#NotJustaNumber : après le bain de sang en Irak, le poids des morts

Où sont les "Je suis Irakien" qui auraient pu (ou dû) surgir depuis l'attentat de samedi dernier à Bagdad, le plus meurtrier commis par Daech en Irak? Pourquoi la Tour Eiffel ou l'Empire State Building ne se parent-t-ils pas des couleurs irakiennes comme ce fut le cas après le Bataclan ou les attentats en Belgique?

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Pour que les morts ne défilent pas comme des nombres, #NotJustaNumber . Un Irakien de Londres redonne une existence aux victimes de l'attentat de Bagdad, le plus meurtrier depuis 2007 afin de dénoncer la banalisation des attaques terroristes en Irak.
©Twitter
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Certains médias, mais surtout d'internautes, dénoncent cette émotion à géométrie variable.

"La pire attaque de l'EI ces derniers jours est sans doute celle à laquelle le monde s'intéresse le moins ", écrit The Washington Post.

Paris, Bruxelles, Orlando, Ankara, ont été largement couverts par les médias du monde entier, multipliant notamment les reportages et portraits de victimes. Sur les réseaux sociaux, les messages de solidarité avec les victimes font exploser les compteurs, le slogan "Je suis Charlie" sur Facebook se traduit dans toutes les langues et se déclinera en "Je suis Bruxelles" etc, etc... L'attentat de Bagdad, l'un des plus meurtriers depuis le début de la guerre en Irak en 2003 et le plus meurtrier de l'année 2016, n'a pas suscité la même mobilisation.

Pas de "Je suis Bagdad" ?

Pourtant en attaquant le marché de Karrada, en plein coeur d'un quartier très populaire à majorité chiite de la capitale irakienne, le groupe extrémiste sunnite Etat islamique savait évidemment très bien ce qu'il faisait : tuer un maximum de civils. Au moment de l’explosion, en fin de journée samedi 2 juillet, le quartier était bondé, les Bagdadis se pressaient de faire leurs courses pour la rupture de jeûne, pendant ce mois de ramadan.

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Un attentat à la voiture piégée a fait plus de 290 morts sur le marché de Karrada, dans un quartier chiite de la capitale irakienne, samedi 2 juillet 2016.
©AP Photo/Hadi Mizban

292 morts, 200 blessés

Derrière ce bilan, des noms, des visages, des histoires, des familles. Ils étaient étudiant(e)s, pharmacien(ne)s, historien, danseur, anonymes ou connus, mères ou pères de famille, soeurs et frères. Ils avaient 5, 20, 50 ou 70 ans. Ils s’appelaient Abel, Mustafa, Ruqayya, Hadi ou encore Ahmad. Mais qui s'en soucie vraiment, hors de l'Irak ? Une fois passé le choc, les images en boucle sur les chaînes d'infos du monde, les condamnations officielles, l'information passe au second plan, descend dans l'ordre chronologique du 20h, voire disparaît, un attentat chassant l'autre, ou match de l'Euro oblige...



#NotJustaNumber

Pour dénoncer la différence de traitement des médias voire l'indifférence pure et simple, Mustafa al-Najafi, un internaute londonien d'origine irakienne a donc décidé derrière le mot clé #NotJustaNumber (pas seulement un nombre) de faire une place à toutes ces victimes en regroupant des informations les concernant. D'autant plus qu'il en connaissait un certain nombre. "Plusieurs victimes sont des proches ou des amis d'amis. J'ai également récupéré des infos trouvées sur Twitter et dans les médias irakiens", explique-t-il sur le site de l’Orient le Jour.

(La jeune Ruqaya Hasan, son frère Hadi et son père.  Tous tués)

(Adnan, Akram et Karar et trois autres amis. Juste diplômés et prêts à commencer leur vie)

Si certains sont des amis de sa famille, ou amis d’amis, d'autres sont de parfaits inconnus. Mais en publiant leurs photographies, et parfois quelques lignes sur leurs vies glanées sur Whatsapp, Mustafa al-Najafi veut leur donner une existence singulière, montrer les identités des hommes, des femmes, des enfants qui se cachent derrière le bilan des morts : "Parce que je suis un Irakien et que le peuple irakien saigne depuis des années. Nous sommes juste devenus des chiffres désormais, dit-il. Nous sommes ceux qui nous battons en première ligne contre le terrorisme or personne ne nous soutient."
(Le footballeur irakien Ghanem Irebi a dû enterrer son fils, tué dans l'attentat à la bombe)

"Pour les médias, les morts en Irak ne sont que des statistiques. La fréquence des attaques fait que le choc n'est pas le même qu'ailleurs, comme quand un attentat a lieu en Europe par exemple", ajoute-t-il.

Il rend hommage, entre autres, à Mohammed Mahdi alBadry, tué dans l’attaque à la bombe de samedi 2 juillet. Ce lundi 4 juillet, sa femme a donné naissance à son fils.


(Une autre victime, Adel décorait les rues du centre-ville pour la fête de l'Aïd)

"Priez pour l'Irak"

Autre émotion partagée sur Facebook, celle d'une blogueuse mode anglo-irakienne, Zukreat Nazar. Son message posté sur sa page Facebook a été partagé plus de 10.000 fois.

fb blogueuse
©Facebook

Sous une photo du marché de Karrada tâchée de sang, elle écrit : "Je suis allée sur le marché, acheter du sang. Ils m'ont montré ce qu’ils avaient. Le sang le plus cher venait de Paris, le suivant de Bruxelles. J'ai dit, montrez-moi quelque chose de moins cher, ils m'ont montré le sang du Pakistan et de la Turquie. J'ai dit : et celui-là, c’est combien ? Il m'a dit : personne ne s'intéresse à ce sang, personne n'en veut, il est gratuit, il coule tous les jours. Quel est ce sang ? Ai-je dit en pleurant. Ils ont répondu: 'c'est le sang de l'Irak'".

Le crayon aiguisé du dessinateur de presse algérien Dilem, (quotidien La liberté, et TV5monde) ne s'est pas trompé, une fois de plus. Son dessin fait le tour de la Toile.

dessin Dilem
Le dessin de Dilem a été partagé des milliers de fois sur les réseaux sociaux.
©Dilem