Fil d'Ariane
Le Mouvement des pays non-alignés (MNA) tient à Kampala (Ouganda) son 19e Sommet jusqu'au 20 janvier. 120 pays sont représentés, avec près de 15 000 délégués et 28 chefs d'États. La chute de l’URSS lui a fait perdre l’une de ses raisons d’être mais la fracturation de l'ordre international ces dernières années pourrait lui donner un nouveau souffle. Entretien avec Philippe Golub, professeur de relations internationales à l'Université américaine de Paris.
Le mouvement des pays non-alignés est est une organisation internationale regroupant 120 États membres, et 17 pays observateurs. Ils se sont réunis pour leur 19e Sommet à Kampala du 15 au 20 janvier.
Instauré en 1961, en pleine guerre froide, le Mouvement des pays non-alignés (MNA) a longtemps vécu des oppositions internes : divergences politiques, idéologiques ou encore économiques. Il semble aujourd'hui avoir retrouvé un nouveau souffle, ou en tout cas avoir su tirer parti d'une certaine perte d'influence de l'Occident, selon Philippe Golub.
TV5MONDE : Depuis 2 ans, avec la guerre en Ukraine, nous avons observé le retour de "blocs", comme durant la guerre froide qui a vu naître le mouvement des pays non-alignés (MNA). Est-ce que ce la guerre en Ukraine n'offre pas un second souffle au MNA ?
Philippe Golub : Je ne suis pas sûr qu'on assiste depuis la guerre en Ukraine à la recomposition d'un ordre international autour de deux blocs, clairement distingué comme durant la guerre froide. Mais ce que l'on perçoit par contre c'est effectivement l'émergence de voix, et de voies dans le système international qui ne sont plus clairement alignées sur les très grandes puissances comme dans le passé, ni sur les États-Unis, ni sur la Chine, ni sur l'Europe.
Pendant la guerre froide, il y avait deux blocs distincts avec d'autres acteurs autonomes, y compris le bloc des non-alignés. À la fin de la guerre froide, le système international semblait être centré autour des États-Unis qui étaient, brièvement, au sommet de leur puissance. Mais aujourd'hui, on constate une fragmentation internationale très forte et la constitution de voies plurielles, ce qui donne des marges de manœuvre aux pays qui font partie aujourd'hui du bloc des non-alignés.
La réalité du monde aujourd'hui, c'est que nous sommes dans un monde pluriel et polycentrique.
Philippe Golub, professeur de relations internationales à l'Université américaine de Paris
TV5MONDE : Le conflit à Gaza est au centre de ce Sommet en Ouganda ? Gaza peut-elle être l'affirmation d'une identité commune ?
Philippe Golub : Identité commune, je ne le pense pas, parce que les intérêts sont très divergents. D'ailleurs, il faut bien le souligner, le Mouvement des non-alignés était un mouvement qui s'est très vite fracturé entre les deux pays qui étaient les plus importants, qui avaient le plus de poids dans ce mouvement, c'est-à-dire la Chine et l'Inde, et d'autres pays qui sont devenus les pays du "Sud global"(ndlr : le Sud global est une notion, discutée, désignant les États du sud qui refusent de s'aligner sur les puissances du Nord).
Il n'y a jamais eu de cohérence générale des pays non-alignés, à part le désir de ne pas faire partie de la logique dominante des deux blocs de la guerre froide. De même, aujourd'hui, il n'y a pas de logique unifiée dans le mouvement des non-alignés, même si on constate une tendance générale au rejet de la prédominance des États-Unis et plus généralement de l'Occident dans la définition des règles et dans la mise en place des politiques internationales.
On le perçoit en Afrique subsaharienne vis-à-vis en particulier de la France, on le perçoit dans la manière dont l'Afrique du Sud intente son procès devant la Cour internationale de Justice vis-à-vis d'Israël sur la question de Gaza. On le voit dans les multiples interventions de toute une série de pays au sujet de questions de politiques économiques internationales.
Que ces divergences soient bien fondées ou non, la réalité du monde aujourd'hui, c'est que nous sommes dans un monde pluriel et polycentrique dans lequel le "Sud global" pèse idéologiquement et politiquement plus qu'avant. Mais ce poids n'est pas cohérent.
15 000 délégués et 28 chefs d'États ont fait le déplacement à Kampala pour le 19e Sommet du mouvement des non-alignés.
Il y a une perte d'influence plus générale des pays euro-atlantique, de ceux que nous appelons l'Occident.
Philippe Golub, professeur de relations internationales à l'Université américaine de Paris
TV5MONDE : entre le G20, les BRICS, le groupe de Shanghai, le mouvement des non-alignés peut-il réussir à avoir une voix dans l'échiquier mondial ?
Je pense que l'idée de constituer des institutions internationales formelles et informelles qui ne fassent plus partie de la logique dominante depuis 1945 est une idée qui a de l'avenir, mais elle ne se fera pas nécessairement autour du mouvement des pays non-alignés. Les BRICS, le groupe de Shanghai sont des institutions plus influentes.
Dans le "Sud global" aujourd'hui, il y a des pays qui prédominent, qui sont plus influents que d'autres. Au sein même de ce mouvement-là, il y a des divergences profondes. Je pense par exemple que les deux pays qui pèsent le plus au sein du "Sud global", la Chine et l'Inde, ne partagent pas une unité de vision et une politique internationale au long terme - supposant qu'ils en fassent toujours partie.
Il faut voir cette question autrement : il y a une perte d'influence plus générale des pays euro-atlantique, de ceux que nous appelons l'Occident. Cette perte d'influence est réelle et je pense durable. Mais il n'y a pas de vision alternative, cohérente, de construction d'un ordre international plus juste. D'ailleurs, il n'y a pas d'idée fondatrice qui mène ces pays à des politiques qui aient vraiment une possibilité de prise sur le réel, me semble-t-il.
Ceci dit, l'autonomisation du "Sud global" et le Mouvement des non-alignés, seront amenés à trouver des réponses à l'anarchie internationale que nous avons aujourd'hui. Et je pense que ce sont des institutions qui ont tout de même le mérite d'exister.