La décision de la Commission fédérale des communications américaine de supprimer la neutralité du Net aux Etats-Unis provoque une onde de choc mondiale. La France, censée être protégée par la directive européenne sur la neutralité du Net depuis mai 2016, est pourtant sur la brèche. Le PDG d'Orange, Stéphane Richard, a en effet annoncé, 4 jours avant la décision américaine, qu'il fallait en finir aussi avec cette neutralité du Net en France. Analyse.
Cette interview de Stéphane Richard risque de rester longtemps gravée dans les esprits. En effet, ce lundi 11 décembre 2017,
le PDG d'Orange, interrogé par BFM TV sur l'état de sa réflexion sur un "Internet à plusieurs vitesses", s'est empressé de répondre : "
C'est une obligation.". Puis Stéphane Richard de déclarer que "
l'internet des objets", dont la voiture autonome, allait créer une obligation de proposer aux industriels "
des internets particuliers en terme de latence, en terme de vitesse (…) avec des fonctionnalités, des puissances, et des qualités différentes". Et d'enfoncer le clou en précisant : "
il faut qu'on nous laisse faire". Ce "nous", en réalité, indique les Fournisseurs d'accès Internet (FAI), les mêmes qui ont eu gain de cause aux Etats-Unis ce jeudi 14 décembre avec le vote de la
FCC (Commission fédérale des communications) à trois voix contre deux pour supprimer la neutralité du Net aux Etats-Unis.
D'Internet… aux Internets
La décision de la FCC de casser le principe de neutralité du Net aux Etats-Unis repose sur un constat des opérateurs de télécommunication assez simple : de plus en plus de services en ligne sont consultés par de plus en plus de personnes, et donc la bande passante doit être en permanence "agrandie" (la taille des tuyaux) pour permettre d'accéder correctement à ces services. Les fournisseurs de service, dont les plus gourmands en bande passante, que sont Google avec Youtube ou Netflix avec son service éponyme de vidéo à la demande par exemple, obligent donc les FAI et les opérateurs à investir sans cesse pour améliorer le réseau sans jamais y participer finacièrement. Internet est un réseau mondial, décentralisé, sans directoire, et a su au fur et à mesure qu'il s'étendait, s'enrichissait, s'améliorer. Le concept de neutralité du réseau, consubstantiel au fonctionnement d'origine de celui-ci a été formalisé en 2000
par un spécialiste du droit, Tim Wu. Cette formalisation permet de comprendre et de garantir que la neutralité est en réalité un bien commun de l'humanité, un service public. Chacun peut y accéder de la même manière, consulter les mêmes sites, avoir les mêmes fonctionnalités, pouvoir y construire des briques logicielles ou matérielles sans discrimination. Ce qui fait qu'une toute petite structure, un individu seul, une association peuvent être autant visibles qu'une super structure ou un Etat.
La fin de l'accès universel au réseau
L'universalité d'Internet tient à un phénomène : le réseau Internet est le même pour tous, sauf pour les pays autoritaires comme la Chine, la Russie ou l'Iran, par exemple, qui filtrent et déterminent ce qui peut être consulté ou non par leurs populations respectives. Mais dans une majorité de pays, la liberté démocratique d'Internet est réelle et s'inscrit dans sa neutralité : que l'on soit puissant ou faible, nos paquets d'informations sont transportés de la même manière. Le courriel élyséen du président Macron emprunte des chemins similaires que celui de Madame Martin dans le Lubéron. Rien ne les différencient, les matériels actifs du réseau ne savent pas qu'un courriel est de Macron ou de Martin, et le jeune geek du 9ème arrondissement de Lyon peut regarder les mêmes vidéos en ligne, avec la même fluidité que le cadre supérieur d'une multinationale à New-York. Pour peu que les débits fournis par leurs FAI soient suffisant, ce qui est en général le cas.
Faire "des internets", comme le souhaite Stéphane Richard et comme les Etats-Unis de Donald Trump ont déjà décidé de le faire représente donc la perte d'universalité du réseau. En fonction de votre abonnement, vous aurez un certain Internet. Pas tout Internet. Ou bien vous aurez tout Internet mais avec des vitesses plus ou moins grandes en fonction de quel service vous consulterez. Tout ça pour que des objets connectés envoient des informations vers des services commerciaux ou des systèmes "intelligents" ?
Pas sûr que ces arguments suffisent à convaincre en France et en Europe tous ceux qui tiennent à conserver un accès universel au réseau. Les Internautes au premier chef.