Nouvelle-Calédonie : pour la première fois les indépendantistes dirigent le gouvernement

Les indépendantistes ont remporté mercredi 17 février la majorité au gouvernement collégial de Nouvelle-Calédonie avec six membres sur onze. C'est une première depuis le début de l’accord de Nouméa signé en 1998. L’élection d’un nouveau gouvernement, selon un scrutin de listes par les 54 élus du Congrès (assemblée délibérante), intervenait après la chute le 2 février du précédent exécutif à majorité loyaliste.

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Famille calédonienne avec un drapeau kanak lors du référendum du 4 octobre 2020
Famille calédonienne brandissant un drapeau kanak se préparant à aller voter au deuxième réferendum pour l'indépendance de la Nouvelle Calédonie, le 4 octobre 2020. Rivière Salée, Nouméa.
© AP Photo/Mathurin Derel
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Les indépendantistes sont parvenus à remporter l’élection grâce à une alliance avec un petit parti charnière, l’Eveil océanien (EO), dont les trois élus ont voté pour la liste Union Calédonienne-FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste). Cette liste a obtenu trois "ministres".

L’autre liste nationaliste, celle de l’Union nationale pour l’indépendance-FLNKS (UNI-FLNKS) a également obtenu trois membres du gouvernement.

En face, les non indépendantistes étaient répartis sur deux listes. Celle de la coalition majoritaire dont était issu le président sortant, l’Avenir en Confiance (AEC), a décroché quatre portefeuilles, avec 18 voix sur 54, et Calédonie ensemble, parti de centre-droit, en obtient un seul.

L'élection ne s'est toutefois pas déroulée comme prévu car l'UC-FLNKS espérait remporter un siège de plus, 4 au lieu de 3, permettant à un représentant de l'Eveil Océanien de figurer dans le gouvernement. Mais la voix de l'élue du Parti travailliste, petite formation indépendantiste, ainsi que celle plus surprenante d'un loyaliste de l'AEC en faveur de la liste UNI-FLNKS, ont déjoué ce scénario.

Convoqués par le haut-commissaire de la République, les 11 membres du gouvernement doivent se retrouver en fin de journée pour élire en son sein un président et un vice-président.

Démission le 2 février


Louis Mapou, chef du groupe UNI-FLNKS (Union Nationale pour l'indépendance) et son homologue de l'UC-FLNKS (Union calédonienne), Pierre-Chanel Tutugoro, avaient écrit une lettre de démission au président du gouvernement, Thierry Santa (loyaliste) le 2 février. Leur démission, ainsi que celle de leurs suivants de liste, entraîne de facto une chute du gouvernement collégial, élu par les membres du Congrès.

Pour Kim Lévy, qui a été la correspondante de TV5MONDE pendant deux ans en Nouvelle-Calédonie, cette démission "pourrait avoir des conséquences historiques pour l'archipel : c'est la première fois que les indépendantistes pourraient gouverner depuis les accords de Nouméa en 1998."

Elle rappelle que "lors du dernier référendum, le score était très serré" (53,26% pour le non et 46,74% pour le oui ndlr) . Dans l'éventualité d'un troisième référendum pour l'indépendance en 2022, "il est très difficile de faire des pronostics. Mais l'accord de Nouméa prévoit qu'en cas d'un troisième "non", il y aurait de nouvelles négociations, un éventuel nouvel accord et dans tous les cas, une nouvelle solution politique avec la France".

Les indépendantistes ont tour à tour mis en cause, comme on peut le lire dans leur communiqué, "la dynamique institutionnelle en panne, les retards du budget, les difficultés de la collégialité" ainsi que le "processus de vente" de l'usine de nickel du groupe brésilien Vale "qui fait primer les intérêts des multinationales sans considération des aspirations des populations locales".

La vente de cette unité industrielle à un consortium calédonien et international, où figure le géant suisse Trafigura, devait aboutir le 12 février, le 12 étant la date butoir du compromis de vente. Elle soulève un tollé dans la mouvance indépendantiste et a été à l'origine d'une flambée de violence en décembre. L'usine est à l'arrêt après avoir été prise d'assaut par des émeutiers le 10 décembre et est depuis la cible d'exactions permanentes.

Ce dossier explosif a donné lieu à une escalade de tension entre les indépendantistes et l'Avenir en Confiance, coalition loyaliste majoritaire, qui a dénoncé "le terrorisme du FLNKS" et a, à son tour, organisé des opérations de terrain. 

Le nickel est un enjeu éminemment politique, "notamment pour les indépendantistes qui ont besoin du minerai comme socle d'une future indépendance", nous explique Kim Lévy.

