En France, parmi les victimes de cette manoeuvre, on compte Lamine Dieng. Ce jeune homme est mort dans un fourgon de police en 2017. En juin 2020, après treize ans de procédure, l’État français passe un accord à l’amiable avec sa famille, et devra verser 145 000 euros aux proches, après qu’ils ont déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

La famille d'Adama Traoré a, elle, déposé deux plaintes dénonçant l'attitude des forces de l'ordre pendant et après l'arrestation lors de laquelle le jeune homme est décédé pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner", et également pour "faux en écritures publiques aggravés, dénonciation calomnieuse, modification de scène de crime".

  • (Re)voir : en France, la mort d'Adama Traoré continue de résonner
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La famille a ensuite pu rapatrier le corps d’Adama Traoré au Mali, pays d’origine de ses parents, afin de l’inhumer. Le correspondant de TV5MONDE sur place, Anthony Fouchard, a accompagné la famille pour les obsèques d'Adama.

Assa Traoré déplore alors le manque d'implication du Mali dans cette affaire : "On aurait voulu que le Mali soit là pour nous soutenir, que le Mali prenne position dans cette affaire, qu’il demande à l’État français ce qu'il s'est passé".

(Re)voir : les funérailles d'Adama Traoré le 7 août 2016
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Mais les proches d’Adama Traoré, critiques à l'égard de la conduite de l'enquête, font une demande de délocalisation. Le procureur général de Versailles s'y déclare favorable. L'enquête dépendra dorénavant du parquet de Paris.

Assa à la tête du combat pour son frère

Assa Traoré, entourée du comité “Adama”, ne cesse d’attirer l’attention du public et des médias sur la mort de son frère. Elle est en tête des cortèges des nombreuses marches de soutien, vêtue du tee-shirt “Justice pour Adama. Sans justice, vous n‘aurez jamais la paix”, comme la plupart des militants présents.

Depuis maintenant près de quatre ans, cette mère de famille, née en 1985, a mis sa vie professionnelle de côté pour son combat pour "la justice et la vérité". Les récents mouvements de contestation Outre-Atlantique liés à la mort de George Floyd, et plus généralement dénonçant un "racisme systémique" dans la police et la société ont à nouveau mis en lumière le cas d’Adama Traoré et le combat de sa soeur.

Elle risque elle-même une mise en examen pour diffamation, après avoir publié les noms des gendarmes qu’elle estime responsables de la mort de son frère Adama. 

Assa n’a de cesse de dénoncer la "lenteur" de l'enquête, qui s'apparente de plus en plus à un "déni de justice" à ses yeux. “Mes clients n'ont malheureusement plus confiance en la justice", a réagi Me Yacine Bouzrou, l'avocat de la famille Traoré, auprès de l'AFP.

Samedi 18 juillet, Assa Traoré et ses proches organiseront la quatrième marche annuelle en mémoire à Adama, à Persan. Après les deux rassemblements à Paris en juin dernier qui ont remis au devant de la scène cette affaire, la marche devrait à nouveau être l'occasion pour Assa Traoré et ses proches de demander justice.