Fil d'Ariane
Depuis que Donald Trump a exigé que l’ALENA soit renégocié, il souffle le chaud et le froid sur ce dossier : tantôt il gazouille pour répéter ad nauseam que cet accord est le pire jamais signé par les États-Unis et qu’il est temps de le quitter – il l’a qualifié de "mauvaise blague'" il y a quelque jours encore-, tantôt il laisse croire qu’une entente est toujours possible pour le renouveler.
Les Canadiens de leur côté dansent au rythme des humeurs du président américain : tantôt la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, la négociatrice en chef du côté canadien, dit espérer que les trois partenaires réussissent à s’entendre, tantôt elle déclare que le Canada se prépare au pire des scénarios, une sortie des Américains de l'ALENA. Le gouvernement canadien oscille donc entre, d’un côté, une position d’ouverture et de négociation et, de l’autre, un discours ferme avec des avertissements clairs lancés aux Américains qu’il y a des choses qui ne sont pas négociables et qu’ils n’accepteront pas n’importe quoi pour sauver l’accord.
Parmi ces choses qui ne sont pas négociables se trouve ce que l’on appelle la "gestion de l’offre" : les Américains réclament un meilleur accès au marché agricole canadien pour leur lait, leurs œufs et leurs poulets, car ils estiment que cet accès est limité. Le Canada refuse tout net : le gouvernement Trudeau veut protéger les producteurs agricoles du pays qui ne survivraient pas à une invasion massive de ces produits américains sur le marché canadien. Selon des études, jusqu’à 80 000 emplois pourraient disparaître au Canada si disparaissait cette « gestion de l’offre ». Des joueurs importants de l’industrie agroalimentaire canadienne l'one récemment déclaré : plutôt voir l’ALENA disparaître que d'accéder à cette demande américaine.
Autre obstacle : les États-Unis exigent que la moitié des pièces dont on se sert pour construire un véhicule vendu en Amérique du Nord soient produites dans des usines américaines. Le Canada et le Mexique estiment que cette demande des Américains est irrecevable.
Autres exigences américaines que ni Canadiens ni Mexicains n’acceptent : la disparition du mécanisme qui permet de régler les conflits entre les partenaires – les Américains y ont souvent perdu leur cause, ils aimeraient donc que ce mécanisme soit abrogé – et la clause dite « crépuscule » : les États-Unis veulent que l’ALENA, s’il est renouvelé, ait une durée de vie maximale de 5 ans après sa signature, sauf si les trois pays s’entendent pour le reconduire en cours de route. Les Canadiens et les Mexicains s’opposent à cette clause parce qu’ils estiment qu’elle pourrait créer de l’instabilité et de l’insécurité pour les investisseurs et le monde des affaires. Le Mexique propose à la place un processus de révision rigoureux de l’accord qui se ferait tous les cinq ans.
Les trois pays peuvent-ils trouver des compromis sur ces enjeux alors que le fossé entre leurs positions est si grand qu’il semble impossible à combler ? Les Canadiens amorcent les discussions de cette semaine à Montréal avec des contre-offres aux exigences américaines pour tenter de dénouer l’impasse. « Le Canada arrive avec des idées constructives, innovatrices pour essayer de trouver des solutions » a déclaré le ministre canadien du Commerce international François-Philippe Champagne à l’ouverture des négociations.
Le président Trump est-il vraiment en faveur d’un renouvellement de l’ALENA alors qu’une partie de sa base électorale, les purs et durs, souhaite sa disparition ?
Le Canada a multiplié ces derniers mois les démarches pour rencontrer des membres du Congrès, des maires et des gouverneurs d’États américains directement concernés par ces négociations afin d’aller chercher des alliés pour faire pression sur l’administration Trump.
« Ce calendrier-là est déjà commencé, il y a des États que le président pourrait perdre au niveau du Congrès et qu'il ne veut pas perdre. Ça c'est des États sur lesquels il faut travailler plus » a précisé le négociateur en chef du gouvernement québécois Raymond Bachand.
Ce dossier de l’ALENA sera clairement un enjeu des élections de mi-mandat qui vont se tenir l’automne prochain aux États-Unis.
Pour beaucoup d’analystes, cette sixième ronde de négociations qui se tient à Montréal pourrait bien être celle de la dernière chance. Et plus que jamais, Canadiens et Mexicains doivent effectivement se préparer à ce que Donald Trump mette sa menace à exécution en retirant son pays de l’ALENA, signant ainsi l’arrêt de mort de cet accord qui régit les échanges commerciaux entre les trois pays depuis 1994.