Nomination de Michaëlle Jean : l'Afrique accuse le coup

Pour la première fois depuis sa création, en 1970, le secrétariat général de l'OIF échappe à l'Afrique. C'est donc Michaëlle Jean, ancienne Gouverneure du Canada d'origine haïtienne, qui prendra la succession du Sénégalais Abdou Diouf au Secrétariat général de la Francophonie. Frustrées, amères ou optimistes : les réactions sont contrastées.
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Nomination de Michaëlle Jean : l'Afrique accuse le coup
Abdou Diouf lève le bras de la Canadienne Michaëlle Jean, désignée pour lui succéder à la tête de la Francophonie, lors du 15e sommet à Dakar. Michaëlle Jean, première femme et première non Africaine à la tête de la Francophonie.
(AFP)
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La nomination de Michaëlle Jean doit beaucoup à la chute, fin octobre 2014, du président burkinabè Blaise Compaoré. Car c'est lui que le secrétaire général sortant, Abdou Diouf, et le président français François Hollande, souhaitaient voir hériter du poste. Après la mise au banc du président déchu, l'Afrique est restée divisée et n'a pas su trancher entre l'ex-président burundais Pierre Buyoya, l'écrivain et diplomate congolais Henri Lopes, l'ex-Premier ministre mauricien Jean-Claude de l'Estrac et l'ancien ministre équato-guinéen Agustin Nze Nfumu. Le choix s'est donc porté sur une francophone d'Amérique et, qui plus est, une femme. Une double première qui a suscité des réactions contrastées. L'Afrique a le cafard Henri Lopes, candidat malheureux pour la seconde fois, l'a admis sans faux-semblant à la rédaction de Jeune Afrique : "Je félicite Mme Michaëlle Jean... J'ai le cafard... Dans ces moments-là, il vaut mieux se taire. Je crois que j'ai mal lu la géopolitique africaine." Pour Jean-Claude de l'Estrac, moins dans l'émotion, mais plus cassant, la pilule a aussi du mal à passer : "Je trouve surprenant que la France ait laissé ce poste échapper à l'Afrique. Et je ne suis pas sûr que cela soit dans son intérêt... Au-delà du candidat, c'est une indiscutable défaite africaine. Au Sénégal, pays de Senghor, l'Afrique laisse échapper la seule organisation internationale d'importance qu'elle contrôlait." Au milieu de toute cette amertume, la réaction d'Augustin Nzé Nfumu, tranche : "Nous sommes heureux qu’il y ait pu avoir un consensus, c’est pour cela que nous avons retiré notre  candidature". Et d'ajouter, faisant écho au candidat équato-guinéen, "D'une certaine façon, elle est aussi africaine" de François Hollande, "De toute façon, du sang africain coule dans les veines de la nouvelle secrétaire générale." Les dinosaures de l'élite africaine, comme Denis Sassou Nguesso ou Alassane Ouattara, ont vivement critiqué ce choix motivé par la France. Pour le ministre congolais des Affaires étrangères, Basile Ikouebé : "Michaëlle Jean est une bonne candidate, qui a les compétences requises. Mais nous déplorons qu'aujourd'hui, on s'oriente vers une Francophonie politique où l'on vient donner des leçons aux Africains sur leur sol, tout en menaçant les États qui ne respecteraient pas les règles constitutionnelles qu'ils feront face à des insurrections soutenues de l'extérieur." Une allusion au discours du président François Hollande, qui, parmi certaines délégations africaines, a provoqué plus de défiance que l'élection de Michaëlle Jean elle-même. Le président français avait mis en garde les dirigeants africains tentés de s'accrocher au pouvoir à tout prix. Le président de la Guinée, Alpha Condé, exprime, lui aussi, la blessure de l'Afrique :
Une victoire pour Haïti Si l'élection de la Canadienne d'origine haïtienne est parfois perçue comme un "échec" pour l'Afrique, les Haïtiens, eux l'ont accueillie comme il se doit. "Une victoire pour notre chère Haïti," s'est exclamé lé président Michel Martelly. Il a salué "l'exploit" de Michaëlle Jean et souligné "l'engagement exceptionnel de cette haïtiano-canadienne aux côtés des jeunes et des femmes ainsi que sa détermination". De son côté, le Premier ministre Laurent Lamothe a félicité "cette femme remarquable née sur la terre d'Haïti qui a toujours manifesté sa solidarité à l'endroit du peuple haïtien".
Un très fort symbole pour l'Unesco La directrice générale de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), Irina Bokova, a qualifie cette désignation d"'excellente nouvelle" et de "symbole très fort" à l'issue d'un sommet de deux jours consacré aux jeunes et aux femmes. Son action "a été un modèle de dynamisme et de vision moderne du multilatéralisme. Et je vois dans cette élection la promesse d'un partenariat encore plus fort entre l'Unesco et la Francophonie, dans le sillage du grand Abdou Diouf", a-t-elle conclu. Au Canada : la francophonie du XXIe siècle "Je suis particulièrement heureux que, pour la première fois de son histoire, la Francophonie ait élu une Canadienne à sa tête", déclare le Premier ministre canadien Stephen Harper. Au nom de son gouvernement, il a félicité la nouvelle secrétaire générale de l'OIF qui, dit-il, "est la personne idéale pour promouvoir le français ainsi que les valeurs de l'organisation. Elle saura incarner le renouveau et la modernité dont a besoin la Francophonie du XXIe siècle... J'ai hâte de travailler avec la nouvelle secrétaire générale ... sur les engagements pris lors du sommet de Dakar, notamment en ce qui concerne les femmes et les jeunes, et plusieurs autres dossiers d'importance, dont les questions de développement, de démocratie et de paix," a continué Stephen Harper. De fait, Stephen Harper a soutenu avec ferveur la candidature de Michaëlle Jean. Par conviction, certes, mais aussi parce que leurs intérêts convergent :
De fait, une Canadienne à la tête d'une organisation représentant 270 millions de francophones (767 millions en 2060 selon les projections), donne au Canada une autre dimension sur la scène mondiale. Mais ce n'est pas tout. Michaëlle Jean pourrait aussi l'aider à mener à bien des campagnes qui lui tiennent particulièrement à coeur, comme la santé maternelle et périnatale, ou encore la vaccination en Afrique, selon CBC News. Bref, une alliance improbable au premier abord, mais qui semble promise à un grand avenir.