Mort de Benoit XVI : le pape gardien du dogme qui finit par renoncer

Le pape émérite Benoit XVI est mort, samedi 31 décembre, à l'âge de 95 ans. Joseph Ratzinger succéda à Jean-Paul II le 19 avril 2005. Gardien du dogme, ce pape intellectuellement brillant mais très anti-libéral sur les questions de société eut un pontificat marqué par de nombreuses controverses et scandales. L'homme, épuisé, finit par renoncer en 2013 laissant la place à l'élection du pape François. Une première pour un souverain pontife depuis plus de 700 ans. Portrait. 
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BENOIT XVI
AP Photo/Domenico Stinellis
Le pape Benoit XVI se presente au monde sur le balcon de la basilique Saint-Pierre de Rome juste après son élection le 19 avril 2005. 
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C'est une décision qui avait surpris le monde catholique. Le 11 février 2013, Benoît XVI annonce sa renonciation pour raison de santé. C'est une première depuis plus de 700 ans, un Pape renonce à son pontificat. Après 8 ans à la tête de l'Église Catholique, Benoit XVI, 85 ans, devient pape émérite. François Mabille, chercheur au CNRS, spécialiste de la Curie Romaine et du catholicisme se souvient.

"Il était un proche du pape Jean-Paul II et il a vu que les dernières années du pape polonais avaient été très difficiles. Il n' y avait plus de chef au sein de la Curie", explique le chercheur. "Il n'a pas voulu reproduire ce qui s'était passé à la fin du pontificat de Jean-Paul II", ajoute le chercheur. 

Une jeunesse marquée par "l'inhumanité" du nazisme

Né le 16 avril 1927 à Marktl-am-Inn en Bavière, Joseph Ratzinger, futur Benoit XVI, est un fils de gendarme, d'une famille catholique traditionnelle anti-nazie. Il entre au petit séminaire en 1939. Il sera inscrit aux Jeunesses Hitlériennes, enrôlement devenu obligatoire dans l'Allemagne nazie. Il dénoncera plus tard  "l'inhumanité" du régime nazi. En 1951, il est ordonné prêtre. Il enseigne ensuite la théologie à Freising, Bonn, Münster et Ratisbonne.

Il vit comme jeune "conseiller" l'aventure de Vatican II (1961-1964), et fait partie des théologiens partisans de l'ouverture. Mais, en 1968, il est choqué par les répercussions de Mai 1968, y compris sur l'Église. Et prend un tournant plus conservateur.  Lors du conclave de 1978, il fait plus ample connaissance avec un certain Karol Wojtyla, qui deviendra en 1979 Jean-Paul II.
Benoit XVI et Jean-Paul II
Sur cette photo du 11 septembre 2002, le cardinal Joseph Ratzinger (futur Benoit XVI) et le pape Jean-Paul II célebrent la messe dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Le cardinal Ratzinger est alors proche du pape et occupe le poste de préfet de la Congretation de la doctrine de la foi.
 
AP Photo/Pier Paolo Cito
En 1981, ce dernier le nomme à la Congrégation pour la doctrine de la foi. Il participera à la remise au pas par Jean Paul II des théologiens de la libération en Amérique Latine et de ceux qui recherchent une synthèse entre idées modernes et doctrine ancienne. Il succède à Jean-Paul II le 19 avril 2005. Il est perçu comme un intellectuel, un théologien placé à la tête de la lourde administration vaticane. François Mabille, spécialiste du catholicisme tempère cette impression. 

Un théologien et un homme de la Curie

"On l'a souvent présenté étant un pape théologien, un intellectuel plus qu'un homme de la Curie. C'est à mon sens inexact. Il est un homme issu de la Curie. Il est arrivé au Vatican en 1981. Il a été élu pape en 2005. Il est resté 24 ans au sein de la Curie. 
Il est issu de ce milieu"
, note le chercheur. 

Avait-t-il alors toutes les compétences pour être pape ? "Il a été le préfet pour la Congrégation de la foi mais avait-t-il la capacité, la force d'être le chef de l'Église, le chef d'une administration, le chef d'un État ? On peut avoir été un très bon député ou un très bon ministre sans être un bon chef d'État", résume le chercheur.

