La déclaration de la République islamique d'Iran d'enrichir son uranium à 20% s'inscrit dans une dynamique d'escalade avec l'Occident, entamée par le retrait américain des accords sur le nucléaire iranien en 2018. Pour autant, ces manoeuvres pourraient être le moyen pour le pays, dans une situation économique délicate, de desserrer l'étreinte causée par les sanctions occidentales.
L'Iran a enclenché ce lundi 4 janvier le processus destiné à produire de l'uranium enrichi à 20% à l'usine souterraine de Fordo. Il s'agit de sa principale mesure de désengagement de l'accord nucléaire international annoncée dans un contexte tensions accrues avec les Etats-Unis.
Le même jour, l'armée idéologique du pouvoir en Iran, les Gardiens de la Révolution, a indiqué avoir saisi un pétrolier battant pavillon sud-coréen dans les eaux du Golfe, où sont déployés des navires américains. Séoul a réclamé la libération du tanker.
A l’inverse de son prédécesseur, Barack Obama, qui avait privilégié le dialogue avec Téhéran, Donald Trump a fait de l’endiguement de la République islamique l’un de ses chevaux de bataille, la qualifiant de « principal sponsor du terrorisme ».
Durant ses quatre années au Bureau ovale, les relations américano-iraniennes se détériorent, la dégradation atteignant son paroxysme au moment où les Etats-Unis décident unilatéralement de quitter, en mai 2018, l’accord de Vienne sur le nucléaire signé par l’Iran et les P5+ 1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni, France, Allemagne) en 2015. Cet accord prévoit une limitation du programme nucléaire iranien et un renforcement des contrôles contre une levée graduelle des sanctions économiques internationales qui frappent la République islamique.
L'Iran hausse le ton face à l'hostilité de Washington
L’assassinat, en novembre 2019, près de Téhéran, du chercheur Mohsen Fakhrizadeh, présenté comme « le père du nucléaire iranien », bien qu’attribué au Mossad israélien -les services secrets-, n’a fait qu’exacerber l’antagonisme entre les deux camps.
En réponse, le Parlement iranien, détenu par la frange la plus radicale, a voté « un plan d’action stratégique pour la levée des sanctions et la protection des intérêts du peuple iranien », le 1er décembre. Celui-ci prévoit justement la relance du programme nucléaire iranien.
Les récentes escalades verbales venues d’Iran témoignent de cette dégradation. Dernier exemple en date, la promesse d’une riposte « à toute action de l’ennemi » formulée par le chef des Gardiens de la Révolution, Hossein Salami, samedi 2 janvier.
Dans le même temps, le pays annonçait avoir fait part à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de son intention « d’enrichir de l’uranium à un taux pouvant aller jusqu’au 20 % dans l’usine souterraine de Fordo, afin de se conformer à une loi récemment adoptée par le Parlement iranien. » Soit un taux supérieur à la limite des 3,67 % imposés par l’accord de 2015.
(Re)voir : Irak : montée des tensions irano-américaines un an après la mort du général Soleimani
Répudier les discussions « élargies » sur le nucléaire
Faut-il voir dans ces déclarations iraniennes une manœuvre diplomatique de nature à faire pression sur l’Occident et plus spécifiquement sur la future administration de Joe Biden ? Pour Clément Therme, chercheur post-doctorant « Savoirs nucléaires » au CERI de Science Po Paris, elles s’inscrivent «
dans la dynamique d’escalade à l’œuvre depuis mai 2018. Avant 2015, l’Iran enrichissait déjà à 20 %. En réalité, le message envoyé aux Occidentaux est le suivant : on ne peut pas négocier sur autre chose que le nucléaire ».
En somme, c'est un moyen de couper court à toutes discussions « é
largies » sur le nucléaire, et qui engloberaient, outre la problématique balistique, les sujets des droits humains et de la position régionale de la République islamique. «
La France, l’Allemagne et la future administration Biden ont déjà indiqué qu’il faudrait négocier au-delà du nucléaire. En s’affirmant de la sorte, la République islamique renforce sa position dans la négociation. De son point de vue, ce sont les Occidentaux qui font figure de marchands de tapis dans le sens où, plus l’Iran fait d’efforts, plus ses homologues en réclament. »
La prochaine intronisation de Joe Biden, nouveau président américain élu, peut cependant rebattre les cartes. «
Les Etats-Unis sont devenus un facteur de prolifération nucléaire sous Trump », selon le chercheur Clément Therme. Moins cavalier que ne l’est son prédécesseur républicain, la future administration Biden pourrait s’affairer à détendre les rapports entre les deux pays.
Les pressions des alliés de l’Occident
La posture occidentale, et donc française par extension, mérite cependant qu’on élargisse le spectre de la controverse nucléaire au voisinage de la République islamique d'Iran. Israël et l’Arabie Saoudite, ennemis jurés de Téhéran, font partie des « alliés » et nul doute que ceux-ci «
feront pression pour que les Occidentaux fassent preuve de fermeté sur le dossier nucléaire. »
A cet égard, Clément Therme pointe du doigt «
l’alarmisme des médias et des milieux occidentaux qui est totalement déplacé. Selon un rapport de la CIA que j’ai pu consulté, la première suspicion d’arme nucléaire en Iran date de 1976… De manière générale, il y a davantage de Français qui pensent que l’Iran possède la bombe, alors qu’elle ne l’a pas, que de Français qui savent qu’Israël en est détentrice. »
Un accord à court terme envisageable ?
De son côté, l'Iran pratique une «
diplomatie à plusieurs voies » qui repose sur les rivalités entre les factions internes, les radicaux et les modérés. Mais elle présente par ailleurs une faiblesse majeure, à savoir, une situation économique désastreuse. De sorte «
qu’il est plus difficile pour le régime de justifier la priorité donnée au nucléaire qu’à l’achat de vaccins contre le coronavirus. Aujourd’hui, une majorité d’Iraniens développent un sentiment d’injustice puisqu’ils se préoccupent davantage du développement économique de leur nation que des dissensions sur le nucléaire. » Or les sanctions imposées par les Etats-Unis, notamment l’embargo pétrolier, asphyxient le régime iranien. «
C’est tout le paradoxe de la République islamique d'Iran. L’anti-américanisme idéologique coûte cher mais la situation interne du pays dépend toujours des élections américaines et du président en place. »
Un élément pourrait donner quelques indications sur les intentions diplomatiques et aspirations internes de la République islamique à court terme. Son projet de budget pour la période courant de mars 2021 à mars 2022 (ndlr : l’année débute en mars dans le calendrier persan) est calculé sur la base d’exportation de deux millions de barils par jour contre moins de 300.000 actuellement. Et l’expert sur le nucléaire d’avancer cette hypothèse : «
la République islamique souhaite un accord à court terme qui lui permettrait d’accroître ses exportations de pétrole dans le mesure où elle respecte les termes de l’accord de 2015. » Un desserrement qui ferait office de ballon d’oxygène pour l’Iran.