Fil d'Ariane
Refus paternel qui ambitionne pour lui l'école Polytechnique et l'inscrit d'office au Lycée Louis-le-Grand. Il fugue donc et se retrouve à Dunkerque sur un cargo charbonnier, Le Capitaine Saint-Martin, en partance pour Alger.
L'expérience ne durera pas. Plusieurs semaines plus tard, sur le quai du retour, son père attend le jeune fugueur de pied ferme. Il somme son fils de rentrer à la maison. Il obtempère. Fin de l'aventure.
Mais un autre souvenir perdurera de cette improbable épopée, celui d'avoir perdu son pucelage à la Casbah d'Alger où son capitaine l'a conduit. L'initiation a duré toute la nuit : "Quand, au matin, je suis redescendu vers le port, dans l'odeur de grésil sur les trottoirs, d'anisette et de produits coloniaux, je n'étais plus le même homme", écrira-t-il. Et toute sa vie, l'ex-marin gardera précieusement sa première fiche de paie de navigateur.
A 19 ans, le jeune Chirac, élève de Science-Po, a bien vendu L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice à Paris. Pourquoi ?
Par sympathie pour les communistes, c'est certain, mais aussi... pour surprendre et décontenancer ses futurs beaux-parents Chodron de Courcel, parents de Bernadette.
Chirac la provoc' ? Certainement.Alors Premier ministre, Pompidou brossera publiquement un portrait particulièrement flatteur de son conseiller toujours vibrionnant, disponible et enthousiaste. En 1967, Chirac se présente aux législatives en Corrèze.
Georges Pompidou déclare : "A mon cabinet, on l'appelle le Bulldozer. On n'a jamais encore trouvé quelqu'un qui lui résiste (...) J'espère quand même qu'il ne me poussera pas hors du gouvernement mais avec une telle activité, une telle puissance de travail, une telle capacité de réalisation, on peut tout craindre !"
Cette image de l'homme pressé, chère à Paul Morand, sera celle de Jacques Chirac tout au long de sa carrière politique. Il ne la contredira jamais : "Je m'endors toujours avec l'impression que le temps m'a manqué", dira-t-il, fataliste.On ne compte plus les réparties, tour à tour drôles, subtiles ou grasses de Jacques Chirac. Adepte d'un langage populaire, volontairement imagé, il emprunte volontiers à la métaphore-choc, ce qui fait de lui un cousin d'alliance avec Michel Audiard, l'un des dialoguistes les plus doués du cinéma français.
Qu'on en juge :
Sur Nicolas Sarkozy : "Sarkozy, faut lui marcher dessus. Et du pied gauche, ça porte bonheur ! "
Sur Edouard Balladur : "Ce type, c'est quand même un remède contre l'amour, non ?"
En évoquant Margaret Thatcher à propos d'un différend sur une négociation :
"Qu'est-ce qu'elle veut cette ménagère ? Mes couilles sur un plateau ?"
Sur le combat politique : "Il ne faut pas blesser une bête : on la caresse ou on la tue".
Lors d'élections législatives et soutenant la candidature de Jean Louis Debré : "Allons boire à nos femmes à nos chevaux et à ceux qui les montent. "
Laurence Chirac, sa fille aînée, née en 1958, est le drame de sa vie, la croix qu'il faut porter en silence avec sa femme Bernadette. Jamais au cours de sa longue carrière il n'évoquera cette blessure secrète auprès de ses amis, même les plus proches. Et le temps n'émoussera jamais cette douleur au sein du couple.
Laurence suit des études de médecine que la maladie l'oblige à interrompre. Selon L'Express, une méningite qui a déclenché une anorexie mentale.
Le vendredi 13 avril 1990, à 32 ans, elle se jette par la fenêtre du quatrième étage de son immeuble, rue du Père-Corentin, dans le XIVe arrondissement de Paris. Grièvement blessée, elle échappe de justesse à la mort.
