Les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 reliant la Russie à l'Allemagne sous la mer Baltique fuient de manière spectaculaire depuis ce lundi 26 septembre. La piste du sabotage est avancée par les autorités russes et européennes. Comment expliquer les dommages sur les infrastructures ? Quelles peuvent être les causes et les conséquences de ces fuites ? Éléments de réponse avec Thierry Bros professeur à Science Po et spécialiste des questions d'énergie.
Au large de l'île danoise de Bornholm, en en pleine mer Baltique, trois grandes fuites de gaz agitent les eaux. Les tuyaux de gaz de Nord Stream 1 et Nord Stream 2, reliant la Russie à l'Allemagne, ont été endommagés ce lundi 26 septembre. Des millions de mètres cubes de gaz sont ainsi relachés dans la mer Baltique entre le sud de la Suède et le nord de la Pologne. L'origine de l'incident est pour l'heure indéterminé, mais dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine, Russes d'un côté Européens et Américains de l'autre s'accusent mutuellement d'acte de sabotage.
Voir : Qui a saboté le gazoduc Nordstream ?
Le réseau Nord Stream 1, propriété du groupe russe Gazprom, a cessé de fonctionner au début du mois de septembre 2022 en raison du conflit en Ukraine. Le second réseau, Nord Stream 2, n’a quant à lui, jamais été mis en service pour les mêmes raisons. Si aucun des deux gazoducs n’étaient opérationnels au moment de la découverte des fuites, ils n’en étaient pas moins remplis de gaz.
L'évacuation de l'ensemble du gaz pourrait prendre une semaine selon les autorités danoises. Ces fuites de gaz ont un effet catastrophique sur l’environnement. Les millions de mètres cubes de méthane libérés sont responsables en grande partie des gaz à effet de serre.
À voir : Gaz russe : Gazprom suspend NordStream
TV5MONDE : Si l’hypothèse d’un sabotage venait à être confirmée, à qui pourrait profiter cette opération ? Thierry Bros : Je pense tout d’abord qu’il s’agit nécessairement d’un sabotage. Il n’y a aucune raison d’observer trois fuites dans un intervalle aussi court sur deux systèmes de gazoducs jusqu’alors en parfait état de marche.
La question de la responsabilité du sabotage est toutefois beaucoup plus complexe. Je n’imagine pas les Européens, les Ukrainiens ou les Américains responsables de ce sabotage. Mais la responsabilité directe de la Russie n’est pas évidente non plus.
D’abord parce que ce sabotage coupe définitivement tout approvisionnement direct de gaz russe vers l’Europe. Certes, on n’utilisera vraisemblablement jamais plus de gazoducs directs entre la Russie et l’Europe, mais pour l’heure la Russie continue de vendre du gaz aux pays de l'Union via des réseaux qui passent par l’Ukraine et la Turquie.
Si l’objectif des Russes en menant ce genre d’opération est de susciter la peur des Européens, la neutralisation d’un seul des deux gazoducs aurait suffisante. Pourquoi détruire tout ce qui vous appartient lorsqu’en détruisant seulement une partie des infrastructures vous obtenez le même résultat ?
À lire : Guerre en Ukraine et hydrocarbures : la Russie peut-elle se passer de ses clients européens ? Russes et alliés de l’Ukraine se renvoient la responsabilité de l’attaque.
Les origines de ces fuites ne sont pas identifiées avec certitude mais les instituts sismiques suédois, norvégiens et danois ont enregistré deux explosions sous-marines "
très probablement dues à des détonations", juste avant l’incident.
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L'avis clair des autorités [danoises] est qu'il s'agit d'actes délibérés. On ne parle pas d'un accident", a déclaré la première ministre Mette Frederiksen danoise ce mardi 27 septembre. "
Des détonations ont eu lieu et il s'agit probablement de sabotage", a renchéri la première ministre suédoise démissionnaire Magdalena Anderson, en charge des affaires courantes jusqu’à la prise de fonctions du nouveau gouvernement.
De son côté, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki dresse un lien direct entre l’incident et la guerre en Ukraine. "
Nous voyons clairement que c'est un acte de sabotage, qui marque probablement la prochaine étape de l'escalade de la situation en Ukraine", a-t-il déclaré ce mardi 27 septembre. Le premier ministre inaugurait justement ce jour un nouveau gazoduc reliant la Norvège à la Pologne.
