Herta Müller : la lauréate du prix Nobel de littérature est une romancière très engagée
Herta Müller est une romancière allemande d'origine roumaine.
Cette femme de 56 ans est exilée en Allemagne de l'est depuis 1987, à cause de son combat contre la dictature communiste de l'ex- président roumain Nicolae Ceausescu.
Herta Müller est couronnée "pour avoir avec la poésie...dessiné les paysages de l'abandon", dixit l'Académie suédoise du prix Nobel.
Récit d'Achren Verdian
8 octobre 2009 - 1'55
“Dans le système communiste de l’époque, une opposition littéraire s’apparentait à une opposition politique“
Entretien avec Anca Cristofovici, écrivain et professeur de littérature américaine à l’université de Caen
Parlez-nous d’Herta Müller, qui comme vous est une écrivaine d’origine roumaine et a dû quitter la Roumanie à l’époque de Nicolae Ceausescu...
Je ne la connais pas personnellement. C’est vrai que j’ai moi-même quitté la Roumanie en 1985. Je sais qu’elle a appartenu à un groupe d’étudiants et d’écrivains de la région de Banat (ndlr : ouest de la Roumanie) très actifs dans les années 1970. Ce groupe constituait une véritable opposition littéraire au régime communiste de l’époque. Je vivais à Bucarest et nous ne nous sommes jamais rencontrées, mais j’ai lu presque tous ses livres.
Tout ce que je sais d’elle, je l’ai tiré de ses livres, puisqu’elle y intègre des données biographiques. Il n’y a pas dans ses livres une volonté manifeste de parler d’elle-même, mais elle fait allusion aux expériences vécues. Je me retrouve facilement dans ses écrits, puisque j’ai vécu à peu près autant de temps qu’elle en Roumanie.
C’est quelqu’un qui est vraiment dans la justesse, l’exactitude, qui n’a pas un discours revendicateur, ni héroïque. Elle ne se place pas non plus comme une victime. Elle a essayé de parler du système roumain avec des détails très fins. C’est là la force de son écriture, c’est cela son authenticité.
Elle a mérité le surnom d’écrivaine engagée ?
Je n’affectionne pas vraiment ce terme. Non pas parce qu’il s’agit d’Herta Müller. Un écrivain est un écrivain, et l’engagement c’est autre chose. Elle explore la nature humaine à travers ses ouvrages. Être engagé c’est surtout dénoncer des faits. Le groupe auquel elle appartenait ne dénonçait pas. Il défendait la liberté d’expression à travers la littérature. C’est vrai que dans le système communiste de l’époque, une telle opposition littéraire s’apparentait à une opposition politique.
Comment vivait-on son statut d’écrivain à l’époque du régime de Nicolae Ceausescu ?
Les écrivains le vivaient très difficilement, dans la mesure où ils n’étaient pas libres d’exprimer leurs opinions, et qu’ils étaient obligés de partager les points de vue du gouvernement. C’est sûr que dans un tel contexte, les écrivains utilisaient plus des formes littéraires métaphoriques et allégoriques. Ils écrivaient non pas pour exprimer des opinions, mais pour les cacher. C’était la voie prise par beaucoup d’écrivains roumains.
Quelles peuvent être les répercussions de cette récompense sur le plan international ?
Vous savez, je ne considère pas Herta Müller comme une écrivaine particulièrement roumaine. Elle est née dans une région de la Roumanie multiculturelle. Je dirais qu’elle est plutôt une écrivaine européenne.
Je crois que l’un des mérites de ce prix est évidemment de faire reconnaître ce qui s’est passé à une époque en Roumanie. D’autre part, cette récompense valorise un genre littéraire situé entre le roman, la poésie et l’autobiographie, bref un style qui ne correspondent pas à un genre littéraire spécifique. Il met en avant les qualités de cette auteure polyglotte dont la culture dépasse une appartenance nationale - Elle est à la fois pétrie de culture roumaine et germanophone.
Vous pensez que ce prix aurait changé quelque chose en Roumanie s’il était intervenu il y a 20 ans ?
Comme on le sait malheureusement, la littérature ne change que très peu de chose dans la situation politique d’un pays. Il travaille à plus long terme et dans la conscience des gens.
Selon vous, Herta Müller mérite ce prix Nobel ?
Ah Oui ! Tout à fait…
Propos recueillis par Christelle Magnout
9 octobre 2009
Herta Müller, une romancière confrontée à la censure en Roumanie
Biographie
La romancière allemande d'origine roumaine Herta Müller, 56 ans, qui a reçu jeudi le Prix Nobel de littérature, est issue de la minorité germanophone de Roumanie, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 34 ans et a connu la censure du régime communiste.
En Roumanie, elle fut proche dans sa jeunesse d'un groupe d'écrivains germanophones perçu par le régime de Nicolae Ceaucescu comme un "ferment d'opposition". Elle s'est exilée en 1987 en Allemagne de l'Ouest et vit aujourd'hui à Berlin.
Peu connue du grand public jusqu'au début des années 2000, Herta Müller a été découverte et saluée par la critique dès 1984, avec la parution d'un recueil de récits, "Bas-fonds", qu'elle avait réussi à faire sortir clandestinement de Roumanie.
Elle a notamment écrit "L'Homme est un grand faisan sur terre", "Le Renard était déjà le chasseur", qui raconte le quotidien dans un Etat totalitaire, et "L'animal du coeur", qui décrit un cercle de dissidents roumains. Dans "La Convocation", elle décrit l'angoisse d'une femme convoquée par la Securitate, la police politique de Ceaucescu.
Née le 17 août 1953 à Nitchidorf, près de Timisoara, dans une région de tradition germanophone, le Banat (ouest et sud-ouest de la Roumanie), Herta Müller est la petite-fille d'un agriculteur et commerçant aisé, dépossédé par les communistes. Sa mère a été déportée dans un camp de travail forcé en Union soviétique.
Elle a étudié l'allemand et la littérature roumaine à Timisoara, puis a travaillé comme traductrice dans une usine de la ville, avant d'être démise de ses fonctions en 1979 pour avoir refusé de collaborer avec la Securitate.
Source AFP
Nobel de Littérature: les quinze derniers lauréats
2009: Herta Müller (Allemagne)
2008: Jean-Marie Gustave Le Clezio (France)
2007: Doris Lessing (Grande-Bretagne)
2006: Orhan Pamuk (Turquie)
2005: Harold Pinter (Grande-Bretagne)
2004: Elfriede Jelinek (Autriche)
2003: J.M. Coetzee (Afrique du sud)
2002: Imre Kertesz (Hongrie)
2001: V.S. Naipaul (Grande-Bretagne)
2000: Gao Xingjian (France)
1999: Gunter Grass (Allemagne)
1998: Jose Saramago (Portugal)
1997: Dario Fo (Italie)
1996: Wislawa Szymborska (Pologne)
1995: Seamus Heaney (Irlande)