Fil d'Ariane
Ce sont désormais quatre fuites de gaz dans la mer Baltique. Depuis le 26 septembre, les gazoducs Nord Stream 1 et 2, qui relient la Russie à l’Allemagne à travers la mer Baltique fuient. Les autorités européennes privilégient la piste du sabotage.
Au-delà des enjeux diplomatiques et économiques, ces fuites ont-elles des conséquences sur l’environnement ? Selon les autorités du Danemark, au large duquel les avaries se sont produites, les fuites se poursuivront jusqu'à épuisement de ce gaz, ce qui devrait prendre "au moins une semaine". "Si c'était délibéré, c'est un crime environnemental", déclare ainsi Jeffrey Kargel, du Planetary Research Institute d'Arizona. Toutefois, "si la quantité de gaz provenant du gazoduc est évidemment importante, ce n'est pas le désastre climatique auquel on pourrait penser", tempère-t-il.
Ces gazoducs, même s’ils n’étaient pas opérationnels, contiennent du gaz naturel, principalement du méthane. Dans le dernier rapport du GIEC, il est mentionné qu’un tiers du réchauffement climatique actuellement constaté est dû aux émissions de méthane. Comment expliquer qu’il soit aussi puissant ?
“Le méthane est un gaz au pouvoir réchauffant 84 à 87 fois plus puissant que le CO2 sur vingt ans”, explique Anna-Lena Renaud, chargée de campagne climat & transition juste à l’association des Amis de la Terre, interrogée par le quotidien français Libération. Sur un horizon de 100 ans, l’effet de réchauffement du méthane est “28 fois plus nocif que le dioxyde de carbone pour le réchauffement climatique”, précise François Gemenne, chercheur au FNRS à l’Université de Liège et auteur principal du GIEC.
Cependant, la durée de vie du méthane dans l'atmosphère est relativement courte, une dizaine d'années, contre des décennies, voire des centaines d'années pour le CO2. Il se peut également que les fuites de gaz n'aient qu’un impact limité sur la biodiversité de la mer Baltique. Le méthane ne se dissout que très peu dans l’eau.
Experts et ONG s'attellent à calculer la contenance possible des tuyaux au moment de l'avarie. Sur Twitter, Andrew Baxter, directeur du Fond de défense environnementale, calcule la quantité de gaz qui peut potentiellement s'échapper de Nord Strem 2, en prenant en compte plusieurs paramètres : la taille du gazoduc, la pression, la température, le nombre de fuites,... Selon ses calculs, environ “121 000 tonnes de gaz naturel finissent dans l’atmosphère. Si l’on considère qu’il est constitué à 95% de méthane, cela représente 115 000 tonnes de méthane. Cela représente 9.6 millions de tonnes d’équivalent de CO2”, résume-t-il. En d’autres mots, “c’est le même impact climatique que les émissions annuelles de 2 millions de voitures à essence ou de 2.5 centrales à charbon.”
Therefore 121 million kg of natural gas ends up in the atmosphere.
— Andrew Baxter (@andrewg_baxter) September 27, 2022
Let's assume 95% methane content...
115,000 tons of methane
That's 9.6 million tons of CO2 equivalent.
The same climate impact as the annual emissions of 2 million gasoline cars or 2.5 coal power stations
Il est encore trop tôt pour déterminer quelles sont les quantités de gaz qui se sont échappées.François Gemenne, chercheur au FNRS de l'Université de Liège
Cependant, chacun a un mode de calcul différent ce qui fait que le résultat est toujours différent et incertain. “Il est encore trop tôt pour déterminer quelles sont les quantités de gaz qui se sont échappées”, explique François Gemenne.
Paul Balcombe, professeur honoraire du département d'ingénierie chimique de l'Imperial College de Londres, estime qu'il "est peu probable que la totalité des contenus fuira". Mais si un seul des tuyaux se vide totalement, cela égalerait la pire fuite jamais enregistrée aux États-Unis, en 2015, sur le site de stockage souterrain californien d'Aliso Canyon, selon lui.
En plus des conséquences visibles de ces fuites, à savoir les bulles de gaz qui remontent à la surface, il y a aussi des conséquences invisibles. “On va d’abord constater une hausse des concentrations des gaz à effets de serre dans l’atmosphère, explique François Gemenne. Dans le cas présent, ça sera une hausse des concentrations de méthane dans l’atmosphère." Les fuites de Nord Stream auront localement "un effet réchauffant immédiat et sur la qualité de l'air", souligne Piers Forster, directeur du Centre international Priestley pour le climat, à l'université britannique de Leeds.
Mais au niveau mondial, elles ne représentent pas grand-chose, l'équivalent d'environ deux heures et demi d'émissions, explique Jeffrey Kargel. Pour autant, elles constituent selon lui un rappel de l'urgence de la lutte contre ces émissions, alors que les impacts désastreux du réchauffement se font de plus en plus sentir à travers le monde. "Le climat mondial change radicalement, avec des conséquences climatiques extrêmes en augmentation chaque année", souligne-t-il.
Cette fuite pourrait anéantir certains des efforts consentis par le passé pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.François Gemenne, chercheur au FNRS de l'Université de Liège
“On sait que les fuites accidentelles sur des gazoducs, parce qu’ils sont mal entretenus ou vétustes, constituent une source importante d’émissions de méthane, précise François Gemenne. On peut craindre que ce soit a fortiori le cas dans le cas d’un sabotage, qui n’est pas ici une fuite accidentelle.” Selon lui, “cette fuite pourrait anéantir certains des efforts consentis par le passé pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.” En revanche, les conséquences ne seront pas visibles immédiatement. “Ça mettra encore au moins 20 ans avant que ça ne se traduise par un effet sur la température, analyse le chercheur au FNRS. C’est tout le problème du changement climatique : c’est l’effet retard entre nos actions et les conséquences de nos actions.”