Fil d'Ariane
Premier couac pour le début de l’opération Wuambushu à Mayotte : les Comores ont refusé ce lundi 24 avril l’accostage d’un navire qui transportait entre autres des passagers en situation illégale à Mayotte.
Le ministre comorien de l'Intérieur, Fakridine Mahamoud, a déclaré ce même jour au sujet de l’opération Wuambushu: "Tant que la partie française décidera de faire des choses de façon unilatérale, nous prendrons nos responsabilités". "Aucun expulsé ne rentrera dans un port sous souveraineté comorienne", a-t-il assuré.
Alors que le préfet de Mayotte a pris acte en espérant que les rotations reprennent "rapidement" avec l’île comorienne d’Anjouan, les femmes et hommes politiques se sont avérés plus véhéments.
Ainsi, le député européen et délégué à l’Outre-mer du Rassemblement National André Rougé a déclaré ce mercredi sur Mayotte la 1ère : "Il était évident que les Comores feraient obstruction." Il estime qu'il "faut mettre au pas les Comores. Emmanuel Macron veut faire asseoir les présidents Poutine et Zelenski et n’est même pas capable de se faire respecter par [le président comorien] Azali."
Ce mardi, c'était la députée mahoraise (LIOT) Estelle Youssouffa qui réagissait sur France Info, rappelant que ce n’est pas la première fois que les autorités comoriennes refusent de prendre leurs ressortissants. Mais pour elle, le gouvernement français "a des leviers : geler les avoirs des Comoriens à Mayotte car le franc comorien est adossé à la banque de France ; geler les visas des ressortissants comoriens".
Les Comores ont en effet plusieurs fois engagé un bras de fer diplomatique avec la France, en interdisant le retour sur son sol de ses ressortissants en situation irrégulière à Mayotte. Ce fut le cas en 2011 après que l’île est devenue le 101e département français. La situation s’est apaisée avec l’instauration en 2013 d’un haut conseil paritaire entre Paris et les autorités comoriennes afin de renouer le dialogue.
Idem en 2018 : après plusieurs semaines de grèves et de manifestations pour protester contre la violence à Mayotte, les autorités françaises ont multiplié les expulsions de sans-papiers vers les Comores. Moroni [capitale des Comores et siège du pouvoir politique, NDLR] a alors riposté en refusant de réadmettre pendant neuf mois ses ressortissants en situation irrégulière, considérant que Mayotte était une île comorienne. À son tour, Paris a décidé de mesures de rétorsion en gelant la délivrance de visas pour tous les ressortissants comoriens désirant se rendre en France.
Autre levier cette fois proposé par Rachida Dati mardi matin sur Europe 1 : suspendre l’aide financière. "On donne beaucoup d’argent aux Comores […] et donc peut-être qu’on a un moyen d’action, avance-t-elle. On peut arrêter de se faire humilier tout le temps."
L’ancienne garde des Sceaux fait ici référence à un accord de coopération signé en 2019, baptisé "plan de développement France-Comores". Après les tensions de 2018, les deux États ont trouvé un terrain d’entente : en échange de "la mise en œuvre par les Comores d’un programme de lutte efficace contre les départs irréguliers d’embarcations vers Mayotte" et d’une coopération franco-comorienne "contre les trafics d’êtres humains", la France octroyait aux Comores une aide budgétaire directe de 150 millions d’euros sur trois ans, entre 2019 et 2022. Celle-ci se répartissait ainsi :
L’objectif affiché était d’améliorer la qualité de vie sur l’archipel, de favoriser son développement socio-économique pour que les Comoriens renoncent à s’installer à Mayotte.
Censées se terminer en 2022, ces aides semblent avoir été mises en place avec du retard, du fait de blocages institutionnels et de la crise du Covid notamment, et certains programmes n’ont démarré qu’en 2021 et 2022. Un des derniers en date est par exemple le "Komor initiative", lancé en avril 2022. Financé à hauteur de 8,5 millions d'euros, il s’agit d’un projet d’appui à la formation et à l’insertion professionnelle des jeunes aux Comores.
Au-delà des retards, ces aides sont-elles efficaces ? Pour l’instant, pas vraiment semble-t-il. Dans cet accord, les Comores sont censés "contrôler les ateliers de fabrication de kwassas" et "démanteler ceux dont l’activité concourt à l’immigration illégale". Or, si l’on en croit les chiffres de la préfecture de Mayotte, le nombre de kwassas détectés ne baisse pas par rapport à 2019alors que le nombre d'interceptions ne cesse d’augmenter d’année en année :
On pourrait interpréter ces chiffres en pensant que la France met plus de moyens en œuvre contre l’immigration clandestine, mais pas forcément les Comores.
Certaines déclarations laissent d'ailleurs penser que les Comores ont toujours un rapport ambigu avec la France. Début 2021, la tension remontait ainsi d’un cran lorsque le gouverneur de Ndzouani, Anissi Chamsidine, affirmait que "Mayotte est comorienne", et qu’il n’allait pas prendre un visa pour s’y rendre.
"Il faudrait peut-être que les Comoriens prennent des kwassas par milliers [pour rejoindre Mayotte], lançait-il. On verra alors si la France nous bombarde avec ses bateaux de guerre". Paris avait réagi… en demandant des excuses officielles.
Le bilan de cette coopération semble donc bien maigre pour beaucoup d'élus, au-delà de leurs couleurs politiques. Interviewée ce mardi soir sur France Info, l'ancienne ministre écologiste Dominique Voynet, qui connaît la situation à Mayotte pour avoir été directrice de l'ARS sur l'île, affirme dans cette vidéo que l'Union des Comores "joue avec les nerfs de la France" et "ne tient pas ses engagements".
D'après les propos de Dominique Voynet, on comprend donc qu'il est difficile pour la France de faire aujourd'hui pression sur un État qui ne respectait déjà pas sa part du contrat. Elle croit malgré tout que la France doit "faire monter en puissance sa coopération" avec les Comores sur le moyen et le long terme.
Poursuivre la coopération, c'est aussi la réponse de la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna lorsqu'elle était interrogée par Estelle Youssouffa en octobre 2022. Lors d’une séance en commission des affaires étrangères en octobre 2022, la députée mahoraise avait pointé du doigt l'échec des 150 millions d’euros d’aide. "Va-t-on continuer à dépenser notre argent du contribuable français en pure perte aux Comores ? Peut-on continuer à financer un pays qui colonise, qui déstabilise ouvertement le département français qu’est Mayotte ?", avait-elle demandé à Catherine Colonna.
Celle-ci avait alors répondu être consciente "des difficultés à Mayotte", mais poursuivre dans le sillon tracé, à savoir "essayer de prévenir plus encore les départs de migrants clandestins vers Mayotte en favorisant la création d’opportunités économiques aux Comores, en ciblant en particulier l’île d’Anjouan, point de départ de nombreuses migrations."