Il a été surtout l'homme d'une théologie basée sur l'affirmation du dogme. Il a beaucoup sanctionné, condamné. Il a été un pape normatif. Il a marginalisé, repoussé d'autres théologies. François Mabille, chercheur au CNRS, spécialiste du catholicisme

Très rapidement sous son pontificat l'Église semble être ballotée de scandale en scandale et de controverse en controverse, des propos du pape sur l'Islam en 2006 à Ratisbonne, en passant au scandale de la banque vaticane jusqu'aux accusations de pédophilie contre des membres d'Église. 

"Le cas de Benoit XVI illustre à mon sens l'incompténce organisationnelle du Vatican. Le pape François a nommé il y a deux ans quelqu'un au poste de directeur des ressources humaines. Ce poste n'existait pas au sein de l'administration vaticane. Le Vatican jusqu'à cette année n'avait pas de budget prévisionnel", soutient François Mabille. Le pape s'est cependant faire très bien une chose, être le gardien du dogme. 

Benoit XVI était un homme profondément anti-libéral notamment sur le plan sociétal.François Mabille, chercheur au CNRS, spécialiste du catholicisme

"On a mis souvent en avant le fait qu'il était un théologien. Il a été surtout l'homme d'une théologie basée sur l'affirmation du dogme. Il a beaucoup sanctionné, condamné. Il a été un pape normatif. Il a marginalisé, repoussé d'autres théologies. Durant son pontificat on a demandé au jésuite belge Jacques Dupuis (défenseur d'une théologie du dialogue intereligieux) de se taire. Il a combattu la théologie de la libération, jugée proche du marxisme au coté de Jean-Paul II", souligne le chercheur.

Son pontificat représente les difficultés de l'Église après Vatican II selon François Mabille. Joseph Ratzinger sous Jean-Paul II a été marqué par la scission des traditionalistes "lefebvristes" sous le pontificat de Jean-Paul II. 

Marcel Lefebvre fonde en effet en 1970 la Fraternité Saint-Pie X et le séminaire international d'Écône qui lui est rattaché. Avec la Fraternité, il œuvre notamment à la conservation de la messe tridentine par opposition à la messe de Vatican II. En 1988, Monseigneur Lefebvre est excommunié par Jean-Paul II  pour avoir sacré quatre évêques sans l'aval de Rome.

Benoit XVI a voulu donner des gages aux conservateurs et aux traditionnalistes pour qu'ils restent dans l'Église selon le chercheur. benoit XVI  lève en 2009 des excommunications de quatre évêques intégristes nommés par Mgr Lefebvre, dont le Britannique négationniste Richard Williamson.

C'est un homme qui a voulu restaurer la primauté du dogme, du catholicisme. Il estimait que seul l'Église catholique avait la vérité sur les autres religions. François Mabille, chercheur au CNRS, spécialiste du catholicisme

"Mais pour de nombreuses voix au sein de l'Église catholique, Vatican II n'était qu'un point de départ pour aller plus loin. Comment faire pour avoir plus de démocratie dans l'Eglise catholique ? Comment faire en sorte qu'une égalité entre les hommes et les femmes soit instaurée au sein de l'Église. Benoit XVI n'a jamais milité en faveur d'une telle évolution. Il est un homme anti-libéral notamment sur le plan sociétal", constate François Mabille, chercheur au CNRS.

"Son sucesseur le pape François aura ainsi beaucoup de mal à faire avancer les choses. Le pape François sur l'homosexualité a posé cette question au début de son pontificat : 'Qui suis-je pour juger ?' Mais depuis rien n'a bougé", constate le chercheur.

(Re)lire : Visite du pape au Liban en 2012 : que dire aux chrétiens d'Orient ?

Le rapport au monde de ce pape européen, qui a connu la Seconde guerre mondiale interroge encore. Marqué par le nazisme, le pape Benoit XVI a fait des ouvertures vers le monde juif et le judaïsme. Il se rendra à Auschwitz, le camp d'extermination nazi en 2006 en Pologne. 

