Nucléaire civil : les centrales Belges inquiètent l'Europe

Une pétition internet circule et des manifestations s'organisent en Belgique contre la remise en marche de deux réacteurs nucléaires défectueux ainsi que le prolongement de trois autres. Le risque d'un potentiel "Tchernobyl" belge est dénoncé. Où en est donc la Belgique et son engagement de sortie de l'atome, pris en 2002 ?
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Centrale nucléaire de Thiange
La (vieille) centrale nucléaire de Tihange en Belgique, source de nombreuses inquiétudes (AP Photo/Yves Logghe)
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La Belgique produit son électricité à 55% grâce à ses deux centrales nucléaires, Doel et Thiange, dont 7 réacteurs sur 8 sont encore en activité. Une loi de sortie du nucléaire a pourtant été votée en 2002, sous l'impulsion d'Olivier Deleuze, secrétaire d'État à l'Énergie et au Développement durable de 1999 à 2003.

L'engagement pris alors obligeait le gouvernement fédéral à arrêter les 7 réacteurs belges entre 2015 et 2025, respectant ainsi leurs durées d'exploitation maximales de 40 ans.

Le quotidien belge Le Soir titrait ainsi, en 2002 :

La Belgique éteint le nucléaire. Les sept centrales belges seront fermées entre 2015 et 2025

L'annonce était ferme et l'engagement clair (lien vers l'article du Soir) :

Le conseil des ministres a adopté, ce vendredi, le projet de loi qui vise l'abandon atomique Une décennie afin de délaisser le nucléaire

En 2012, des micro-fissures sont découvertes sur la cuve du réacteur N°2 de la centrale de Thiange (Thiange 2). Le réacteur est arrêté en 2014. Début 2015, l'entreprise Electrabel, gestionnaire de ces centrales et filiale à 100% du groupe français Engie (anciennement GDF-Suez), confirme une augmentation des fissures décelées en 2012. Mais ce réacteur "Thiange 2" n'atteignant les 40 ans d'exploitation qu'en 2022, n'a pas vocation à être définitivement arrêté.

Les réacteurs de N°1 et 2 de la centrale de Doel, que la loi prévoyait de fermer en 2015 ont malgré tout été prolongés de 10 ans en décembre 2014 par le gouvernement fédéral, tout comme Thiange 1. Tous ces réacteurs ne seront donc fermés qu'entre 2022 et 2025, comme Doel 3 et Doel 4.  A noter que Doel 3 a une cuve de réacteur où des micro-fissures ont été aussi détectées… .

Inquiétude populaire belge

L'Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) belge a autorisé Electrabel à procéder au redémarrage des réacteurs Thiange 2 et Doel 3, le 17 novembre 2015, malgré la présence de microfissures (lire l'explication sur le site Flandre Info.be) et une explosion à Doel survenue… le 31 octobre. Cette décision de redémarrage est l'étincelle qui a mis le feu aux poudres de la contestation populaire déjà engagée depuis les détections de microfissures et la prolongation de l'exploitation des réacteurs devant normalement être arrêtés.

La contestation en ligne pour demander l'arrêt de ces réacteurs est une pétition "Avaaz" (le système mondial de pétition sur Internet) intitulée "Quelques jours pour éviter un nouveau Tchernobyl ?". L'objectif des pétitionneurs est d'atteindre 500 000 signatures en 3 jours, il y en a actuellement plus de 200 000. Le texte de la pétition :

Aux membres du Parlement, aux gouvernements belge, français et à tous les gouvernements concernés dans l'Union européenne:

En tant que citoyens concernés partout en Europe, nous vous demandons de procéder immédiatement à une nouvelle évaluation de l'impact environnemental transfrontalier selon les dispositions de la directive EIE de l’EU et de la Convention d’Espoo de l’ONU. Cette étape est cruciale pour l'arrêt des réacteurs belges de Doel et Tihange au regard de l’inquiétude causée par les nombreuses fuites, les fissures, voire même les tentatives de sabotage de ces centrales. La sécurité publique est la priorité.

Dans les rues d'Anvers, 350 personnes ont défilé dimanche 17 janvier 2016 pour protester contre la prolongation des réacteurs Doel 1 et 2.

Inquiétude politique des pays voisins


En Allemagne, depuis la décision de l'AFCN de relancer Thiange 2 et Doel 3, les inquiétudes des partis écologistes ont remonté jusqu'au gouvernement fédéral.

Aux Pays-Bas, dont la frontière est proche d'Anvers, et donc de la centrale de Doel, la population et le gouvernement sont inquiets. Un arrêt automatique de la centrale pour un dysfonctionnement de sa génératrice, le 2 janvier, a fait monter la pression d'un cran en Hollande. Les partis d'opposition demandent au gouvernement qu'il exerce un droit de regard sur les centrales belges jugées trop vieilles et trop dangereuses pour être relancées. Le député Eric Smaling du Parti socialiste hollandais a déclaré que "Les installations ont à peine été remises en route qu’elles sont immédiatement tombées en panne. Nous ne pouvons pas qualifier cela de simple incident à chaque fois", et de demander la fermeture pure et simple de Doel.

Le Luxembourg, très proche de Tihange, a fait connaître sa préoccupation par la voix de sa secrétaire d'Etat au Développement durable, Camille Gira, "sur les déficiences constatées dans la centrale nucléaire de Tihange".

Fessenheim
Fessenheim, la plus vieille centrale nucléaire française, en exploitation depuis 1978, devait être fermée en 2016. Elle ne le sera pas avant 2017, 2018… ou plus tard encore. (Photo AP/ Winfried Rothermel)


Au delà de la préoccupation sur la prolongation des réacteurs belges aux cuves microfissurées, c'est le spectre d'un accident nucléaire majeur en Europe — équivalent à celui de Tchernobil ou Fukushima — qui est dans tous les esprits des manifestants contre la prolongation des vieux réacteurs.

La France — avec sa plus ancienne centrale nucléaire Fesseheim (1977) construite sur une faille sismique — est l'un des pays candidat à cette lugubre possibilité. François Hollande avait promis de fermer Fessenheim en 2016, et ce ne sera pas le cas. La "patate chaude" des vieilles centrales nucléaires prolongées au delà de leur durée de vie normale risque donc, logiquement, de  passer entre les mains du prochain gouvernement élu en 2017.

A l'évidence, l'abandon de l'énergie atomique n'est pas pour demain. Et les anti-nucléaires s'interrogent : faut-il qu'il survienne un accident majeur  pour tirer une bonne fois la sonnette d'alarme finale  ?