Un petit archipel français d’environ 270 000 habitants, à quelques de 17 000 km de Paris s’apprête à voter dans une nouvelle consultation pour son autodétermination. Ce vote suit les conclusions des accords de Nouméa, signés en 1998. Lors des deux précédents scrutins, le "non" à l’indépendance l’avait emporté de justesse (à 56,7% en 2018 puis à 53,3% en 2020). Au-delà des enjeux de décolonisation liés à cet appel aux urnes, l’importance géostratégique de la Nouvelle-Calédonie est encore une fois mise en avant.
Ce vote intervient au moment où la Chine étend son influence depuis plusieurs années dans l’océan Pacifique. Pékin scrute attentivement le référendum pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
Dans l’Océan Pacifique, la place géographique qu’occupe la Nouvelle-Calédonie a son importance. Proche à la fois de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, aux portes de l’Asie du Sud-Est et intégrée à l’arc mélanésien. Selon Bastien Vandendyck, analyste en relations internationales et spécialiste de la Nouvelle-Calédonie, "elle est au centre du Pacifique, qui est voué à être le centre du monde".
Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique et spécialiste de la Nouvelle-Calédonie rappelle également qu’elle "fait partie des grands flux mondiaux, notamment par rapport à ces exportations de nickel, dont elle a des réserves importantes." Cet élément métallique, utilisé sous forme d'alliage a permis de réaliser des équipements techniques de pointe et est très convoité dans de nombreuses industries. Selon la Direction de l'Industrie, des Mines et de l'Energie de la Nouvelle-Calédonie (DIMENC), le Caillou est le 4e producteur mondial de ce minerai, qui est "apprécié par les grandes puissances parce qu’il permet de construire les batteries des voitures rechargeables", explique Bastien Vandendyck.
Sur le Caillou, 24% des emplois du privé dépendent directement ou indirectement du secteur du nickel, selon l’Institut de la Statistique et des Études Économiques de Nouvelle-Calédonie (ISEE). Au total, le territoire compte trois usines : la Société le Nickel, qui est également la plus grosse entreprise de Nouvelle-Calédonie, Vale NC et Koniambo Nickel SAS. 35 mines sont également en activité.
En 2017, l’industrie du nickel représentait 4,1% du PIB de l’archipel, selon l’ISEE. C’est donc le sixième secteur le plus lucratif, après les services aux ménages, l’administration, le commerce, la construction, les services aux entreprises et les transports et télécommunications.
Dans l’Océan Pacifique, de nombreux pays ont mis la Chine à contribution de leur développement économique. Cette dernière a renforcé son emprise dans ces territoires en utilisant un schéma bien particulier. Pékin offre des prêts aux petits États du Pacifique.
Ces sommes dépassent leurs capacités de remboursements. Ces pays ont dû s’engager, quitte à dépasser leurs capacités de remboursement. De cette manière, la Chine a mis en place "une implantation progressive tout en négociant des éléments de souveraineté, comme des éléments de vote dans des instances internationales", détaille Pierre-Christophe Pantz.
Par exemple, le Vanuatu a commencé à entretenir des liens avec la Chine dès 1982, année de l’indépendance de l’archipel. Au-delà de l’ouverture d’une ambassade chinoise à Port Villa en 1989 et d’autres relations diplomatiques, la Chine a énormément investi au Vanuatu.
En 2018, la dette du pays se chiffrait à 220 millions de dollars, une dette essentiellement détenue par la Chine. Parmi les projets qui ont creusé cette dette, il y a notamment celui d’un centre de conférences construit en 2016 et redonné à un entreprise chinoise pour sa gestion. En effet, l’État du Vanuatu ne pouvait pas l’entretenir car il était trop onéreux.
Mais aux îles Salomon, cette configuration a récemment été source de problèmes. Depuis la fin du mois de novembre, l’archipel est traversé par des manifestations et des émeutes. Les contestataires exigent la démission du Premier ministre et reprochent au gouvernement leur rapprochement avec Pékin, au détriment de leur relation avec Taïwan. Selon Bastien Vandendyck. "Les habitants ont bien compris que l’argent de Pékin allait dans les poches d’un gouvernement et pas de la population et que la Chine n’aidait pas au développement pérenne du territoire", explique-t-il.
La Chine n’est pas le seul pays à lorgner le processus référendaire en cours en Nouvelle-Calédonie. "Les Australiens, les Néo-Zélandais et les Américains sont très attentifs", énumère Bastien Vandendyck. Selon lui, ces pays ont tout intérêt à ce que la Nouvelle-Calédonie reste française. "À l’heure où le Pacifique devient la zone d’affrontements entre les Américains et les Chinois, un nouveau pays ou une poche de déstabilisation est à éviter", estime-t-il. L'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis "se disent à juste titre, qu’avec les Français, ils seront plus fort pour lutter contre le développement de l’influence chinoise."
L’axe indopacifique, c’est un axe pour pouvoir lutter contre les velléités hégémoniques de la Chine, tout simplement dans le Pacifique.
Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique
"Le fait qu’aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie soit sous pavillon français empêche toute velléité, que ce soit d’investissement ou d’implantation de la Chine dans les territoires français", précise Pierre-Christophe Pantz. Les DROM-COM (Départements et Régions d’Outre-mer et Collectivités d’Outre-mer), dont la Nouvelle-Calédonie, doivent jouer un rôle important dans cet espace stratégique, face à la montée en puissance de la Chine. Un nouveau concept géopolitique est né : l’indopacifique. "L’axe indopacifique, c’est un axe pour pouvoir lutter contre les velléités hégémoniques de la Chine, tout simplement dans le Pacifique", précise le docteur en géopolitique.
Comme tout territoire, la Nouvelle-Calédonie est perméable à l’influence humaine.
Bastien Vandendyck, analyste en relations internationales et spécialiste de la Nouvelle-Calédonie
Bastien Vandendyck considère que la Chine développe son influence dans un territoire de deux manières : "Dans un premier temps, avec des relations personnelles et dans un second temps, avec des relations économiques." Si la France contrôle les flux financiers du Caillou, en revanche, "comme tout territoire, la Nouvelle-Calédonie est perméable à l’influence humaine", ajoute l’analyste en relations internationales.
Le docteur en géopolitique considère qu’à l’heure actuelle, "il n’y a aucun élément pour dire qu’il y a une implantation chinoise en Nouvelle-Calédonie." Le seul lien clair entre les deux territoires, c’est une association d’amitié sino-calédonienne, créée en 2016. "On sait que cette association a des liens avec les mouvements indépendantistes, mais en dehors de cela, il n’y a pas beaucoup d’éléments" décrit le docteur en géopolitique Pierre-Christophe Pantz.
L’association d’amitié sino-calédonienne, c’est un institut Confucius déguisé.
Bastien Vandendyck, analyste en relations internationales et spécialiste de la Nouvelle-Calédonie
De son côté, Bastien Vandendyck est plus véhément : "l’association d’amitié sino-calédonienne, c’est un institut Confucius (ndlr) déguisé." Pour lui, il s’agit d’une "association de lobbying pro-pékin" et selon lui, elle "sert à créer un réseau qui soit favorable au développement de la Chine auprès des partis indépendantistes". "La Chine a pré-positionné ses pions en Nouvelle-Calédonie, c’est une stratégie à long-terme", ajoute l’analyste en relations internationales.
Par ailleurs, il considère qu’il est légitime de s’interroger sur la place de certaines personnalités politiques calédoniennes dans cette association : "On pense notamment à Johanito Wamytan, qui est de la famille de Roch Wamytan, le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, accessoirement président de l’Union Calédonienne, le principal parti indépendantiste."
Depuis juillet 2019, Johanito Wamytam est directeur de cabinet au Congrès de Nouvelle-Calédonie. Auparavant, il était vice-président de cette association d’amitié. Bastien Vandendyck estime qu’il “sert de passerelle” entre l’institution politique et les intérêts chinois.
"Jean-Marie Tjibaou (figure du mouvement indépendantiste, assassiné en 1989 et signataire des Accords de Matignon, ndlr) disait, "l’indépendance, c’est de bien calculer ses interdépendances"", rappelle Pierre-Christophe Pantz. À travers cette citation, le docteur en géopolitique résume les programmes des indépendantistes : "Ils veulent nouer une indépendance en association avec la France, sans s’interdire des interdépendances avec d’autres pays, notamment la Chine."
Pour Bastien Vandendyck, impossible pour une Nouvelle-Calédonie indépendante de résister aux influences de la Chine. "Sans la France, la Nouvelle-Calédonie sera un tout petit pays de 270 000 personnes, dans le Pacifique." Comme mentionné plus haut, Xi Jinping a déjà positionné ses pions auprès des indépendantistes. "Si demain, la Nouvelle-Calédonie devient indépendante, il est évident qu’elle serait dirigée par des indépendantistes", donc que la Chine pourrait tirer les ficelles.
La Chine est utilisée par les non-indépendantistes pour faire peur.
Pierre-Christophe Pantz
De l’autre côté, le docteur en géopolitique considère que "la question de la Chine par rapport à la Nouvelle-Calédonie ne se pose pas vraiment dans la mesure où l’incertitude sur l’issue du référendum n’est plus la même". En effet, la majorité des indépendantistes ont appelé leurs électeurs à une non-participation au scrutin. La raison : à cause de la crise sanitaire, il était impossible de mener correctement une campagne électorale. De ce fait, "on ne peut pas imaginer autre chose qu’une victoire assez massive du "non" au référendum." De ce fait, il considère que "la Chine est utilisée par les non-indépendantistes pour faire peur."
Pierre-Christophe Pantz rappelle toutefois qu’il faut savoir prendre ses distances vis-à-vis de ces arguments. "Il faut savoir faire le tri entre d’un côté l’instrumentalisation pour faire peur et les risques réels qui planent à la fois sur la région et sur une Nouvelle-Calédonie potentiellement indépendante."