Les autorités ukrainiennes n’hésitent pas, quant à elle, à désigner un coupable. Le conseiller de la présidence ukrainienne, Mykhaïlo Podoliak dénonce "
une attaque terroriste planifiée" par Moscou sans en apporter de preuves.
Il est "
prévisible, stupide et absurde" de soupçonner la Russie d'être derrière les fuites massives détectées autour des installations Nord Stream, a réagi Moscou ce mercredi 28 septembre. "
Ces fuites sont problématiques pour nous, car les deux tubes sont remplis de gaz (russe) prêt à être pompé, et ce gaz coûte très cher. Maintenant, ce gaz est en train de s'échapper", a déclaré à la presse Dmitri Peskov porte-parole du Kremlin. Les autorités russes accusent directement les Américains d’être responsables de ces fuites.
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Le président américain est obligé de répondre à la question de savoir si les États-Unis ont mis à exécution leur menace", a lancé sur Telegram Maria Zakharova porte-parole de la diplomatie russe. La diplomate fait ainsi référence aux propos du président américain en février 2022 lorsque ce dernier déclarait que Washington "
mettrait fin" à Nord Stream 2 si Moscou intervenait militairement en Ukraine.
À lire : Géopolitique : le gazoduc russo-allemand Nord Stream 2 rebat les cartesPlus prudent, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen reconnaît "
un acte de sabotage" mais n’incrimine personne directement.
TV5MONDE : Dans le cas d'un sabotage imputable à la Russie, quels pourraient-être les intérêts du Kremelin ? Dans ce type d’opération de sabotage, l’intérêt pour les Russes pourrait être de nous montrer que si nous ne faisons pas attention à nos installations énergétiques critiques, alors nous pourrions nous retrouver sans énergie cet hiver.
La destruction ou l’endommagement d’une installation active pourrait mettre le système européen en très forte tension et créer un très fort risque de récession.Thierry Bros, professeur à Science Po, spécialiste des questions d'énergie.
Pour l’heure, les conséquences de ce sabotage sont nulles dans la mesure où les gazoducs n’étaient pas en fonction. En revanche si de nouvelles attaques surviennent sur un réseau en activité alors les conséquences pourraient être majeures. Aujourd’hui, nous avons besoin de l’ensemble des infrastructures disponibles. La destruction ou l’endommagement d’une installation active pourrait mettre le système européen en très forte tension et créer un très fort risque de récession.
La sécurité des infrastructures en question.
Dans ce contexte, plusieurs gouvernement européens ont annoncé des mesures de protections suplémentaires de leurs infrastructures.
La Norvège annonce "renforcer la préparation aux situations d'urgence en ce qui concerne les infrastructures et les installations à terre et en mer sur le plateau continental norvégien".
L'Allemagne se prépare à "des scénarios qui étaient encore inconcevables il y a peu", selon la ministre allemande de l'Intérieur Nancy Faeser.
La "protection des infrastructures critiques", qui recouvrent notamment la production d'électricité, le transport du gaz et matières premières est présentée comme "la plus haute priorité" par la Ministre. La police fédérale patrouille ainsi 24 heures sur 24 et 7 jours par semaine en mer du Nord et en mer Baltique.
Enfin, le service de renseignement suédois a annoncé le 28 septembre prendre la tête d'une enquête pour "sabotage aggravé".
De premiers résultats ont été dévoilés ce vendredi 30 septembre. "Les quatre fuites touchant les gazoducs Nord Stream en mer Baltique sont dues à des explosions sous-marines correspondant à des centaines de kilos de TNT", selon un rapport officiel de la Suède et du Danemark remis aux Nations-Unies. Pour l'heure aucune information ne permet de désigner les auteurs de ce sabotage.
TV5MONDE : si la Russie n’est pas derrière cette opération, qui pourrait en être à l’origine ? L’opération a vraisemblablement était menée par un État.Thierry Bros, professeur à Science Po, spécialiste des questions d'énergie.
Cette question est complexe et je ne pense pas qu’il soit possible d’y répondre simplement. En revanche, ce que l’on peut dire c’est qu’il est nécessaire de posséder une technologie conséquente pour effectuer ces opérations. Il faudra vérifier si les fuites sont dues à une charge explosive posée à l’extérieur du tuyau ou à un tir de sous-marin. Quoi qu’il en soit, l’opération a vraisemblablement était menée par un État.
Voir : Sabotage du gazoduc Nordstream : est-ce un acte de guerre ?