Fil d'Ariane
« Robuste ». C'est le terme employé par le chef de la diplomatie française Laurent Fabius pour qualifier l'accord de ses vœux sur le nucléaire iranien. Pour le ministre français des Affaires étrangères, "les choses ont avancé, mais pas encore suffisamment" pour conclure un accord. "Nous ne sommes pas encore tout à fait, au moment où je suis parti dans la nuit, au point de conclure et bien évidemment, je repartirai pour Lausanne dès que nécessaire" a-t-il précisé.
Il faut d'abord faire, dans cette position, la part de la posture. Depuis plus de dix ans, la France s'est impliquée dans le dossier du nucléaire iranien avec une fougue singulière compte tenu de la relativité de ses intérêts immédiats dans la question. Paradoxe : ce fut d'abord dans un sens modérateur. Après l'invasion américaine de l'Irak en 2003, Paris s'est efforcé, en alternative à la guerre, de nouer un dialogue avec des pays concernés par les armes de destruction massive, et donc avec Téhéran, qui était demandeur.
D'abord intéressantes, les discussions se sont progressivement étiolées et la venue au pouvoir de Nicolas Sarkozy en 2007 y a mis un point final. Un rapprochement avec Israël s'est dans le même temps opéré et, de colombe, la France est devenue faucon dans la question iranienne. Son durcissement s'est trouvé confirmé et même accentué en 2012 par le nouveau pouvoir socialiste, lui aussi très lié à Israël et soucieux de faire entendre à peu de frais une forte voix - agréable à Tel Aviv - dans une négociation internationale. Sans que cela fasse l'objet d'un débat particulier en France, Paris est ainsi devenu sous François Hollande bien plus inflexible à l'égard du nucléaire iranien que les États-Unis de Barak Obama, désormais plus pragmatiques.
Laurent Fabius et l'Iran
Premier ministre français de 1984 à 1986, Laurent Fabius a joué les trublions dans la négociation à plusieurs reprises, particulièrement en novembre 2013 lorsqu'il s'était opposé in extremis à la première mouture d'un accord provisoire, jugée trop faible. Cet homme de 68 ans, grand, élégant, a gardé de son expérience politique un souvenir "désastreux" de l'Iran, selon des sources diplomatiques, qui rappellent qu'il a été Premier ministre à l'époque de la pire des relations entre Paris et Téhéran. La France, qui avait pris le parti de l'Irak contre l'Iran dans la guerre entre les deux pays, était alors secouée par une série d'attentats dont Téhéran est soupçonné d'avoir été le principal commanditaire. C'est aussi l'époque des otages français au Liban, enlevés par le Hezbollah chiite allié de Téhéran. (AFP)
En novembre 2013, un différend sérieux a opposé Washington à la France – déjà représentée par Laurent Fabius – cette dernière s'opposant à la conclusion d'un accord avec l'Iran longuement concocté par les États-Unis et l'Union européenne avant de s'incliner, deux semaines et quelques amendements de forme plus tard, suscitant l'agacement général et le ressentiment de l'autre partie.Jugé généralement positif, l'accord a permis le gel provisoire du programme nucléaire iranien.
L'attitude de la France dans le nouveau round apparaît, à certains égards, comme une redite de l'épisode précédent. Dans les discussions du 18 au 20 mars, Paris émet de multiples objections contre l'accord qui se dessine, estimant que le compromis doit être renforcé dans le sens du contrôle, et pas forcément signé trop vite. « On a besoin de tout notre temps pour boucler un accord complexe », tweete l'ambassadeur de France à Washington,qui fut aussi précédemment un négociateur avec l'Iran.
Inquiet des freinages français, Obama téléphone le 27 mars à François Hollande, non sans effet. A Lausanne la France se radoucit et parle, désormais, à l'unisson de ses alliés. « Nos interlocuteurs ont eu besoin de plus de temps pour se coordonner en interne (…) en raison de la variété des intérêts, des sensibilités politiques ou des problèmes de personnes », commente ironiquement, cité par le Monde, le ministre des affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif en quittant la Suisse.
En dépit de ces péripéties, pourtant, pour la première fois depuis une précédente session de négociations à Vienne en novembre, tous les chefs de la diplomatie des grandes puissances (Etats-Unis, GB, France, Russie, Chine, Allemagne) et de l'Iran se sont retrouvés lundi matin autour de la même table à l'hôtel Beau Rivage de Lausanne.
Objectif: s'assurer que l'Iran ne cherchera pas à se doter de la bombe atomique en contrôlant étroitement son programme nucléaire, en échange d'une levée des sanctions internationales qui étranglent l'économie iranienne depuis des années.
Le premier concerne la durée de l'accord en négociation. Les grandes puissances souhaitent un cadre strict de contrôle des activités nucléaires iraniennes sur au moins 15 ans, mais l'Iran ne veut pas s'engager au delà de 10 ans, selon cette source.
La question de la levée des sanctions de l'ONU reste également, depuis le début, un gros point de blocage. Les Iraniens voudraient voir tomber dès la conclusion d'un accord ces sanctions économiques et diplomatiques, jugées humiliantes. Or les grandes puissances veulent une levée graduelle de ces mesures liées à la prolifération nucléaire et prises depuis 2006 par le Conseil de sécurité de l'Onu.
En cas de levée de certaines de ces sanctions, certains pays du P5+1 veulent en outre un mécanisme qui permettrait de les réimposer rapidement au cas où l'Iran violerait ses engagements, selon cette source. «L'accord dépendra très largement de ces trois points là», estime la source diplomatique.
Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a quitté Lausanne dans la journée, en raison d'engagements déjà prévus à Moscou.« Il reviendra s'il y a une chance réaliste d'un accord demain» (mardi), a déclaré une de ses porte-parole, Maria Zakharova.
Aucun responsable ne se risquait lundi à prévoir dans quel sens le vent allait tourner, tant ces négociations se font sur la corde raide. Un échec d'ici mardi ne signifierait pas pour autant la rupture et la fin de toutes les négociations. La situation serait beaucoup plus compliquée et difficile, en raison notamment des contraintes internes aux États-Unis et en Iran, où les opposants à un accord seront confortés en cas d'échec des discussions de Lausanne.
« A un moment, il faut quand même dire oui ou dire non », a résumé une source occidentale, ajoutant :« On est dans une situation historique », tous les chefs de la diplomatie des pays négociateurs sont présents. « On a le sentiment que c'est maintenant que ça doit se faire ».
Un avis peu partagé par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qui, de Jérusalem, revient à la charge contre toute entente avec l'Iran. Il y voit « un dangereux accord » qui permettrait à l'Iran de « conquérir » le Moyen-Orient « Les pays modérés et responsables de la région, en particulier Israël et beaucoup d'autres Etats, seront les premiers à subir les conséquences de cet accord », a-t-il lancé. Il a également estimé que les négociateurs à Lausanne « fermaient les yeux » sur le soutien apporté par l'Iran aux forces rebelles chiites au Yemen, combattues par une coalition menée par l'Arabie saoudite. Malgré sa victoire électorale toute fraîche, le chef emblématique de la droite israélienne semble tout de même peiner, sur ce dossier, à se faire obéir de ses alliés.