Fil d'Ariane
Galia Ackerman est écrivaine, historienne, journaliste et traductrice franco-russe, spécialiste du monde russe et ex-soviétique.
TV5MONDE : Comment Mikhaïl Gorbatchev arrive-t-il au pouvoir ?
Galia Ackerman : L’Union soviétique était auparavant gouvernée par deux personnes très différentes. D’abord, Iouri Andropov, qui était, avant de devenir Premier Secrétaire du Parti communiste de l'Union soviétique, directeur du KGB (FSB actuel). Iouri Andropov (dirigeant de l'Union soviétique de 1982 à 1984) a essayé de redresser le pays. Il a très activement combattu la dissidence. La direction qu’aurait prise l’URSS aurait été toute autre, s’il n’était pas décédé rapidement, à cause de son insuffisance rénale.
Andropov voyait en Gorbatchev son successeur. À l’époque, Mikhaïl Gorbatchev était un jeune cadre très dynamique, il avait son entrée au Comité central du parti et était très jeune par rapport à la gérontocratie de l’époque. Cependant, à la mort d’Andropov, c’est un autre gérontocrate qui devient Premier secrétaire, Constantin Tchernenko ( dirigeant de l'URSS de 1984 à 1985). Il a tenu peu de temps au pouvoir car il était complètement décati. C’est seulement après la mort de Tchernenko que Gorbatchev est élu au poste de Premier Secrétaire.
(Re)voir : Hommages après la mort de Mikhaïl Gorbatchev
Je pense qu’il était probablement l’un des derniers communistes sincères à cette époque.Galia Ackerman, écrivaine, historienne, journaliste et traductrice franco-russe, spécialiste du monde russe et ex-soviétique
TV5MONDE : En 1985, lorsque Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir, dans quel état trouve-t-il l’URSS ?
Galia Ackerman : Gorbatchev trouve un pays essoufflé, car l’autorité de l’État a été sapée. Sur le plan économique, le pays n’est pas performant. Il connaît aussi, déjà, des pénuries. Gorbatchev va essayer de remettre les pendules à l’heure. Je pense qu’il était probablement l’un des derniers communistes sincères à cette époque-là. Il pensait qu’il était possible de redresser le régime communiste, de le rendre plus performant et en même temps, plus humain.
TV5MONDE : Dès le départ, quelle direction emprunte-t-il ?
Galia Ackerman : Il annonce la direction générale que va prendre son mandat, avec la perestroïka et la glasnost, signifiant respectivement la reconstruction et la transparence. Il cite également un troisième terme un peu oublié aujourd’hui, celui de l’accélération. Gorbatchev pensait que la reconstruction, qu’un mode innovant de direction et qu’une plus grande transparence dans la prise de décisions produiraient l’accélération de la production et une vie meilleure pour tous.
Bien sûr, aucune accélération de cet ordre ne s’est produite. La glasnost est même devenue quelque chose de très différent de sa définition initiale. Elle a été utilisée pour parler plus ouvertement, non seulement des tares de la production dans telle ou telle usine, mais aussi pour parler du passé, stalinien notamment et de tout ce qui n’allait pas dans le pays.
(Re)lire : Russie : Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l'URSS, est mort
La glasnost a été le seul élément de la triade qui a fonctionné et qui a été beaucoup plus loin que ce que n’avait envisagé son auteur.Galia Ackerman, écrivaine, historienne, journaliste et traductrice franco-russe, spécialiste du monde russe et ex-soviétique
TV5MONDE : La catastrophe de Tchernobyl a été l’élément déclencheur de ce glissement de concept ?
Galia Ackerman : En effet, la catastrophe de Tchernobyl a été comme un coup de pied donné dans la fourmilière. En tout cas, le besoin de transparence est devenu beaucoup plus pressant quand s’est produite cette catastrophe nucléaire, dont le gouvernement soviétique a essayé de diminuer l’importance, Gorbatchev compris. Il y a eu beaucoup de mensonges. Tout cela n’était pas toléré par la société.
D’autant plus qu’on était déjà à une époque très différente de la catastrophe nucléaire précédente, qui s’était déroulée dans l’usine pétrochimique de Maïak dans l’Oural, qui produisait le plutonium militaire.
Pour Tchernobyl, il était impossible de cacher l’événement, car les conséquences se sont faites tout de suite ressentir dans les pays voisins. Je crois que c’est suite à cela que Gorbatchev à compris qu’il vivait dans un monde où tout était lié et où il était impossible de fermer sa porte et ne rien laisser entrer ni sortir.
