Fil d'Ariane
Il a jammé avec Ray Charles, dirigé Frank Sinatra, produit Michael Jackson et lancé Will Smith : Quincy Jones, mort à 91 ans, était une légende de la musique américaine.
Quincy Jones s'exprime lors du gala pré-Grammy le samedi 9 février 2019 à Beverly Hills, Californie.
Dans un milieu où les producteurs travaillent le plus souvent dans l'ombre, le musicien, compositeur, arrangeur et producteur est l'un des rares à avoir pris la lumière, s'illustrant comme une référence de la musique américaine, pendant la seconde moitié du XXe siècle.
Voir Quincy Jones, le monde musical perd un de ses maîtres
Il "s'est éteint paisiblement" à son domicile de Los Angeles en présence "de ses enfants, de ses frères et soeurs et de sa famille proche", a annoncé son attaché de presse Arnold Robinson dans un communiqué. "Bien qu'il s'agisse d'une perte incroyable pour notre famille, nous célébrons la grande vie qu'il a vécue et savons qu'il n'y en aura jamais aucun autre comme lui", a déclaré sa famille.
"Avec toi, la vie swinguait, ça jazzait, tu étais la joie et le rythme, tu étais un génie!", a réagi sur X l'artiste de music-hall française Line Renaud, qui fit carrière outre-Atlantique dans les années 1960.
"Repose en paix", a également écrit le guitariste et compositeur américain Nile Rodgers sur Instagram.
"Quincy n'était pas seulement une légende; il était une source d'inspiration, un précurseur et un véritable génie", a estimé sur le même réseau social le DJ star français David Guetta.
"Merci de laisser votre ego à la porte !" L'aura de "Q" était telle qu'il pouvait se permettre d'accueillir par ses mots Bob Dylan, Tina Turner ou Stevie Wonder. On est en 1985 et le producteur a la lourde tâche de faire chanter ensemble une trentaine de stars au sein du "supergroupe" "USA for Africa".
"We are the world", chanson caritative pour la lutte contre la famine en Ethiopie, sera un des 45 tours les plus vendus de l'histoire, avec plus de 20 millions de copies écoulées.
Quincy Jones est alors au faîte de sa gloire. Le chemin parcouru est immense pour le musicien né dans les bas-fonds de Chicago, le 14 mars 1933.
Il est très jeune quand sa mère, schizophrène, est internée dans un asile psychiatrique. Son père, charpentier, obtient le divorce et déménage à Seattle, où il fonde une nouvelle famille. Le jeune Quincy s'imagine un destin de gangster quand, à 11 ans, il touche pour la première fois un piano. "J'ai joué une seule note et cela a changé ma vie."
Il se met au trombone, à la trompette et commence à écumer les boîtes locales. A 14 ans, il y rencontre Ray Charles, de deux ans son aîné. Une rencontre qu'il qualifie dans ses mémoires de "bénédiction", tant cet aîné, avec lequel il fraya adolescent dans les clubs locaux, le guida dans l'apprentissage de la musique.
Ray Charles, au centre, plaisante avec ses amis Quincy Jones, à droite, et Willie Nelson après avoir reçu son Lifetime Achievement Award présenté par la Blues Foundation à la House Of Blues à West Hollywood, en Californie, le lundi 2 octobre 2000.
Il fallait jouer toute la variété de l'époque, le rythm'n blues, la musique des strip-tease, la polka... Après, on se retrouvait entre nous et on jouait du be-bop toute la nuit. J'essayais de tout faire sonner be-bop et Ray disait "non, tu dois accepter la musique pour son âme profonde", ça a été une "bénédiction".
Quincy Jones, extrait de ses mémoires
Sans se limiter dans les genres - jazz, soul, disco, pop ou funk -, Quincy Jones définit la nouvelle partition de la variété internationale qui fait danser, de "Give me the night" (George Benson) à ses propres titres "Ai no corrida" ou l'instrumentale "Soul Bossa Nova", et collabore étroitement avec Frank Sinatra.
"Quincy Jones aimait surprendre et briser les frontières. Le style, l'âge ou la nationalité ne comptaient pas, seule la qualité de la musique comptait. Une telle ouverture d'esprit était rare dans l'industrie", a déclaré sur Instagram le Montreux Jazz Festival (Suisse), que le musicien ne manquait jamais.
Une ouverture d'esprit que lui enseigne également la célèbre pianiste classique Nadia Boulanger, quand il s'installe à Paris en 1957. En France, le jazzman, qui a déjà joué avec Dizzy Gillespie, Duke Ellington et Count Basie, rencontre Stravinsky et Messiaen, travaille avec Henri Salvador, Jacques Brel, Charles Aznavour. Plus tard, il collaborera aussi bien avec Nana Mouskouri que Joao Gilberto, ou le maître du tango argentin Astor Piazzolla.
Alors que le mouvement des droits civiques bat son plein en Amérique, Quincy Jones découvre en Europe une reconnaissance nouvelle.
Dans les années 50, Paris était une ville fantastique pour les musiciens noirs américains. Ici, contrairement aux Etats-Unis, nous trouvions de la tolérance et de la curiosité pour notre travail. Quincy Jones
Revenu dans son pays natal, il devient en 1961 le premier Afro-américain à accéder à un poste de direction dans l'industrie du disque, en prenant la vice-présidence du label Mercury Records.
Trois ans plus tard, il compose la musique du film "Le prêteur sur gages" de Sidney Lumet, là aussi une première pour un artiste noir. Il en signera une trentaine d'autres.
Parallèlement, il poursuit son travail d'arrangeur et de chef d'orchestre, notamment au côté de Frank Sinatra, dont il devient le collaborateur attitré.
L'astronaute Buzz Aldrin emporte même son arrangement de "Fly me to the moon" pour le premier voyage sur la Lune.
Les lauréats des Grammy Awards Dionne Warwick, Stevie Wonder, Quincy Jones, Michael Jackson et Lionel Richie posent ensemble dans les coulisses de la cérémonie des Grammy Awards à Los Angeles, le 26 février 1986.
En 1978, il fait une rencontre cruciale : Michael Jackson, qui cherche à s'émanciper de l'univers Motown.
Quincy Jones entre définitivement dans la légende en produisant ses trois meilleurs albums : "Off the wall" (1979), "Bad" (1987) et surtout "Thriller" (1982), l'album le plus vendu de toute l'histoire, à plus de 100 millions d'exemplaires.
Le trompettiste n'en oublie pas pour autant ses racines. En 1991, il convainc Miles Davis de revisiter ses classiques pour un concert historique au festival de jazz de Montreux (Suisse), dont il assure alors la direction artistique.
Quincy Jones, qui a participé à plus de 400 disques, a reçu 28 Grammy Awards de son vivant.
Touche-à-tout, il a aussi produit des films ("La couleur pourpre" de Spielberg, 1985), des séries ("Le prince Bel-Air", qui a lancé Will Smith en 1991), créé "Vibe", un magazine de référence des cultures urbaines et participé à "Qwest TV", sorte de "Netflix du jazz". Mais nommé sept fois aux Oscars pour son travail, il n'a jamais reçu de statuette.
Marié à trois reprises, il a eu sept enfants. En 2018, il se vantait dans le magazine GQ d'avoir 22 compagnes à travers le monde, parler 26 langues et avoir suivi un traitement pour vivre jusqu'à 110 ans.