Nucléaire : entretien avec un conseiller scientifique chez Areva

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“Le nucléaire a sa place parmi les énergies de demain“

Bertrand Barré, ingénieur de l’Institut national des Sciences et Techniques nucléaires et conseiller scientifique chez Areva

“Le nucléaire a sa place parmi les énergies de demain“
Le nucléaire peut-il faire partie des énergies dites “propres” ? Oui, le nucléaire fait forcément partie de l’éventail des énergies de demain, même s’il ne sera pas seul. Mais il a un créneau bien particulier, c’est la fourniture d’électricité en base c’est-à-dire à la demande, 24h/24, 7 jours/7. Au plan mondial ses premiers concurrents sont le charbon et le gaz, et dans une moindre mesure l’hydraulique, des énergies dites “fossiles”. Les énergies renouvelables ont un potentiel formidable mais elles ont aussi deux problèmes : elles sont diffuses, c’est-à-dire qu’elles peuvent fournir de l’énergie de manière décentralisée mais plus difficilement de manière concentrée, comme pour une grande métropole, et elles sont intermittentes : on ne peut pas demander au vent de souffler quand on veut et au soleil d’éclairer la nuit. Le nucléaire n’émet pas de Gaz à Effet de Serre, ce qui est aussi une qualité très forte actuellement. Les énergies fossiles – qui émettent beaucoup de GES - représentent aujourd’hui 80% de l’énergie mondiale, et il faut que ça baisse. Le nucléaire à donc sa place là-dedans, sans être en concurrence avec les renouvelables. C’est un mix énergétique à trouver.
Nucléaire : entretien avec un conseiller scientifique chez Areva
Vue aérienne de la centrale nucléaire de Salem Creek, New Jersey (États-Unis)
Quid du traitement des déchets ? Il faut savoir deux choses sur les déchets nucléaires : - Il y a une petite quantité de déchets car l’énergie nucléaire est très concentrée. - Les déchets ne sont pas dispersés mais confinés et mis sous surveillance selon un calendrier qui prévoit au final un stockage en profondeur. Aujourd’hui en France aucun déchet nucléaire n’est encore enterré. En 2025 une usine souterraine existera pour accueillir ces déchets dans l’est de la France. Ils seront stockés sous une couche d’agile stabilisée depuis plusieurs dizaines de millions d’années, et sur laquelle on fait des expériences depuis 10 ans pour améliorer sa stabilité. Pour le moment, les déchets sont transformés en verre – qui reste radioactif- et entreposés dans des sites sous surveillance. Pourquoi le verre ? parce que le verre résiste à la corrosion de l’eau, ce qui serait la seule manière pour le noyau radioactif de “sortir”. En conditionnant le déchet en verre, on “piège” ce noyau jusqu’à ce qu’il perdre sa radioactivité puisqu’elle ne fait que décroître, même lentement. Il y a aussi des déchets nucléaires que nous réutilisons. Dans ce cas-là ces substances radioactives sont envoyées en Russie ou en Hollande pour être ré-enrichi. Cela deviendra le combustible des réacteurs de génération 4. Nos usines françaises ne se prêtent pas encore technologiquement à ce ré-enrichissement. Le nucléaire c’est le risque d’accidents... Il y a eu trois accidents dans toute l’histoire du nucléaire: en 1957 en Grande-Bretagne, en 1979 aux États-Unis, mais tout est resté confiné, et en 1986 à Tchernobyl (Ukraine) où tout est parti dans la nature. C’était une catastrophe sans aucune ambiguité mais elle venait de la combinaison de plusieurs facteurs : les réacteurs n’étaient pas assez sûrs et les opérateurs ont violés plusieurs consignes de sécurité pendant leur expérience qui a tourné au drame. La génération 3 des réacteurs - comme l’EPR qu’on est en train de construire - a été imaginée en tirant les leçons de Tchernobyl, car il est inadmissible de contaminer tout un continent comme cela. Le risque zéro n’existe pas mais si le coeur du réacteur fond, tout est gardé à l’intérieur de la centrale, rien ne s’en échappe. Il est vrai qu’on est en retard sur la construction du premier réacteur en Finlande, mais il devrait être en service en 2012 Ces réacteurs remplaceront petit à petit les réacteurs existants.
Nucléaire : entretien avec un conseiller scientifique chez Areva
Manifestants anti-nucléaire à Biscarosse (France)
Le nucléaire, c’est trop lourd, trop cher. C’est une technologie complexe c’est vrai. Elle nécessite des infrastructures, un environnement. On ne se lance pas comme ça là-dedans ! Il faut entre 5 et 7 ans pour qu’une centrale soit opérationnelle selon sa taille. C’est vrai aussi que le nucléaire ne devient économique que quand il est gros, c’est son défaut. Mais par rapport au charbon et au gaz, ses concurrents, il est plus compétitif. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a encore beaucoup de place pour le progrès. Je comprends que le nucléaire fasse peur mais c’est une technologie jeune – les premiers réacteurs datent de 1954 – nous sommes donc encore une fois dans une démarche de progrès. Quelles sont les autres applications du nucléaire ? Le nucléaire et la radioactivité sont déjà très présents dans notre vie. En médecine le nucléaire permet de diagnostiquer des nodules, des cancers encore guérissables, il permet aussi de soigner avec la radiothérapie utilisée dans le traitement des cellules cancéreuses. En agriculture, les traceurs isotopes permettent de suivre le cycle de l’eau et ainsi d’optimiser les apports au terrain. C’est aussi grace au nucléaire que l’on a conçu la variété de blé à tige courte qui résiste mieux aux orages. Dans la recherche scientifique, le séquençage du génome humain n’aurait pas été possible sans des techniques de marquages qui s’appuient sur le nucléaire. Il y a plein d’autres utilités aussi que l’on ne soupçonne pas comme la mesure de l’épaisseur de la tôle avec laquelle on va faire les canettes de bière, ou la qualité des soudures sur les gazoducs russes. Propos recueillis par Laure Constantinesco 30 novembre 2009