Fil d'Ariane
A Hollywood, les compositeurs français sont appréciés pour une certaine sensibilité et une finesse d'orchestration qui contrastent avec les productions américaines, plus standardisées.
Dans les années 1960, Maurice Jarre a ouvert la voie avec Lawrence d'Arabie ou Paris brûle-t-il ? Puis Antoine Duhamel, le compositeur de Truffaut, Godard ou Tavernier, a lui aussi travaillé pour le cinéma étranger, tandis que le très prolifique Michel Colombier a fait toute une carrière aux Etats-Unis.
Portée par le jeune cinéma français qui s'exporte, avec Luc Besson ou Marion Cottillard, cette tradition se renouvelle aujourd'hui à travers Alexandre Desplat ou Laurent Eyquem, qui vient de terminer la musique de Momentum avec Morgan Freeman.
Pourtant, ce n'est qu'en 2013 que le conservatoire national a enfin ouvert une section de "composition de musique à l'image" sous la direction du compositeur et chef d'orchestre Laurent Petitgirard. Il nous livre sa vision de la musique qui magnifie l'image, y supplée parfois, voire la détermine.
D'abord, la passion du cinéma. Pour dialoguer avec un metteur en scène, il faut connaître le cinéma et procéder par analogies, face à des interlocuteurs qui n'y connaissent souvent rien à la musique.
Pour s'exprimer dans le milieu du cinéma, il faut aussi être prêt à donner bien plus que de la musique. Quand vous voyez le premier montage, on attend de vous un regard et des observations qui, peut-être, mèneront à en modifier la structure. Le compositeur est l'un des trois auteurs du film, avec le réalisateur et le scénariste. Imagination, rigueur, rapidité sont des qualités incontournables.
La présence de l'image est rassurante. Elle permet de s'appuyer sur un support et éloigne la peur du vide inhérente à la composition. Si le scénariste a besoin d'une mauvaise musique, vous composez une mauvaise musique, pour servir le film.
Cela peut aussi être frustrant, puisque vous n'avez pas le dernier mot, et parfois pervers, car cela peut empêcher d'aller de l'avant. A la fin de sa vie, George Delerue était plutôt malheureux aux Etats-Unis. A part des Prokoviev, Chostakovitch, Corigliano ou Henze, beaucoup de compositeurs ont dénaturé leur langage au cinéma. Ennio Moriconne, par exemple, qui composait de la musique sérielle pour le concert, est méconnaissable dans les westerns.
Le compositeur est l'un des trois auteurs du film.
Qu'est-ce qui fait qu'une musique de film ne convient pas ?
Quand la musique ne marche pas, c'est parce qu'elle est soit trop envahissante, soit redondante avec l'image, soit trop fragmentée par souci de synchronisme avec l'image, ou encore qu'elle tombe dans des schémas éculés. C'est un subtil équilibre à trouver.
J'ai fait la musique d'un film intitulé Fausses notes, dans lequel un pianiste faisait passer des messages secrets via des notes fausses disséminées dans la partition d'une oeuvre connue. J'ai proposé une polonaise de Chopin truffée d'immondes fausses notes. Le réalisateur, Peter Kassowitz, m'a dit : "Et avec les fausses notes, ça donnerait quoi ?" Du haut de ma science, j'avais fait des fausses notes de musicien, alors qu'il voulait des fausses notes qui sonnent faux aux oreilles du grand public. Cela m'a donné une bonne leçon.
Pour Le diable au coeur, avec Jane Birkin, Bernard Queysanne m'avait demandé d'écrire la musique avant le tournage, d'après le scénario - un bonheur de compositeur. Quand j'ai visionné le premier montage du film, j'ai remarqué qu'il manquait une scène qui figurait dans le scénario. "Tu ne l'a pas tournée ?" ai-je demandé à Queysanne. "Non, je trouve que la musique l'avait déjà dit." C'est le plus beau compliment qu'on m'ait jamais fait.
Quelle est la place de la musique de cinéma en France ?
Il y a toujours eu une école française de musique de film, qui a commencé dès les débuts du cinéma avec des compositeurs classique qui ont glissé vers le cinéma, comme, par la suite, Antoine Duhamel, Marcel Landoiwski ou Pierre Jansen. Mais la place des compositeurs français de musique de film dépend de la celle que leur laissent les cinéastes. Et force est de constater que les Américains sollicite plus la musique de film, ce qui explique que les compositeurs français soient heureux de travailler Outre-Atlantique.
Les années 1960 en France se sont caractérisées par un immense mépris à l'égard de la musique de film, qui venait des cercles de musique savante. Et puis avec le développement du cinéma, la nature ayant horreur du vide, on a vu émerger des réalisateurs qui se prenaient pour des compositeurs, des gens qui bricolaient un peu n'importe quoi ou des chanteurs s'improviser compositeurs. Il était urgent de faire revenir dans le cinéma des gens ayant un vrai bagage musical.
Aujourd'hui, les choses commencent à changer, mais il a tout de même fallu attendre 2013 pour voir ouvrir un cursus de composition de musique au conservatoire national.
Avec Alexandre Desplat, c'est la 7ème fois qu'un Français est primé à Hollywood pour une composition destinée au cinéma. Nommé huit fois depuis le début de sa carrière, et deux fois cette année - pour la bande originale d'Imitation Game et celle de Grand Budapest Hotel - Alexandre Desplat, 53 ans, a collaboré à une centaine de films. "Il mérite cette récompense. Il est actuellement le numéro un. Depuis plusieurs années, Alexandre Desplat met en musique les films les plus audacieux au monde. Cet Oscar concrétise un état de fait", souligne Laurent Petitgirard.
De fait, le compositeur, l'un des plus recherchés dans le monde du cinéma, a déjà remporté une foule de récompenses pour, entre autres, les musiques de De battre mon coeur s'est arrêté et De rouille et d'os de Jacques Audiard, The Ghost Writer de Roman Polanski, Le Discours d'un roi de Tom Hooper, ou encore The Queen, L'étrange histoire de Benjamin Button, Largo Winch, Harry Potter, Coco avant Chanel, Twilight, The Tree of Life, Cloclo...