Nouvelle-Calédonie : quel bilan de la visite-éclair d'Emmanuel Macron ?

La réforme électorale contestée par les indépendantistes ne passerait "pas en force" a déclaré jeudi le président Emanuel Macron en visite en Nouvelle-Calédonie. Une 7e personne a été tuée au lendemain du déplacement du chef de l'État français. 

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Macron Calédonie

Discours d'Emmanuel Macron lors de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, 23 mai 2024.

Ludovic Marin, Pool via AP
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"Je me suis engagé à ce que cette réforme ne passe pas en force", a promis Emmanuel Macron en déplacement en Nouvelle-Calédonie jeudi 23 mai. Le lendemain de sa visite, une septième personne a été tuée par un tir d'un policier après avoir avec un collègue "pris à partie physiquement par un groupe d'une quinzaine d'individus", selon le procureur de Nouméa Yves Dupas.

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Lors de sa visite jeudi, Emmanuel Macron a rencontré loyalistes, favorables à l'élargissement du corps électoral pour les scrutins provinciaux, et indépendantistes qui estiment que cette mesure va réduire le poids des Kanak, qui représentent 41% des habitants du Caillou, selon un recensement de 2019. C'est l'adoption de ce projet de loi par le Sénat puis l'Assemblée qui a mis le feu aux poudres et déclenché une vague de violences que l'île n'avait plus connue depuis quatre décennies.

Quel est le projet de loi contesté ?

Le projet de loi constitutionnelle vise à élargir le corps électoral pour les scrutins provinciaux aux résidents installés depuis au moins dix ans dans cet archipel français du Pacifique sud (270.000 habitants).

Les indépendantistes le dénoncent comme un passage en force de l'Etat pour "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak". 

Déjà votée par les sénateurs puis les députés, cette réforme doit être définitivement approuvée par les deux chambres réunies en Congrès à Versailles, sauf en cas d'accord préalable sur un autre texte entre loyalistes et indépendantistes.

Le président de la République a demandé "la reprise du dialogue en vue d'un accord global" sur le futur de la Nouvelle-Calédonie, afin qu'ensuite il "puisse être soumis au vote des Calédoniens". Avant cette échéance, "l'objectif est de rétablir l'ordre dans les jours à venir", a répété le chef de l'Etat.

Dans un entretien aux médias locaux, Emmanuel Macron avait exigé "la levée de tous les blocages" et demandé "qu'il y ait un appel clair à ces levées" de la part notamment des indépendantistes du FLNKS ou de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT).

Depuis le 13 mai, les émeutes ont causé des dégâts considérables dans le territoire français du Pacifique Sud. L'état d'urgence instauré le 16 mai continue d'y prévaloir: couvre-feu nocturne, interdiction de rassemblement, de transport d'armes et de vente d'alcool, bannissement de l'application TikTok.

Depuis le début des émeutes, les violences avaient déjà fait six morts: deux gendarmes, dont un dans un tir accidentel, trois Kanak (autochtones) et un Caldoche (Calédonien d'origine européenne). Aucun, hormis le décès accidentel, n'était à imputer jusque-là aux forces de l'ordre. 

Des barrages instaurés par les émeutiers restent en place. Sur la côte est de la Grande Ile, le carrefour entre la route qui en traverse le centre et celle qui longe l'océan est ainsi bloqué à tous les véhicules, sauf ceux de secours.

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"Je ne vois pas d'avancée particulière"

Reste que sur les barrages indépendantistes et non-indépendantistes, le temps du dialogue proposé par le président ne suffira pas à effacer les "rancœurs".

"Macron est venu. C'est gentil d'avoir essayé de faire quelque chose" mais "je ne vois pas d'avancée particulière", explique Pierre (prénom d'emprunt comme pour tous les Calédoniens cités), 78 ans, devant l'empilement anarchique de palettes, de pneus et même d'une machine à laver, censé stopper toute intrusion dans la rue proprette du quartier de Val Plaisance, qui ouvre sur l'océan Pacifique.

"Il paraît qu'on va en reparler dans un mois. Et puis ça va continuer", se désole-t-il sous son chapeau. "En attendant, ça ne va pas s'arranger, la population souffre probablement des deux côtés".

Son "côté": celui des Calédoniens d'origine européenne, très largement favorables à la réforme.

Depuis qu'ont éclaté lundi 13 mai des émeutes d'une extrême violence, une partie de cette communauté s'est barricadée, multipliant les groupes d'autodéfense. 

"Nous ne sommes pas racistes, nous demandons le respect"

"Tant qu'il n'y aura pas d'indépendance (pour la Nouvelle-Calédonie), il n'y aura pas de sécurité", tranche dans un quartier nord de Nouméa un responsable d'un barrage, qui refuse de décliner son identité.

L'homme de 51 ans est membre de la communauté kanak, le peuple autochtone de l'archipel.

"Nous ne sommes pas racistes, nous demandons le respect", clarifie-t-il. "Les loyalistes (autre nom des opposants à l'indépendance), ce sont eux qui ont quitté leur pays, la France. S'ils veulent être là, ils doivent s'adapter. Nous respectons le peuple français, pas l'Etat colonial français", poursuit-il. 

Pour illustrer la profondeur de la fracture locale, que le gouvernement se donne un mois pour panser, le barragiste kanak propose de jeter un œil autour de lui.

"Alors, regarde bien", interpelle-t-il, en pointant un mur qui sépare son quartier défavorisé d'une zone aisée. "Qu'est-ce que c'est que ce mur ? Est-ce que c'est le mur de Berlin ? Est-ce que c'est ça, le vivre ensemble ici, au bout des deux accords politiques (de Matignon et de Nouméa, ndlr) ? Est-ce que c'est ça l'avenir ? Est-ce que c'est ça l'accord de paix ?"

Évacuation de ressortissants étrangers

Les pays voisins s'activent eux pour trouver les moyens de faire évacuer leurs ressortissants.

Le gouvernement du Vanuatu a ainsi indiqué qu'il organisait vendredi le rapatriement de 160 étudiants. Selon la chaîne de télévision VBTC, c'est un avion militaire français qui a assuré le premier vol.

La Nouvelle-Zélande a elle annoncé l'arrivée de 50 de ses ressortissants vendredi matin à Auckland.

Que vont décider les indépendantistes ?

Dans le quartier de Montravel à Nouméa, les militants étaient en attente vendredi de "directives" officielles du FLNKS pour la suite du mouvement.

"On se tient prêt à poursuivre la mobilisation puisque apparemment le président de la République ne veut pas nous écouter", a expliqué à l'AFP Yamel, un militant opposé à la réforme électorale.

"On attend tous la décision du FLNKS", a affirmé de son côté l'une des chefs de file des loyalistes, Sonia Backès, sur la radio locale RRB, estimant qu'un "accord est possible si tout le monde est de bonne foi"

Sans appeler à la levée des barrages, Christian Tein, le chef de file de la CCAT, collectif indépendantiste qui organise la contestation, a annoncé vendredi lors d'une conférence de presse vouloir "desserrer un peu l'étau de manière à ce que le carburant (...) et surtout les médicaments" puissent être acheminés sur l'archipel.

"C'est notre priorité", a-t-il assuré. Il a également demandé la levée des assignations à domicile des leaders de la CCAT pour qu'ils puissent "aller sur le terrain, expliquer les enjeux et apaiser les choses".