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Une crise diplomatique entre la France et le Canada se profile-t-elle alors que la France vient officiellement d’appuyer la candidature de Louise Mushikiwabo, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie ? La question se pose, surtout si le gouvernement de Justin Trudeau continue à soutenir la candidature de Michaëlle Jean à sa réélection.
Au lendemain de l’annonce du soutien officiel de la France à la ministre rwandaise des affaires étrangères, les débats ont été virulents à la Chambre des Communes à Ottawa. Le Parti conservateur, qui a pourtant travaillé avec acharnement en 2014 pour asseoir Michaëlle Jean dans la chaise de secrétaire générale de la Francophonie, a mené une charge à fond de train contre elle. Et contre le fait que le gouvernement Trudeau continue d'appuyer sa réélection lors du sommet de l’OIF en octobre prochain à Erevan, en Arménie.
"Comment ce gouvernement-là peut-il oser encore (appuyer, ndlr) aujourd’hui la nomination prochaine pour une réélection de la Québécoise qui a refusé de s’expliquer publiquement sur ses dépenses frivoles et fait preuve de non-transparence ?" a demandé le député conservateur Alupa Clark. "Il n'y a que des libéraux pour être satiasfaits de ce que Michaëlle Jean fait ! Michaëlle Jean est devenue un embarras pour le Canada. Elle a géré de façon tout à fait irresponsable son organisme", a tempêté de son côté un autre conservateur, Gérard Deltell.
Ce à quoi la ministre responsable de la Francophonie, Marie-Claude Bibeau, a répliqué : "Madame Jean a fait un excellent travail au niveau de la mission de l’organisation. Elle fait la promotion des valeurs qui sont chères aux Canadiens. L’Organisation internationale de la Francophonie a besoin d’une modernisation au niveau de ses pratiques financières. C'est ce que nous allons faire." Et le gouvernement Trudeau réitère sa confiance en la secrétaire générale.
Une grande partie de l’avenir de la francophonie internationale va se jouer sur le continent africain. Tout le monde le reconnaîtPhilippe Couillard, premier ministre du Québec
Du côté du Québec, l’appui est du bout des lèvres. Le premier ministre Philippe Couillard a pris soin de préciser que Michaëlle Jean n’avait pas encore manifesté officiellement son désir de se faire réélire pour un deuxième mandat, mais il a déclaré : "On a une Canadienne et une Québécoise qui dirige l’OIF. Bien sûr, on est heureux, on va la soutenir. On a eu des remarques sur la gestion, la transparence de l’OIF. Ces remarques ont été entendues. Michaëlle Jean, je crois, a l’intention de présenter un plan précis, une reddition de comptes précise au prochain sommet de l’OIF."
Invité à se prononcer sur le soutien du président français Emmanuel Macron à la candidature de la Rwandaise Louise Mushikiwabo, le premier ministre québécois a fait preuve de diplomatie en faisant remarquer "qu’une grande partie de l’avenir de la francophonie internationale va se jouer sur le continent africain. Tout le monde le reconnaît. Ce n’est pas surprenant de voir l’Afrique vouloir s’unir autour d’une candidature qui, en passant, n’a pas encore été officialisée."
Si le Québec et le Canada maintiennent la candidature de Michaëlle Jean, il y a un très gros risque d’échec diplomatiqueLouise Beaudoin, ex-déléguée du Québec à Paris
Chacun sait que le poids de la France est déterminant pour se faire élire au poste de secrétaire général-e de la Francophonie. Michaëlle Jean n’aurait jamais pu être élue en 2014 sans le soutien officiel du président François Hollande.
La décision d’Emmanuel Macron de soutenir la ministre rwandaise est donc un obstacle quasi insurmontable pour la candidature de Michaëlle Jean. Et selon Louise Beaudoin, ex-déléguée du Québec à Paris et ex-ministre du Parti québécois des Relations internationales, le Canada ne peut pas se permettre de mener cette bataille qui est perdue d’avance : "Si le Québec et le Canada maintiennent la candidature de Michaëlle Jean, il y a un très gros risque d’échec diplomatique", a-t-elle analysé en entrevue au Réseau de l’Information (RDI).
Elle ne croit pas que les Québécois vont monter aux barricades pour défendre Michaëlle Jean : "Il est certain que Michaëlle Jean a des problèmes internes et externes. Au niveau interne, il y a sa manière de gouverner, ses dépenses à relents monarchiques qui posent des problèmes, en particulier pour la motivation des troupes à l’interne, il y a une atmosphère empoisonnée au sein de l’OIF, une atmosphère de cour. Et au niveau externe, ce que l’on comprend, c’est qu’elle n’a pas réussi à s’imposer en Afrique et auprès des pays africains, ce sont deux problèmes graves pour sa réélection."
La greffe n’a pas pris entre Michaëlle Jean et les États membres de l’OIF, en particulier les États africainsJocelyn Coulon, analyste de la scène internationale
Un avis partagé par l’analyste de la scène internationale Jocelyn Coulon : "la greffe n’a pas pris entre Michaëlle Jean et les États membres de l’OIF, en particulier les États africains", a-t-il déclaré, lui aussi, en entrevue sur RDI. Il croit que Michaëlle Jean est, en quelque sorte, victime de la géopolitique de la France qui veut redonner aux Africains la place qui leur revient sur la scène internationale.
Lui non plus ne voit pas comment, dans les circonstances, le Canada pourrait continuer à soutenir une possible candidature de la Secrétaire générale à sa réélection : "Elle a déjà été élue de justesse en 2014. Le Canada va se retrouver dans une situation intenable car au cours des prochains jours et des prochaines semaines, on va voir quels pays africains appuient soit Michaëlle Jean, soit la ministre rwandaise des Affaires étrangères. J'ai bien peur que le Canada se retrouve isolé. Il ne mènera pas une campagne vigoureuse et ouverte pour sauver Michaëlle Jean."
Voilà pourquoi certains se demandent s’il ne serait pas pertinent d’offrir à Michaëlle Jean une solution alternative pour éviter qu’elle ne se représente. Ce qui permettrait à chacun de sortir de cette impasse la tête haute en évitant une petite crise diplomatique entre la France, le Québec et le Canada.