Les limites du "miracle économique" du Gujarat
Derrière l’image du "vibrant Gujarat" se cache une autre réalité : celle d’un Gujarat classé en 13e position en Inde pour son taux de pauvreté, 21e pour l'éducation, et où 23 % des enfants de moins de cinq ans sont mal nourris. Comme le note le grand économiste Amartya Sen : "Le développement du Gujarat a été limité aux classes urbaines moyennes, alors que les zones rurales et les basses castes ont été marginalisées. Sous Modi, le nombre de familles sous le seuil de pauvreté a augmenté et les résultats en termes d'éducation et de santé sont assez mauvais". Pour d’autres détracteurs, il s’approprie le miracle économique à des fins électorales. "C'est un grand manipulateur, qui reprend à son compte la réussite économique du Gujarat, estime l'écologiste Mahesh Pandya. Mais notre État a toujours été l'un des plus avancés du pays. Et les Gujaratis, qui sont des businessmen nés, ne l'ont pas attendu pour faire des affaires !" D'autres accusent sa politique d'avoir multiplié les fractures sociales. "De quel miracle parle-t-on ? s'agace Lajwanti Chatani, professeure de sciences politiques. Je verse 30 % de mon salaire aux impôts pour engraisser les entreprises privées, alors que le secteur public est défaillant. Ici, les profs sont beaucoup moins bien payés qu'ailleurs, mais rien n'est trop beau pour les grands groupes industriels Adani, Essar et consorts, qui se voient par exemple attribuer des terres à des prix bradés."
Et puis, il y a le style de Modi, tellement autoritaire qu'il suscite des résistances jusqu'au sein de son propre parti. Sa désignation comme leader de la campagne électorale est loin d'avoir fait l'unanimité. Lal Krishna Advani, l'un des dirigeants historiques du BJP, qui l'avait pourtant aidé, il y a quelques années, a claqué la porte sur ces mots : "Si Modi devient Premier ministre, ce sera un jour funeste pour la démocratie dans ce pays."
Pour le moment, le BJP a l'avantage, et a balayé le Congrès lors des élections régionales, fin 2013. L’image de Modi "homme de progrès" peut donner 175 à 200 sièges au seul BJP, forçant même de vieux alliés à revenir. Mais le processus électoral indien est complexe et l'issue des scrutins repose généralement sur la mise en place de coalitions pas toujours prévisibles. Avec une nouvelle donne : la victoire spectaculaire de l’Aam Aadmi Party, "parti de l’homme ordinaire", qui gouverne Delhi depuis décembre dernier, davantage enclin à s’allier avec le Congrès.