"Mais c'est un homme qui a voulu restaurer la primauté du dogme, du catholicisme. Il estimait que seul l'Église catholique avait la vérité sur les autres religions. La controverse de Ratisbonne en a été un exemple", souligne François Mabille.

La controverse de Ratisbonne 

Le 12 septembre 2006, le pape Benoît XVI était invité par son ancienne université, à Ratisbonne en Allemagne, à s’exprimer sur le thème « Foi, raison et université ». Son discours, qui traitait de l’islam avait suscité l’incompréhension et la colère dans une partie du monde musulman. Il avait cité les propos de l'empereur byzantin Manuel Paleologue II sans y souscrire. "Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines." 

"Le discours de Ratisbonne a surtout montré  sa difficulté à appréhender la force de ce qu'est la mondialisation, le poids des autres religions dans le monde. Il a commis d'autres erreurs. Lors de sa tournée en Amérique latine, le courant n'est pas passé lorsqu'il a affirmé que la "colonisation avait aussi apporté des choses heureuses". Cette phrase avait été très mal perçue en Amérique latine" se souvient François Mabille. 

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En mai 2009, la visite du pape Benoit XVI à Amman en Jordanie suscite encore quelques rancoeurs liées à ses propos sur l'islam et la violence.

Les premieres scandales de pédophilie éclatent également. "Le pape a réagi assez rapidement. Il a demandé aux églises, il est vrai, de faire remonter les noms des auteurs d'actes pédophiles. Il a condamné ces actes mais comme souvent il n'y a pas de retour de Rome et de la Curie. C'est ce qu'ont dénoncé des congrégations religieuses. Il y a encore au sein de la Curie cette culture de l'impunité et l'idée que l'Église a son propre droit. Il n'a pas réussi à changer cette culture. Les évêques français ont critiqué à plusieurs reprises ce manque de transparence", explique François Mabille, chercheur au CNRS 

Quel héritage laisse Benoit XVI dans le monde catholique ?  "Il a voulu restaurer la fonction pontificale. Cela se traduisait dans son apparence pour souligner la continuité de la fonction pape avec de l'hermine et du pourpre. Mais paradoxalement il a remplacé cette fonction ad viternam, le pontificat en un mandat limité dans le temps, limité par la santé et la résistance du pape. Il est fort probable que le pape François démissionne dans un an apres un dernier synode", estime François Mabille, chercheur au CNRS.

Les principales dates du pontificat de Benoît XVI

19 avril 2005: Le cardinal allemand Joseph Alois Ratzinger, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, 78 ans, est élu pape, succède à Jean Paul II.
 13 mai 2005: Benoît XVI lance la cause en béatification de Jean Paul II (effective le 1er mai 2011).
25-28 mai 2006: Pèlerinage à l'ancien camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau (Pologne).
9-14 septembre 2006 : Déclenche une polémique après un discours semblant lier islam et violence à l'université de Ratisbonne (Allemagne). Le 17, il présente ses regrets au monde musulman.
15 avril 2008 : Rencontre avec des victimes de pédophiles aux États-Unis, avant l'Australie en juillet 2008, le Vatican en avril 2009 et Malte en avril 2010.
24 janvier 2009 : Levée des excommunications de quatre évêques intégristes nommés par Mgr Lefebvre, dont le Britannique négationniste Richard Williamson.
17-23 mars 2009 : En route pour l'Afrique (Cameroun et Angola), le pape critique la distribution de préservatifs qui, selon lui, ne peuvent résoudre le problème du Sida. (mais en 2010, il fait sensation en admettant l'usage du préservatif "dans certains cas" pour éviter la contamination).
2 juillet 2012 : Nomination d'un nouveau gardien du dogme au Vatican, Mgr Gerhard Ludwig Müller, aux positions très conservatrices.
11 février 2013: Le pape annonce sa démission à partir du 28 février en invoquant son âge et les défis d'un monde en pleine mutation.