UN PASSÉ REVENDICATIF Vu de l'étranger, le Japon n'est pas connu pour ses mouvements sociaux d'envergure. Même, dans l'imaginaire collectif, le travailleur nippon, quand il se met en grève, le manifeste par un brassard, tout en se rendant au bureau, dans la bonne application d'un toyotisme désuet et d'une pensée confucéenne qu'on pourrait rapprocher du holisme, où le collectif prime sur l'individu. En conséquence de quoi, a contrario, un élément perturbateur potentiel ne peut pas se permettre de mettre en danger une mécanique sociale et productive bien huilée. C'est oublier qu'entre l'immédiate après-guerre et la fin des années 1970, le Japon a connu une certaine ferveur sociale, certains se groupant en associations de consommateurs, d'autres rejoignant des syndicats (contrairement à aujourd'hui, le taux de syndicalisation avoisinait sans peine les 50% en 1946), d'autres encore se fédérant en groupes révolutionnaires. Ces derniers, essentiellement constitués d'étudiants, ont agité la sphère politique nippone tout au long des années 1960, les années 1968-1969 constituant un point d'orgue retentissant. Ainsi, le mai 68 japonais s'est étalé sur un semestre, qui a vu la mise à sac de plusieurs instances économiques et politiques par des groupes d'étudiants. Cette ferveur contestataire s'est amenuisée avec le temps, notamment parce que depuis, la loi interdit aux fonctionnaires de se mettre en grève, et que nombre d'infrastructures (le transport ferroviaire notamment) ont été privatisées. Aussi, on peut comprendre que ces "nouvelles" manifestations peuvent surprendre. Pourtant, à l'occasion de la célébration de la Fête du Travail (qui se tient généralement le 3 ou le 4 mai au Japon), des groupements syndicaux radicaux, ainsi que des associations de travailleurs précaires (les
freeters) ont transformé ces marches en mouvements revendicatifs contre le travail précaire (le "précariat", même). De même, pas plus tard qu'en septembre 2011, une masse de Japonais s'est rassemblée à Tokyo pour protester contre le nucléaire. Ces deux manifestations d'envergure, aux messages similaires de ceux scandés le 15 octobre dernier, ont rassemblé à chaque fois plusieurs dizaines de milliers de participants.