Gorbatchev a pris la décision de ne pas s’y opposer. Cela, aucun autre dirigeant soviétique n’aurait osé le faire.Galia Ackerman, écrivaine, historienne, journaliste et traductrice franco-russe, spécialiste du monde russe et ex-soviétique
TV5MONDE : Si la volonté de transparence de Mikhaïl Gorbatchev n’a pas pris la direction escomptée, elle a déclenché une prise de conscience très importante.
Galia Ackerman : La glasnost a été le seul élément de la triade qui a fonctionné et qui a été beaucoup plus loin que ce que n’avait envisagé son auteur. En 1987, un énorme réveil sociétal a eu lieu. De nombreuses publications ont vu le jour, des archives ont commencé à s’ouvrir. Le pays a été médusé et scotché par la télévision, lorsqu’elle a commencé à traiter des sujets qui n’avaient jamais été traités pendant la période soviétique précédente. Il y a eu des grandes réunions, des manifestations, une vie sociale bouillonnante. En 1987, Gorbatchev a fait libérer les derniers dissidents. Il a fait rentrer à Moscou Andreï Sakharov (père de la bombe H soviétique, militant pour les droits de l’homme et la réforme dans son pays).
À partir de là, les choses se sont encore accélérées. L’année suivante, la population exigeait des élections plus libres. Lors de l’élection du Soviet suprême - le Parlement de l’époque qui jusque-là était un organisme purement formel - des candidats communistes mais aussi indépendants, se sont présentés et certains ont même été élus.
Sakarov a initié l’annulation de l’article 6 de la Constitution qui proclamait le rôle dominant et dirigeant du Parti communiste. Une fois que ce verrou a sauté, d’autres partis ont commencé à se former.
(Re)voir : Russie : disparition de Mikhaïl Gorbatchev, l'homme de la Perestroïka
TV5MONDE : Était-ce, cette fois, la volonté de Mikhaïl Gorbatchev ?
Galia Ackerman : Ce n’était pas du tout ce qui avait été prévu par Gorbatchev. Mais il a eu l’énorme mérite de ne pas essayer d’écraser cette expression populaire. Quand il y a eu des mouvements exigeants la fin du monopole des Partis communistes et le départ des troupes soviétiques des pays d’Europe de l’est, Gorbatchev a pris la décision de ne pas s’y opposer. Cela, aucun autre dirigeant soviétique n’aurait osé le faire. Il a donné aux peuples d’Europe de l’est et d’Europe centrale, la possibilité de choisir leurs lois.
TV5MONDE : Mikhaïl Gorbatchev est-il l’auteur de l’effondrement de l’URSS ?
Galia Ackerman : Dès que le visage humain apparaît, le système communiste s’effondre. Gorbi a toléré l’effondrement de ce système. On l’accuse à tord d’être l’auteur de l’éclatement de l’Union soviétique. Lui-même a tout fait pour la préserver, mais, disait-il, sur des bases nouvelles, d’égalité entre les Républiques, comme une vraie fédération, voir comme une confédération. Mais il était trop tard, les forces centrifuges ont été trop fortes. Et la patience des peuples asservis pendants des décennies s’était épuisée.
(Re)lire : Mikhaïl Gorbatchev, l'homme qui a anéanti l'URSS malgré lui
TV5MONDE : Mikhaïl Gorbatchev a « toléré » l’effondrement de l’URSS, mais il a tout de même tenté de la stopper en certains endroits ?
Galia Ackerman : Après le putsch d’août 1991 ( bref putsch mené par un groupe de membres de la ligne « dure » au sein du Parti communiste, estimant que les réformes de Gorbatchev dispersaient trop le pouvoir ), Gorbatchev a perdu son autorité. Il détenait toujours, certes, le pouvoir central, mais les Républiques ne l’écoutaient plus. À Vilnius, en 1991, Gorbatchev a essayé de réprimer, indirectement, cette marche vers l’indépendance, tout comme à Tbilissi, en 1989. Il n’a pas réussi. Il était président aux yeux du monde entier mais plus pour les dirigeants des Républiques soviétiques.
Ce que reprochent à Gorbatchev les nationalistes et les communistes de l’époque et encore à ce jour, c’est qu’il n’a pas été jusqu’au bout dans la répression. Galia Ackerman, écrivaine, historienne, journaliste et traductrice franco-russe, spécialiste du monde russe et ex-soviétique
TV5MONDE : Mikhaïl Gorbatchev est très bien vu par l’Occident, encore plus actuellement ?
Galia Ackerman : À l’étranger, Gorbatchev a conclu des accords très importants, notamment le désarmement avec les États-Unis, signé avec Ronald Reagan. À l’intérieur de son propre pays, on ne peut pas dire qu’il ait mené des réformes profondes. Il en a seulement proclamé les principes.
TV5MONDE : Comment a été perçu et est perçu Gorbatchev par les régimes autoritaires ?
