A la tête du Cambodge depuis 1941, successivement "roi", chef de l'Etat à vie", allié puis prisonnier de fait des Khmers rouges puis de nouveau roi, à l'occasion artiste et écrivain, Norodom Sihanouk s'est éteint à Pékin dans sa quatre vingt-dixième année. Avec Habib Bourguiba, Léopold Senghor et Hamani Diori, il avait été dans les années 60 l'un des pères de la francophonie.
Derrière l'image d'un autocrate à l'humeur velléitaire, l'ex-roi Norodom Sihanouk, décédé lundi à Pékin à l'âge de 89 ans, est une des grandes figures politiques asiatiques du XXe siècle, qui n'aura eu de cesse de préserver l'unité du Cambodge, déchiré par des décennies de guerre civile. Deux fois exilé, deux fois restauré, ce personnage hors du commun avait abdiqué à 82 ans pour raison de santé, en s'assurant de la survie de la monarchie pour éviter le "chaos". Son fils préféré, Norodom Sihamoni, lui avait succédé en 2004. Pendant plus de 50 ans, le petit homme au caractère souvent déconcertant et à la voix haut perchée, grand amateur de champagne et de foie gras, cinéaste, poète et compositeur, s'est déployé inlassablement sur la scène diplomatique internationale en dépit d'une carrière à éclipses.
Fier d'avoir côtoyé tous les grands de l'après-guerre, Tito, Mao et de Gaulle, qu'en francophone passionné il admirait profondément, Sihanouk a survécu aux manipulations de ses protecteurs français, à l'humiliation d'un coup d'Etat, à la captivité sous les Khmers rouges et à l'exil. Pour le petit peuple cambodgien qui le vénérait comme un demi-dieu, il était Samdech Euv, Monseigneur Papa. "Sihanouk est le Cambodge", résumait simplement son biographe officiel Julio Jeldres. Installé sur le trône par les Français en 1941, il obtient douze ans plus tard l'indépendance du pays, sans effusion de sang. Après avoir choisi d'abdiquer une première fois pour embrasser la politique au milieu des années 1950, l'héritier des bâtisseurs d'Angkor, plusieurs fois Premier ministre, consacre toute son énergie à l'idée qu'il se fait du Cambodge, un petit royaume "neutre", au passé fabuleux. Avec Habib Bourguiba (Tunisie), Léopold Sédar Senghor (Sénégal) et Hamani Diori (Niger), il fait partie des fondateurs de la francophonie, dessein à leurs yeux de regrouper les pays nouvellement indépendants pour poursuivre avec la France des relations fondées sur des affinités culturelles et linguistiques. De cette première "ère Sihanouk", les Cambodgiens se souviendront d'une époque de paix et de relative prospérité, d'un certain "âge d'or" dont la vision nostalgique est renforcée par les terribles épreuves qui suivirent.
Allié et captif
Investi de la double légitimité dynastique et populaire, Sihanouk n'a jamais reculé devant les volte-faces les plus spectaculaires et les alliances apparemment incongrues, avec la Chine et la Corée du Nord notamment. Mais sa décision la plus controversée restera son alliance avec le régime de Pol Pot. En mars 1970, alors que Sihanouk est en visite en URSS, le général Lon Nol, chef du gouvernement et allié des Américains, le renverse. Immédiatement, le roi part à Pékin pour fonder un gouvernement en exil, le Gouvernement royal d'union nationale du Kampuchéa, et se range du côté du Nord Viêt-Nam espérant du gouvernement de Hanoï de l'aide militaire pour lutter contre le gouvernement dissident du Cambodge. Il devient président du Front uni national du Kampuchéa. Le 17 avril 1975 : l'Armée populaire de libération nationale du FUNC remporte la victoire militaire. Le Kampuchea démocratique est fondé et Norodom Sihanouk en devient le président. Cependant, en avril 1976, il démissionne et est détenu en résidence surveillée. En 1979, à la chute des Khmers rouges, il fuit le Cambodge avant l’invasion vietnamienne et trouve refuge en Corée du Nord.
“cette trop longue longévité“...
Juste après les accords de paix de Paris en 1991, dont il est l'un des artisans, Sihanouk rentre triomphalement chez lui et remonte sur le trône en 1993, comme monarque constitutionnel qui "règne mais ne gouverne pas". Il promet alors à des Cambodgiens traumatisés d'établir "le régime le plus démocratique et le plus libéral qui soit". Ce n'est qu'en 1998 que le royaume voit arriver la paix. Mais l’État de droit est encore loin de prévaloir dans un pays où le Premier ministre Hun Sen n'a de cesse de consolider un pouvoir qu'il détient depuis 1985. Après son abdication, Sihanouk a continué à donner son avis sur la vie politique, depuis Phnom Penh ou Pékin où il a régulièrement séjourné pour suivre des traitements contre le cancer. Mais les notes manuscrites postées sur son site internet se sont faites plus rares ces dernières années. En 2009, il avait estimé avoir vécu trop longtemps. "Cette trop longue longévité me pèse comme un poids insupportable", avait-il écrit. Norodom Sihanouk était un personnage haut en couleur. Playboy, bon vivant, il était aussi un artiste qui avait réalisé une douzaine de films, écrit des poèmes et composé des chansons. Marié à six reprises, il était le père de 14 enfants, dont cinq ont été tués par les Khmers rouges.
Sihanouk chante
Date inconnue
Le portrait de Norodom Sihanouk
15.10.2012Commentaire : I.Taoufiqi, montage : E.Marty
Quelques uns de ses livres...
Norodom Sihanouk : La CIA contre le Cambodge, éd. Maspero, 1974. Norodom Sihanouk : Souvenirs doux et amers, éd. Hachette, 1981. Norodom Sihanouk : Prisonnier des Khmers rouges, éd. Hachette, 1986.
Biographie chronologique
d'après Wikipédia
Du 24 avril 1941 à 3 mars 1955 : Roi du Cambodge, élu par le Conseil de la couronne, il succède à son grand-père le roi Sisowath Monivong, et cède lui-même le trône à son propre père Norodom Suramarit. D'avril 1960 à 18 mars 1970 : chef de l'État (sans le titre de roi). Il est renversé durant son absence, par un coup d'État du général Lon Nol et fonde à Pékin un gouvernement en exil. En avril 1975 : chef de l'État symbolique, le pouvoir réel étant exercé par les Khmers rouges dirigés par Pol Pot. Le 4 avril 1976, Norodom Sihanouk est assigné à résidence dans son palais. En 1979, à la chute des Khmers rouges, il est à nouveau contraint à l'exil et crée la Confédération des Khmers nationalistes à Pyongyang (Corée du Nord). De 1982 à 1989 : président du gouvernement de coalition du Cambodge démocratique, rôle essentiellement honorifique, le prince restant en exil à Pékin. Du 20 novembre 1991 au 24 septembre 1993 : le prince, revenu au Cambodge le 14 novembre 1991, est à nouveau chef de l'État. Du 24 septembre 1993 à 7 octobre 2004 : de nouveau roi du Cambodge. Il abdique le 7 octobre 2004. Son fils Norodom Sihamoni est choisi par le Conseil du Trône pour lui succéder. Depuis le 7 octobre 2004 : Roi-Père du Cambodge.