Notre-Dame de Paris : "Il est plus rapide de reconstruire que de construire"

Le feu n'était pas éteint que le président Emmanuel Macron évoquait déjà la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Combien de temps cela prendra-t-il ? Faut-il utiliser les mêmes matériaux ? Quels enseignements des précédentes catastrophes ? Le président Macron veut que tout soit reconstruit d'ici à 5 ans. Entretien avec Mathieu Lours, historien de l'architecture religieuse et spécialiste des cathédrales.
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Notre Dame Paris mardi rosace AP
Mardi 16 avril 2019, des pompiers inspectent l'une des rosaces de Notre-Dame.
© AP Photo/Thibault Camus
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TV5MONDE : Est-ce que ce type d'incendie a déjà eu lieu en France ?

Mathieu Lours : Dans l'histoire, très souvent ! Cela a même été l'un des moteurs de la construction des cathédrales gothiques. Par exemple, à Chartres en 1194, la cathédrale romane brûle et c'est le prétexte pour la reconstruction. On a même parlé d'"incendie providentiel" ! On s'est même parfois demandé si l'évêque qui voulait reconstruire la cathédrale n'avait pas aidé la cathédrale romane à être détruite, à être vieille avant l'âge à cause de ces incendies. Cela fait partie des légendes autour de la construction des cathédrales.

Ensuite, on va avoir plutôt des feux liés aux guerres. Les guerres de religion, la Première Guerre mondiale qui va dévaster les cathédrales de Reims, Verdun, Noyon, Soissons. La Secondes Guerre mondiale avec la cathédrale de Rouen, sans parler des cathédrales anglaises. Donc c'est récurrent dans l'histoire des cathédrales mais Notre-Dame de Paris y avait échappé.

Les cathédrales que vous citez ont été reconstruites. Est-ce un processus long ?

Il est plus rapide de reconstruire que de construire. Mais il y a plusieurs cas de figure. 
A Reims, par exemple, nous avions une situation dramatique : la cathédrale avait été incendiée puis bombardée. Il a donc fallu reconstruire et cela a pris une vingtaine

Mathieu Lours
Mathieu Lours, historien de l'architecture religieuse
© TV5MONDE

d'années. Elle a été reconsacrée en 1937. Mais, quand on est à l'intérieur, on ne se rend pas compte de ce désastre. C'est une reconstruction à l'identique.

Les délais sont à peu près les mêmes pour les autres cathédrales détruites pendant la Première Guerre mondiale.

Mais pour les incendies de charpentes, tout dépend des financements, tout dépend de l'état des charpentes, tout dépend des études préalables.

Prenons Chartres, par exemple. En 1836, la charpente brûle et on fait le choix de construire une charpente métallique pour éviter les incendies. C'est le choix de la modernité. Est-ce qu'on fera ce même choix à Notre-Dame de Paris ? Le choix appartient aux architectes des bâtiments de France et des monuments historiques, mais c'est une possibilité. On peut aussi avoir des charpentes en béton. Ou refaire le choix d'une charpente en bois à l'ancienne. 

Des pertes définitives

"A Notre-Dame de Paris, on a perdu le bois d'origine. Les poutres dataient, pour certaines, de 1160. Les arbres avaient été plantés 400 ans avant ! Vous vous rendez compte ? Ces arbres avaient vu naître Charlemagne ! Ça c'est irremplaçable. Tout le reste est techniquement remplaçable même si ce n'est plus l'authentique.
Et puis à l'intérieur, les oeuvres les plus importantes ont été mises à l'abri mais quid de l'orgue ? Quid des tableaux qui ont été soumis à l'eau et peut-être à la chaleur ? C'est avec le temps qu'on se rendra compte de la dimension de la perte".


Le coq qui se trouvait au sommet de la flèche, et que l'on pensait perdu dans l'incendie, a été retrouvé ce mardi 16 avril. Il renferme l'épine de la couronne d'épines, la relique de Saint-Denis et de Sainte-Geneviève. "Des objets qui n'ont pas de valeur artistique mais une grande valeur spirituelle", assure Mathieu Lours.

Notre dame Mardi Denis
Notre-Dame de Paris au lendemain de l'incendie. Le feu éteint, se pose maintenant la question de la reconstruction.
© TV5MONDE/Denis Verloes

Se pose aussi la question du savoir-faire...

On a d'excellents ouvriers en France. Ce qui pourrait manquer aujourd'hui c'est la quantité de bons ouvriers que l'on pourrait mobiliser pendant trente ans, s'il fallait reconstruire une cathédrale entière. 

Mais nous avons les techniques. Nous sommes un pays qui cultive cette excellence. La difficulté sera de mobiliser ces talents. Puis il faut donner le temps, bien faire les choses, ne pas agir dans la précipitation. Mais les experts qui s'occupent de Notre-Dame de Paris font cela très bien.

Les flammes de l'indifférence continuent de consumer les petites églises rurales.

Mathieu Lours, historien

Cet incendie met aussi en avant la question de l'entretien de notre patrimoine...

Cette question se pose de manière assez pregnante. On le voit avec les lotos du patrimoine. L'Etat fait appel à la générosité du public, mais cela fait partie en principe de ses fonctions régaliennes, donc il doit y avoir une réflexion sur ce point : comment faire pour préserver cet héritage ? 

Notre-Dame de Paris, comme toutes les autres cathédrales, est soumises aux aléas des financements, mais elle n'a pas de mal à attirer du mécénat, étant mondialement connue.

Place à la reconstruction désormais.

En plus des nombreuses promesses de dons (qui ont atteint près d’un milliard d’euros,  ce mercredi 17 avril), de nombreuses cagnottes en ligne ont vu le jour. Le secrétariat général de la conférence des évêques de France (CEF) signale que seul quatre organismes sont aptes à recevoir les dons : la Fondation Notre-Dame,  la Fondation du patrimoine, la Fondation de France, le Centre des monuments nationaux. Attention donc aux cagnottes françaises ou étrangères lancées sur des sites tels que leetchi.com ou lepotcommun.fr.

> A lire aussi : Incendie de Notre-Dame de Paris : intox et contre-vérités

Mais les flammes de l'indifférence continuent de consumer les petites églises rurales fermées. La gestion doit être globale, on ne peut pas attendre le drame sur un édifice emblématique pour gérer la question du patrimoine religieux et de sa pérennité à toutes les échelles. Il faut que les citoyens se saisissent de ce drame pour se dire "voilà ce que l'on veut faire pour préserver notre patrimoine". Ce patrimoine est religieux mais appartient à la Nation. 

Depuis 1791, les biens d'Eglise ont été attribués aux municipalités ou à l'Etat. Seuls ceux construits depuis 1905 (année de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, NDLR) appartiennent à l'Eglise en tant qu'institution. 

L'Eglise appartient à tous et sert à tous. Par sa beauté et par ce dont elle témoigne de l'art des siècles passés. Et cela c'est constitutif de l'idée de Nation.