Galia Ackerman : Lors de sa visite en Chine, en 1989, ont lieu les manifestations de Tiananmen, demandant des réformes démocratiques.
Tiananmen ( les manifestations de Tiananmen se déroulent entre le 15 avril 1989 et le 4 juin 1989 à Pékin, la capitale de la république populaire de Chine. La répression du gouvernement est très forte et conduit à un massacre ) s’est déroulé pendant la visite de Gorbatchev en Chine. Ces manifestations ont écourté son voyage, mais il n’est pas intervenu, ce n’était pas chez lui. Ce que reprochent à Gorbatchev les nationalistes et les communistes de l’époque et encore à ce jour, c’est qu’il n’a pas été jusqu’au bout dans la répression. Il a fait des tentatives timides. Mais il n’a pas réellement mobilisé l’armée et les services spéciaux pour réprimer comme l’ont fait les Chinois.
Eux n’ont pas eu peur de l’effusion de sang. Ils ont été obligés de réformer, mais ils ont gardé le contrôle. Le système chinois actuel est totalement hybride. C’est un système capitaliste sous la direction du Parti communiste. Beaucoup de dirigeants russes, de politologues russes etc. regrettent que Gorbatchev n’ait pas fait la même chose.
(Re)lire : Entre la Russie et la Chine, la méfiance plutôt que l'amitié
TV5MONDE : Mikhaïl Gorbatchev a-t-il pu être un élément déclencheur des manifestations de Tiananmen en Chine ?
Galia Ackerman : Gorbatchev a pris, pendant cette période, la décision qu’il ne s’opposerait pas aux peuples et aux pays qui décident de disposer d’eux-même. Il s’est publiquement exprimé sur ce point. C’est une logique totalement contraire à la logique chinoise. Par ailleurs, Tiananmen se produit la même année que l’abolition de l’article 6 de la Constitution sur la suprématie du Parti communiste en Union soviétique.
Poutine considère que l’éclatement de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle.Galia Ackerman, écrivaine, historienne, journaliste et traductrice franco-russe, spécialiste du monde russe et ex-soviétique
TV5MONDE : S’il est bien perçu en occident, comment est perçu Gorbatchev en Russie ?
Galia Ackerman : Les Russes, à l’époque tsariste et communiste, se considéraient au centre d’un empire, même si pendant la période soviétique, l’empire ne portait pas ce nom. Pendant des centaines d’années, il y a eu une sorte de déification de l’État fort. Le bon gouvernant est celui qui augmente l’empire, qui le rend encore plus grand, encore plus puissant. Le mauvais gouvernant est à l’inverse, celui qui fait perdre des territoires et qui affaiblit l’empire.
C’est aussi simple que cela et c’est pour cette raison que Vladimir Poutine a essayé de rendre hommage et de restaurer les images de gouvernants très différents. D’une part, Ivan le terrible ( le premier tsar de Russie. Il règne de 1547 jusqu'en 1584 ), qui était quelqu’un d’extrêmement cruel et qui a causé des dégâts au jeune royaume russe. Il tente aussi de restaurer l’image de Pierre Le Grand (devient tsar de Russie en 1682 et reçoit le titre d'empereur de toutes les Russies en 1721), qui en effet agrandit l’empire avec la Finlande et l’ouverture sur la mer Baltique. Bien sûr, il honore aussi Staline, qui a non seulement annexé des territoires en vertu du pacte Molotov-Ribbentrop ( le Pacte germano-soviétique, officiellement traité de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique, est un accord diplomatique signé le 23 août 1939 ) mais qui a aussi asservi la moitié de l’Europe.
(Re)lire : De la Petite Russie à la Nouvelle Russie, comment Poutine veut effacer l'Ukraine de l'Histoire
Quelque soit le degré de cruauté, les erreurs, etc., il y'a l’idée que cela est positif car l’empire est augmenté et rendu plus fort. Poutine considère que l’éclatement de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle. Quand le président russe pose des ultimatums aux États-Unis et à l’OTAN, pour leur demander de revenir aux lignes d’avant 1997, cela veut dire, en clair : « Restituez exactement les zones d’influence qui ont existé sous l’Union soviétique ». La politique de Poutine est la négation même de ce qu’il s’est produit sous Gorbatchev.
(Re)voir : Gorbatchev, artisan de la paix pour les uns, fossoyeurs de l'URSS pour les autres
TV5MONDE : La population russe pense-t-elle la même chose que son président ?
Galia Ackerman : Une grande partie de la population russe a été élevée dans cette idée-là. L’idée selon laquelle il est possible de souffrir, pourvu que l’empire se porte bien. L’empire est un organisme mystérieux qui est au-dessus de l’individu et le dépasse.