Alors que l'offensive turque se poursuit contre les Kurdes dans le Nord de la Syrie, les Américains se rendent à Ankara après une inflexion de la position de Donald Trump et Vladimir Poutine invité son homologue turc Recep Erdogan à Moscou. En attendant, des dizaines de milliers de civils fuient tout comme les ONG à présent, comme Médecins sans frontières obligée d'évacuer le nord-est de la Syrie.
Les forces kurdes opposaient une résistance féroce mardi aux militaires turcs dans le nord de la Syrie, où le retrait de troupes américaines a permis un déploiement de l'armée du régime syrien et de son allié russe.
En lançant le 9 octobre son offensive pour éloigner de sa frontière la milice kurde syrienne des Unités de protection du peuple (YPG), la Turquie a ouvert un nouveau front dans la guerre complexe en Syrie qui a fait plus de 370.000 morts depuis 2011.
Plusieurs pays interviennent militairement en Syrie. Les soldats américains, déployés pour aider les Kurdes face au groupe jihadiste Etat islamique (EI), ont reçu l'ordre de partir. Abandonnés face aux forces turques, les Kurdes ont appelé dimanche à l'aide le régime de Bachar al-Assad, soutenu sur le terrain par la Russie mais aussi l'Iran.
Ballet diplomatique
L'offensive turque a provoqué un tollé international et le Conseil de sécurité de l'ONU doit se réunir à nouveau mercredi. Alors que Vladimir Poutine a invité le président turc à Moscou, le vice-président américain Mike Pence va partir pour la Turquie "dans les prochaines 24 heures" pour négocier un cessez-le-feu.
Après avoir annoncé le départ du nord syrien de près d'un millier de soldats américains, les Etats-Unis ont adopté des sanctions contre des ministres turcs mais cherchent dans le même temps à sauver leur alliance historique avec la Turquie qui accueille des bases américaines stratégiques. Cela alors que la visite de M. Pence est attendue en Turquie.
Dans ce contexte, Berlin, Londres et Paris ont annoncé la suspension des exportations vers la Turquie d'armes "qui pourraient être utilisées" dans son offensive.
La Turquie a toutefois assuré qu'elle poursuivrait son opération "avec ou sans le soutien" du monde, dénonçant le "sale marché" conclu entre les forces kurdes et le régime Assad.
Son objectif affiché: la création d'une "zone de sécurité" de 32 km de profondeur le long de sa frontière, qui permettra notamment de rapatrier une partie des 3,6 millions de réfugiés syriens installés en Turquie.
Depuis le 9 octobre, les forces turques et leurs supplétifs syriens ont pris le contrôle d'une bande frontalière de près de 120 km. Une ville clé reste à conquérir, celle de Ras Al-Aïn.
C'est là où les combats les plus violents se concentrent, les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les YPG, opposant une résistance acharnée en utilisant un réseau de tunnels. En soirée, les affrontements se sont poursuivis dans l'ouest de Ras al-Aïn et près de la ville de Tal Abyad conquise par les forces turques, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).
Pas de combats syro-turcs
A l'appel des Kurdes, les forces du régime se sont déployées dès lundi dans des secteurs du Nord, notamment à Minbej où les soldats syriens ont hissé le drapeau national, après le retrait des soldats américains.
Dans ce contexte explosif, la Russie a souligné qu'elle ne permettrait pas des combats entre les armées turque et syrienne. Ils "ne sont dans l'intérêt de personne et seraient inacceptables", a déclaré l'émissaire russe pour la Syrie, Alexandre Lavrentiev.
La police militaire russe mène d'ailleurs "des patrouilles le long de la ligne de contact" entre les forces syriennes et turques dans le secteur de Minbej, selon Moscou.
Deux soldats turcs ont toutefois été tués selon Ankara par des obus tirés depuis la région de Minbej, où de violents combats nocturnes avaient opposé les forces d'Ankara aux Kurdes.
En sept jours, 71 civils, 158 combattants des FDS ainsi que 128 combattants proturcs ont été tués, d'après l'OSDH.
Ankara a déploré la mort de six soldats en Syrie ainsi que de 20 civils par des tirs de roquettes sur des villes turques en provenance de Syrie.
De plus, l'offensive a provoqué l'exode de 160.000 personnes d'après l'ONU.
Les ONG dont MSF contraintes de fuir
Les autorités kurdes se sont alarmées de l'arrêt des activités de "toutes" les ONG internationales et le retrait de leurs employés du secteur, qui accueille plusieurs camps de déplacés déjà sous pression.
L'ONG
Médecins sans frontières a dit avoir dû
"suspendre la majorité de ses activités et évacuer tout son personnel international". Depuis le déclenchement de l’offensive turque le 9 octobre, le personnel international de MSF a été contraint d’évacuer les localités d’Aïn Issa, Al-Hol, Tal Abyad, Tal Tamer, Tal Kocher/Yaroubiyah, Kobane/Ain al Arab et la ville de Raqqa.
"Cela a été une décision extrêmement difficile à prendre, MSF ayant pleinement conscience des besoins des personnes fuyant la région et des personnes vulnérables", indique l’ONG.
"La population du nord-est de la Syrie a déjà enduré des années de conflit et d’incertitude. Les derniers développements n’ont fait qu’accroître les besoins d’assistance humanitaire, mais celle-ci ne peut être fournie dans le climat d’insécurité actuel", estime Robert Onus, le coordinateur d’urgence MSF pour la Syrie.
Selon l’organisation, ses équipes fournissaient dans la ville de Tal Tamar "des couvertures, des rations alimentaires d’urgence, des bouteilles d’eau et du savon aux milliers de personnes déplacées qui arrivaient chaque jour dans la ville après avoir fui leur domicile".
"Jusqu’au dimanche 13 octobre, le personnel de MSF aidait également plusieurs villages de la région à surmonter les pénuries d’eau, après qu’une frappe aérienne a endommagé la station de pompage d’eau, coupant ainsi l’approvisionnement de villes entières", ajoute l’ONG.
Robert Onus s’est aussi dit "extrêmement inquiet" pour la sécurité des “collègues syriens” de MSF et “de leurs familles qui sont restés sur place”.
Pour l'heure, les agences de l'ONU poursuivent elles leurs opérations, malgré la situation dangereuse.