Pourquoi le nickel est-il vital pour la Nouvelle-Calédonie ?

L'exploitation du nickel, indispensable à la fabrication d'acier inoxydable, est le poumon économique de l’archipel, qui détient 25% des ressources mondiales.

Le territoire compte trois usines : l'usine Doniambo de la SLN (2.150 emplois), filiale du groupe minier français Eramet, à Nouméa; l'usine Vale à Goro, dans le sud (3.000 salariés directs et indirects); l'usine KNS (Koniambo Nickel SAS), à Koniambo dans le nord, dont la province dirigée par les indépendantistes détient 51% des parts (800 salariés).  
Mais concurrencées par des pays producteurs à bas coûts (Chine, Indonésie, Philippines), ces usines n'étaient pas compétitives et plusieurs mois de crise les ont encore affaiblies.

Vale veut se désengager de son usine calédonienne, adossée au richissime gisement de Goro, qui est un gouffre financier - 2 milliards de dollars de pertes depuis 2014.
Le groupe brésilien a annoncé le 9 décembre la vente à Prony Resources, qui associe à hauteur de 50% des intérêts calédoniens (collectivité provinciale, salariés et société civile calédonienne), de 25% la société Trafigura basée en Suisse - géant du négoce de pétrole et métaux - et de 25% une société d'investissement multipartite.

Autorité de régulation et propriétaire des sous-sols, la province Sud, dirigée par des loyalistes, soutient ce projet, tout comme l'État français, impliqué dans ce dossier par le biais d'importants soutiens financiers.

Pour faire avancer le projet, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a proposé début janvier "une implication plus forte de l'Etat" dans la reprise de l'usine de Vale en posant deux conditions à cette offre : "les leaders indépendantistes doivent revenir à la table des négociations" et "si la Nouvelle-Calédonie devient indépendante, la France se désengagera" de cette usine.

Les indépendantistes ont remporté la majorité au gouvernement en s’alliant avec l’Eveil océanien, qui représente trois voix au Congrès. "Cette formation est composée de la minorité wallisienne", nous explique Kim Lévy, "qui représente environ 10% de la population calédonienne. Ils sont réputés pour être favorables à la France. Pour la première fois, ils ont le pouvoir de faire basculer le pouvoir du côté des indépendantistes."

Milakulo Tukumuli, leader de l'Eveil Océanien, parti charnière au Congrès, a estimé que la décision des indépendantistes visait à "bloquer la cession de l'usine de Vale". Il a confié à l’Agence France-Presse qu’il préférait "une action institutionnelle à une action sur le terrain. Nous pensons qu'il faut repousser la vente de cette usine, les oppositions sont trop fortes". Il n'a toutefois pas précisé si son parti formerait une majorité avec le FLNKS "dans ce contexte compliqué".

Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, a pris acte de cette démission. Le ministre a formulé "le voeu de voir un nouveau gouvernement formé dans les délais les plus courts", dans un communiqué, expliquant que "l'État a besoin d'interlocuteurs légitimes pour poursuivre le combat contre le virus" du Covid-19.

Lundi 8 et mardi 9 février les échanges se sont multipliés entre Paris et les responsables politiques calédoniens. Parmi les sujets abordés, celui de "la nécessité de préciser collectivement les implications et conséquences d’un “oui” ou d’un “non” à l’éventuel troisième référendum". Dans la mesure où le Congrès de la Nouvelle-Calédonie peut demander son déclenchement dès le 4 avril, il y a urgence. Et, le ministre Lecornu l’affirme : "un premier document de travail, unique dans son contenu, sera prochainement adressé aux forces politiques calédoniennes".

(RE)voir : Nouvelle-Calédonie : l'archipel reste français

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Les discussions avec l'État pour préparer "l'après-accord de Nouméa" sont au point mort en raison de la vente conflictuelle de l'usine Vale. L'archipel fait aussi face à une crise budgétaire sans précédent et une économie en berne, due aux incertitudes institutionnelles et au Covid-19.

La chute du gouvernement intervient quatre mois après le référendum sur l'indépendance du 4 octobre dernier, remporté par les partisans du maintien dans le giron français (53,3%).  Le processus de décolonisation progressif de l’accord de Nouméa, qui s’achève en 2022, prévoit qu'une troisième consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie peut être organisée à la demande d’un tiers des élus du Congrès (assemblée délibérante) à partir du 4 avril 2021. Et en s'alliant avec l'Eveil océanien, le FLNKS aurait la faculté de le faire.

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