Fil d'Ariane
Pour cet essayiste installé aux États-Unis, “la reine Elizabeth était un personnage emblématique. Il est normal que la plupart des alliés se rendent à ses obsèques”. En effet, bon nombre des alliés historiques de Londres ont présenté leurs condoléances à la famille royale peu de temps après l’annonce de la mort de la reine par le palais de Buckingham, le jeudi 8 septembre 2022. Les chefs d’États européens, le président américain Joe Biden ou encore les pays membres du Commonwealth - ont déjà confirmé leur présence.
Toutes les attentions se concentrent donc sur les absents. La Russie, mise au ban de la scène géopolitique occidentale depuis le début de l’offensive en Ukraine n’est pas conviée. Vexées, les autorités russes ont qualifié la décision britannique de "blasphématoire".
Idem pour des partenaires historiques de Moscou, comme la Corée du Nord, la Syrie, l'Afghanistan ou encore la Birmanie. “La guerre en Ukraine est l’une des dernières grandes fractures entre le monde occidental et les autres grandes puissances”, remarque Romuald Sciora. “Mais ce n’est pas la seule façon d’expliquer l’absence de certains pays aux funérailles de la reine. Pour certains observateurs internationaux, ces obsèques sont aussi celles de l’Occident”.
“La reine a accédé au trône après la seconde guerre mondiale, à une époque où l’Occident et l’Europe étaient encore le moteur économique, politique du monde. Son décès symbolise la fin d’une époque”, affirme Romuald Sciora. Pour lui, “il y a dans la bouderie de certains pays une volonté de marquer ce que certains considèrent comme le déclin de l’Occident”.
La disparition de la reine Elizabeth II pourrait également coïncider avec une poursuite de la dislocation du Royaume-Uni, fait remarquer Romuald Sciora. “Le Royaume-Uni est en pleine décomposition. On sait très bien que certaines parties du Royaume-Uni attendaient le décès de la reine pour faire valoir leurs velléités d’indépendance.”
À commencer par l’Écosse, qui va organiser un nouveau référendum sur son indépendance en 2024. “Pour l’instant, Downing Street s'y oppose”, rappelle le chercheur, “mais jusqu’à quel point peut-on s'opposer, dans nos démocraties modernes, à laisser les peuples s’exprimer ?”. La Première minsitre écossaise Nicola Sturgeon devrait assister aux funérailles nationales le 19 septembre. Elle fait en tous cas partie des dirigeants attendus.
Autre dossier sur la table : l’Irlande du Nord. Les dirigeants locaux, avec le chef du gouvernement Michael Martin en tête, affichent leur volonté de faire appliquer le protocole nord-irlandais. Négocié lors du BREXIT, il prévoit la création d’une frontière douanière effective entre l’île de Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord. Un sujet sensible, qui pourrait ouvrir la voie au départ de l’île nord-irlandaise du royaume britannique. “Ce n’est plus qu’une question de temps avant que l’Irlande du Nord ne rejoigne la République d’Irlande”, avance Romuald Sciora. Si ces deux ruptures se concrétisent, il ne restera au Royaume-Uni que ses provinces d’Angleterre et du Pays de Galles.
Le 19 septembre, plusieurs représentants des monarchies européennes seront présentes aux obsèques de la reine Elizabeth II. En plus de la couronne britannique, aujourd'hui endeuillée et considérée comme la plus populaire, le Vieux Continent en compte encore cinq : en Espagne, en Belgique, au Danemark, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Suède. “Avec le décès de la reine et la décomposition du Royaume-Uni, ces funérailles sont peut-être le requiem des monarchies occidentales et européennes”, analyse Romuald Sciora.
Cette interrogation plane de facto sur le Commonwealth, organisation composée quasi essentiellement d’anciennes colonies de l’empire britannique. Pour Romuald Sciora, “il est évident que le Commonwealth a encore certains intérêts économiques et militaires pour certains de ces membres, notamment les États africains”, à l’image du Togo et du Gabon, qui ont rejoint l’organisation en juin 2022. “Le Royaume-Uni a toujours un intérêt, toujours une influence pour ces États, mais pas pour d’autres”, indique Romuald Sciora. Selon lui, “en interne, il se dit que Charles III est probablement le dernier roi du Canada. L’Australie, autre membre du Commonwealth, veut elle aussi, abolir la monarchie”.
Installé aux États-Unis depuis de longues années, cet essayiste est aussi un féru d’histoire. Il fait un parallèle entre les obsèques de la reine Elizabeth II et les funérailles de l'empereur d’Autriche-Hongrie François Joseph en novembre 1916. “À sa mort, il est à la tête du plus grand empire européen des derniers siècles. Il a régné pendant 68 ans, c’était un monarque quasi absolu. Et malgré ça, son empire s’est quasiment écroulé en 1918, deux ans après sa mort. On savait qu’il était au bord de l’écroulement, mais quand on a enterré François Joseph, c’était les funérailles de la vieille Europe”. En sera-t-il de même après l’inhumation de la reine Elizabeth II ?