Fil d'Ariane
Bureau de vote à Noumea, Nouvelle-Calédonie, le 4 novembre 2018.
Les 284 bureaux de vote ont ouvert à 8 heures ce dimanche (21 heures J-1 TU) et fermé à 18 heures (6 heures TU). Près de 175 000 électeurs de l'archipel français ont répondu à la question "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?" Les sondages prédisent la victoire du non. Les résultats sont attendus dans les heures qui viennent.
Le vote sur l'indépendance de ce territoire stratégique de 270 000 habitants, en plein Pacifique, colonisé en 1853 et disposant d'importantes réserves de nickel, s'est caractérisé par une participation élevée et une forte mobilisation des jeunes, comme l'explique notre correspondante à Ouvéa, Kim Levy :
Le "Caillou" bénéficie d'un statut unique au sein de la République française depuis la fin des années 1980. Une décennie marquée par des violences entre groupes kanaks (populations autochtones) et caldoches (essentiellement d'origine européenne). Le paroxysme est atteint lors de la prise d'otages de la grotte d'Ouvéa où des militants indépendantistes kanaks retiennent durant deux semaines une quinzaine de gendarmes.
Le 5 mai 1988, l'assaut est donné : 19 militants kanaks et 2 militaires sont tués. De ces événements tragiques découlent des négociations avec l'État français. Elles aboutissent en juin aux accords de Matignon qui jettent les bases de la réconciliation et l'émancipation du territoire. Ainsi est décidé un référendum sur l'avenir de l'île dans les dix ans à venir, un rééquilibrage économique et politique entre les communautés. Mais les événements sur l'île retardent cette consultation populaire.
En 1998, l'accord de Nouméa consolide ceux de Matignon et inscrit l'accès progressif de la Nouvelle-Calédonie à l'autonomie dans le Titre XIII de la Constitution française. C'est dans ce contexte que le référendum sur l'accès à la pleine souveraineté de l'île est prévu dans les vingt ans maximum. Par ailleurs, l'accord crée une "citoyenneté calédonienne" et des "lois de pays", ne pouvant être déférées que devant le Conseil constitutionnel.
"Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?", telle est la question à laquelle vont répondre les 174 154 électeurs appelés aux urnes ce dimanche. C'est 35 000 de moins que les électeurs qui votent aux municipales, législatives ou à la présidentielle. Car pour avoir le droit de s'exprimer lors de ce référendum, il faut justifier d'une résidence continue sur l'archipel depuis au moins le 31 décembre 1994. Sont également consultés les natifs (kanaks ou non) qui n'ont jusqu'à présent jamais été inscrits sur une liste électorale.
Si le "Oui" l'emporte, trois dispositions majeures seront mises en oeuvre : "le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes (défense, monnaie, justice, ordre public, affaires extérieures), l'accès à un statut international de pleine responsabilité (siège à l'ONU) et l'organisation de la citoyenneté en nationalité.
Co-artisan des accords de Nouméa de 1998, ancien haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie, Alain Christnacht analyse les enjeux du scrutin à la veille du référendum d’autodétermination :
Quel que soit le résultat, l'État français a annoncé qu'il réunirait les forces politiques calédoniennes. Le Premier ministre Édoudard Philippe a d'ailleurs prévu de se rendre à Nouméa au lendemain du scrutin.
Les derniers sondages effectués sur le territoire donnent une nette victoire des partisans du "Non" crédité de 60 % à 69 % des voix. Mais le gouvernement reste prudent. Cela dit, une simple analyse démographique permet de prévoir ce rejet de la souveraineté, car les Kanaks, favorables à une sortie du giron français, composent moins de la moitié du corps électoral, tandis que les autres électeurs (Caldoches, Asiatiques...) y sont plutôt hostiles.
À cela s'ajoute la situation politique sur l'île. Les différentes composantes indépendantistes ne sont pas d'accord entre elles. Ainsi le Parti travailliste et son syndicat appellent à boycotter ce qu'ils qualifient de "farce électorale" qui entérine "la négation du peuple kanak", car seules les populations autochtones auraient dû voter, selon eux.
Si la Nouvelle-Calédonie accède à l'indépendance, elle deviendra un État pleinement souverain. Ce qui consituera une première depuis l'indépendance de Djibouti en 1977 et du Vanuatu en 1980.
Cette indépendance se traduira par le transfert des compétences régaliennes. Mais, prévient Matignon, il y a aura "une période de transition". Tout ne sera pas transféré du jour au lendemain. La Nouvelle-Calédonie pourra aussi prétendre à un siège à l'ONU et gèrera l'organisation de la citoyenneté en nationalité.
La Nouvelle-Calédonie restera une collectivité française avec son statut particulier défini dans l'Accord de Nouméa, le titre XIII de la Constitution et la loi organique statutaire du 19 mars 1999.
La population conservera la nationalité et la citoyenneté française et européenne, et l'Etat français continuera à exercer les compétences régaliennes.
Des élections pour renouveler le congrès du territoire auront lieu en mai 2019. A l'issue de ces élections, si un tiers des membres du congrès le demande, un deuxième référendum portant sur la même question sera organisé dans les dix-huit mois qui suivent cette demande. En cas de nouveau vote du "Non", il pourra être suivi d'un troisième référendum.