Nouveau gouvernement en Belgique : "les choses vont très lentement"

La Belgique est restée 1056 jours sans gouvernement, depuis 2007. Rudy Demotte (PS) et Geert Bourgeois (N-VA) présentent au roi Philippe leurs solutions pour parvenir à la constitution d'un nouveau gouvernement fédéral. La situation peut-elle vraiment changer ? Comment ? Mode d'emploi de Caroline Sägesser du Centre de recherche et d'information socio-politiques (CRISP).
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Belgique gouvernement
©AP/Francisco Seco
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Deux hommes, deux anciens ministres-présidents, l'un est francophone et issu des rangs du Parti Socialiste, l'autre flamand de la N-VA et tous deux ont une mission commune : remettre au roi Philippe leur rapport sur la constitution d'un gouvernement fédéral cohérent et surtout... viable !

Car la chose n'est pas aisée au royaume des Belges, plus habitués, ces dernières années, à avancer sans gouvernement qu'avec. Pour mémoire : en 2007-2008 la Belgique était restée 194 jours sans gouvernement. Pire : entre 2010 et 2011 il a fallu attendre 541 jours avant qu'Elio di Ruppo ne puisse former un nouveau cabinet ! Aujourd'hui le pays attend depuis décembre 2018. C'est peu dire, au regard des crises passées, que les conclusions du rapport des préformateurs Rudy Delmotte (PS) et Geert Bourgeois (N-VA) sont attendues.

D'où viennent les crispations ? Quel est le rôle des préformateurs et que peut faire le roi Philippe ? Autant de questions que nous avons posées à Caroline Sägesser, chercheuse au CRISP.


TV5MONDE : Pourquoi la Belgique est-elle sans gouvernement depuis 321 jours ?
Caroline Sägesse : L'origine du problème c'est le départ des nationalistes flamands de la N-VA qui se retirent en décembre 2018 du gouvernement car ils sont opposés à la signature du Pacte de Marrakech sur l'immigration. Le Premier ministre Charles Michel échoue à constituer une majorité alternative et il se retrouve démissionnaire le 21 décembre 2018. Comme il y a des élections européennes, fédérales et régionales le 26 mai 2019, il est alors jugé préférable d'attendre. Une décision dont on peut aujourd'hui s'interroger sur la pertinence. D'autant plus qu'on se retrouve après le 26 mai avec des résultats compliqués : une poussée de l'extrême droite en Flandres, de l'extrême gauche en Wallonie et la N-VA qui reste quasi incontournable pour constituer un gouvernement alors que le parti nationaliste flamand est à l'origine du blocage.
 Entrent en jeu les "préformateurs", quel est leur rôle ?
Leur rôle est plutôt limité en ce sens qu'il s'agit moins d'un pouvoir réel que la constitution d'un espace de discussion. Cette question renvoie aux pouvoirs du roi des Belges.

Justement, quel est le rôle du roi dans la formation d'un nouveau gouvernement ?
Constitutionnellement, les pouvoirs du roi sont assez forts puisque c'est lui qui nomme et révoque les ministres mais en pratique, il est otage du jeu politique. Son rôle, à lui en nommant des "préformateurs", "informateurs", "conciliateurs" "démineurs"... c'est de gagner du temps et de mettre en place une arène de discussion où les présidents de partis se retrouvent pour pouvoir discuter. Son rôle reste assez limité. Et il l'est de plus en plus car on s'aperçoit que les résultats des discussions royales sont connus avant même que la consultation royale commence. C'est le cas aujourd'hui car on savait dès le matin déjà que les préformateurs n'allaient sans doute pas être prolongés dans leur rôle avant même la rencontre avec le roi Philippe dans l'après-midi.

 
Il faut voir le roi non pas comme une personne mais comme une institution.

Mais le roi ne peut-il pas jouer le rôle d'arbitre ?
Le roi ne peut pas s'imposer. Il faut voir le roi non pas comme une personne ou un pouvoir mais comme une institution, le cadre d'une discussion. Aujourd'hui il y a deux formules sur la table. La première, la plus évidente, serait de refaire un gouvernement qui incluerait les nationalistes de la N-VA. C'est d'ailleurs l'option poursuivie jusqu'à présent. Mais cela ne semble pas fonctionner donc il y a l'autre formule : une union sacrée de toutes les formations politiques sans les nationalistes flamands. Et peut-être que cette autre option va être explorée maintenant même si elle est peu probable. Les autres partis n'ont en effet pas envie de laisser tomber la N-VA qui reste incontournable dans le nord du pays.

Le problème aujourd'hui n'est-il pas l'éclatement de l'échiquier politique : extrêmes droite et gauche, écolos etc. ? Comme c'est aussi le cas en Espagne.
Tout à fait. C'est un problème plus aigu en Belgique encore car il y a une perte de vitesse des formations politiques traditionnelles et pas de partis nationaux. Chaque parti s'adresse uniquement soit aux électeurs flamands soit aux électeurs francophones. Ils sont en quelques sorte dédoublés à l'exception des partis nationalistes.
 
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Les Belges vont-ils devoir revoter ?
Dans l'immédiat, je ne le pense pas car je ne vois pas du tout qui aurait intérêt à souhaiter de nouvelles élections. La tendance de la montée des extrêmes ne pourrait être que renforcée. Les choses vont très lentement en Belgique. De façon générale, nous préférons allonger des délais pour proposer un nouveau gouvernement. Et nous n'avons pas encore fini d'explorer toutes les possibilités.

Quelles pourraient être ces dernières possibilités ?
Il y a aura certainement de nouvelles personnalités qui seront chargées d'une nouvelle mission pour former un gouvernement. Et elles exploreront peut-être une piste autre que celle centrée sur l'axe entre les nationalistes flamands (N-VA) et les socialistes francophones (PS) qui sont les deux partis les plus importants dans les deux communautés linguistiques.