Sur France 3, le 5 décembre 2004, Bernadette confiera : "Une mère qui a échoué avec un enfant et qui n'est pas arrivée à lui rendre sa santé se sent toujours coupable, et un père aussi, quelle que soit son identité, a-t-elle expliqué. Devant ce genre de troubles, on a envie de se cacher." Laurence Chirac décédéra le 14 avril 2016, à l'âge de 58 ans, victime d'un malaise cardiaque. La perte de sa fille adorée aggravera la dégradation de son état de santé.
Le journaliste Pierre Haski était l’envoyé spécial du quotidien Libération au Proche-Orient lors de cette tournée. Lors d'un entretien à Europe 1, il se souvient de la suite : " Ça a été un moment diplomatique très fort pour lui, dont il a tiré profit dans le reste de sa visite parce qu’il est devenu, tout à coup, le héros du monde arabe (...) C’était sa première grande initiative diplomatique et il faisait déjà les gros titres partout. Ce soir-là, il était sur un petit nuage (...) Lors de la suite du voyage, en Syrie, en Jordanie, partout où on allait, les gens connaissaient la scène par cœur, parce que CNN l'avait passée en boucle. C’était exactement ce que cherchait Chirac : le signal que la France est de retour et qu’elle comprend la souffrance des Arabes."
La guerre en Irak fut la plus forte confrontation diplomatique avec les États-Unis depuis la décision du général de Gaulle de sortir de l’Otan en 1966. Seul au départ, Jacques Chirac a assumé le risque d’une position de fermeté inflexible contre l’intervention américaine. Pour lui, l’Irak de Saddam Hussein n’était pas un foyer de terrorisme international et ne disposait d’aucune arme de destruction massive. Ce processus de résistance s’étale de septembre 2001, l’attentat contre les tours jumelles à New-York, jusqu’en mai 2003, lorsque l’Amérique de Georges W. Bush lance sa guerre contre l’Irak, en écho à sa théorie de l’Axe du mal.
En plein cœur de cet emballement, c’est aux Nations-Unies, devant les caméras du monde entier, que va se jouer cette partie diplomatique inédite. C'était le 14 février 2003, devant l'Assemblée générale de l'ONU, Dominique de Villepin proclame le refus de la France de participer à ce conflit. (Ici la vidéo)
Le 19 juin 1991, lors d’un meeting à Orléans, Jacques Chirac, président du RPR, tient des propos ouvertement racistes et négrophobes. Sans jamais les nommer, il s'en prend aux Africains, à "leurs odeurs"dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris – dans lequel Alain Juppé était élu – les accusant d’être polygames, inactifs et grands profiteurs du système d’allocations familiales.
Après son départ de l'Elysée, le 16 mai 2007, Jacques Chirac et son épouse emménagent au 3, quai Voltaire, dans le VIIe arrondissement de Paris. Un logement acquis 4 ans plus tôt par la famille de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, milliardaire sunnite libano-saoudien, tué dans un attentat, à Beyrouth, en février 2005.
C'est le grand luxe : deux entrées, un office, un séjour, un salon, une salle à manger, cinq chambres, deux cuisines, trois salles de bains et, comme il se doit, une vue imprenable sur la Seine et Le Louvre. L'appartement devait être occupé le temps de trouver autre chose. Les Chirac y sont restés.
Il n'est pas déplacé de poser la question du pourquoi, sachant que l'ancien Président percevait 19 000 euros brut par mois de retraite. C'est oublier la très forte amitié qui unissait Jacques Chirac avec Rafic Hariri.
Là serait la clef de de l'explication.
Et L'hebdomadaire l'Express de préciser : "Cette clef a un prénom, Laurence, et un visage; celui de la fille aînée du couple Chirac, anéantie par l'anorexie mentale, que Hariri emmena parfois à bord de son jet privé aux Etats-Unis, pour y consulter des psychiatres de renom. Jacques et Bernadette n'oublieront jamais. "
Ces derniers mois, il habitait un hôtel particulier de la rue de Tournon (Paris VIe) mis à sa disposition par son ami le milliardaire François Pinault.