Mort de Mahsa Amini : pourquoi les manifestations embrasent l'Iran ?

Les manifestations se multiplient en Iran, depuis la mort de Mahsa Amini. Les contestataires s’en prennent à la police, qu’ils jugent responsables du décès de la jeune femme, survenu après son arrestation par la police des moeurs. Quels sont les enjeux de cette contestation ? Entretien avec Mahnaz Shirali sociologue et spécialiste de l'Iran.
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Manifestation Iran
Des manifestants jettent des pierres à des policiers anti-émeutes lors d'une manifestation à Téhéran le 20 septembre 2022 contre la mort d'une jeune fille qui a été arrêtée pour avoir désobéi au code vestimentaire du pays.
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Le 16 septembre 2022, une iranienne meurt après son arrestation par les forces de l’ordre. Il s’agit de Mahsa Amini. Elle est morte en détention trois jours après son arrestation à Téhéran par la police des moeurs en raison du port de son Hijab, jugé non conforme à la loi. Depuis, les manifestations se multiplient.

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Mahnaz Shirali est sociologue, poliitologue et spécialiste de l’Iran. Elle est directrice d'études à l'Institut de science et de théologie des religions de Paris, directrice d'études à l' Institut Catholique de Paris (ICP) et enseignante à Science Po Paris. Selon elle, la mort de Mahsa Amini est "la goutte d’eau qui a fait déborder le vase" d’un ras-le-bol citoyen, à propos de la gestion politique du pays. 

TV5MONDE : Quels sont les éléments déclencheurs de cette contestation ? 

Mahnaz Shirali : La mort de Mahsha Amini, cette jeune fille de 22 ans, a déclenché de vives réactions des Iraniens. Mais en même temps, il y a toute une série d’autres facteurs qui se sont accumulés. Sa mort a servi d’étincelle pour faire exploser la rage des Iraniens qui étaient inquiets depuis très longtemps à cause de pleins de problèmes d’injustice, des problèmes économiques et une mauvaise gestion du pays.

Depuis la crise liée au Covid-19, on a compris que dans ce pays il n’y a pas de gouvernement, il n’y a pas d’État et il n’y a personne pour diriger. C’est le chaos total. Maintenant, au lieu de diriger le pays et de faire leur travail, le gouvernement tue les jeunes filles dans les rues. La situation est facilement compréhensible. Les Iraniens sont excédés par leur gouvernement. Ils trouvent qu’ils sont incompétents et en même temps ils tuent. C’est un peu trop.

Le pays ne fonctionne pas, les gens sont affamés, ils n’ont pas de quoi manger. Donc c’est le ras-le-bol généralisé de cette situation qui est en train de s’exprimer à travers les manifestants.
Mahnaz Shirali, sociologue, politologue et spécialiste de l'Iran.

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TV5MONDE : Qu’est-ce qui est reproché au gouvernement ?

Mahnaz Shirali : En fait, les gens qui sont là-haut ne gouvernent pas le pays. Ils le détruisent, pillent la richesse nationale. Au lieu de gouverner et de gérer les problèmes, ils tuent. Je n’appelle pas ça un gouvernement, ni un État. 

C’est une force de répression à la tête de ce pays, constituée de voleurs et de criminels. Le pays ne fonctionne pas, les gens sont affamés, ils n’ont pas de quoi manger. Donc c’est le ras-le-bol généralisé de cette situation qui est en train de s’exprimer à travers les manifestants.

TV5MONDE : En quoi danser puis brûler son hijab, ou se couper les cheveux, et partager ces vidéos sur les réseaux sociaux constituent des actes symboliques forts ? 

Mahnaz Shirali : Justement parce que ça fait parler. Ça montre que ça attire l’attention. C’est ça le symbolisme : quelque chose qui n’a peut-être pas beaucoup de sens mais qui attire les regards. Ça transmet des sentiments extrêmement forts. 

Les Femen se mettent torse nu dans les rues et attirent les regards. C’est comme ça que leur contestation communique avec la société. Les Iraniennes sont dans le même registre.Mahnaz Shirali, sociologue, politologue et spécialiste de l'Iran

C’est en cela que brûler les foulards islamiques ou se couper les cheveux d’une manière sauvage est un acte de contestation extrêmement fort. On l’a déjà eu avec les Femen. Elles se mettent torse nu dans les rues et attirent les regards. C’est comme ça que leur contestation communique avec la société. Les Iraniennes sont dans le même registre.

TV5MONDE : Quel message espèrent-elles faire passer avec ça ?

Mahnaz Shirali : Elles en ont ras-le-bol. Elles ne peuvent plus supporter de ne pas être libre, les contraintes qu’on leur impose au nom de l’Islam et de la loi islamique. 

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Selon la loi, il est interdit de sortir sans voile, il faut cacher ses cheveux. Mais une transgression massive s’est produite de la part des jeunes générations. Elles faisaient ce qu’elles voulaient. Donc on a pu constater que la police des mœurs a reculé devant autant de jeunes filles qui faisaient “ce qu’elles voulaient”. Elles étaient maquillées et habillées d’une manière occidentale. En soit, ce n’est pas trop. Mais c’est interdit en Iran. 

Si la communauté internationale garde ses yeux rivés sur l’Iran, je ne pense pas que les dirigeants oseront réprimer et massacrer les manifestants. Mahnaz Shirali, sociologue, politologue et spécialiste de l'Iran

Maintenant, avec Ebrahim Raïssi, surnommé le “boucher de Téhéran”, on voit qu’il y a une riposte de la part de l’État envers la société.

TV5MONDE  À quoi faut-il s’attendre pour la suite ?

Mahnaz Shirali : Le régime iranien aime bien réprimer tout le monde et commettre des massacres. Mais ça dépend de la réaction de la communauté internationale. Si elle garde ses yeux rivés sur l’Iran, je ne pense pas que les dirigeants oseront réprimer et massacrer les manifestants. 

En revanche, dès qu’on oublie ou qu’on dérive son attention de ce qu’il se passe en Iran, les dirigeants se sentent libres de commettre des massacres.

Là, on est entre les deux. Je crains un massacre massif, parce que les Iraniens ne rentrent pas chez eux. Ils sont dans la rue depuis une semaine. Mais il y a une couverture médiatique très importante de ces événements par les médias occidentaux. Ça protège les manifestants.