Fil d'Ariane
[Mise à jour du 16 juillet 2021] Le directeur général de l'OMS a déclaré jeudi 15 juillet que la Chine devait "mieux coopérer" à l'enquête sur les origines de la pandémie de Covid-19, lors d'un point presse de l'OMS à Genève.
"Le premier problème, c'est de partager les données brutes et j'ai dit dès la conclusion de la première phase de l'enquête qu'il fallait régler ce problème et le second c'est qu'il y a eu une tentative prématurée de réduire le nombre d'hypothèses comme celle du laboratoire" dans la transmission à l'homme, a souligné le Dr Tedros.
Dès le lendemain, vendredi 16 juillet, Pékin a rejeté les critiques sur le manque supposé de coopération de la Chine dans l'enquête sur l'origine de la pandémie.
Un porte-parole de la diplomatie chinoise, Zhao Lijian, a affirmé que "certaines informations concernant la vie privée ne peuvent être copiées et sorties du pays".
Selon M. Lijian, les experts de l'OMS ont pu "obtenir une grande quantité de données" et la Chine leur "a montré ligne par ligne" celles qui nécessitaient "une attention particulière". "Cette question ne devrait pas être politisée" a t-il rajouté.
"J’ai demandé à la communauté du renseignement de redoubler d’efforts pour récolter et analyser des informations pouvant nous rapprocher d’une conclusion définitive [sur l'origine de la pandémie], et de me présenter un compte-rendu dans 90 jours", a expliqué Joe Biden dans un communiqué ce 26 mai 2021. Puis d'ajouter : "Dans le cadre de ce rapport, j’ai demandé des zones d’enquête supplémentaires qui pourraient être nécessaires, dont des questions spécifiques pour la Chine. "
Le président américain a visiblement décidé de faire la lumière sur l'origine de l'épidémie mondiale de coronavirus, estimant que les conclusions de l'enquête conjointe entre l'OMS et la Chine de fin mars n'étaient pas satisfaisantes.
Les responsables du gouvernement chinois ont pour leur part très peu apprécié ces déclarations de Joe Biden, en indiquant que "la politisation des origines du Covid-19 entraverait la poursuite des enquêtes et saperait les efforts mondiaux pour enrayer la pandémie."
Il est infiniment probable que le virus du Covid-19 se soit déclaré en de nombreux endroits simultanés de la planète et qu'il n'y a pas de raison de penser qu'il ait son origine en Chine
Wang Yi, ministre des Affaires étrangères chinois
Depuis le début de l'année, le gouvernement chinois privilégie une thèse relayée par la voix du ministre des Affaires étrangères chinois affirmant "qu’il est infiniment probable que le virus du Covid-19 se soit déclaré en de nombreux endroits simultanés de la planète et qu'il n'y a pas de raison de penser qu'il ait son origine en Chine." Des explications de contamination par des emballages de viande surgelée provenant de l'étranger ont aussi été relayées par les autorités chinoises.
Pourquoi le président américain ne se satisfait-il plus de la seule explication de départ d'une contamination de l'animal vers l'homme ? Et surtout, pourquoi les autres pistes, dont celle de l'accident de laboratoire sont-elles désormais envisagées sérieusement ?
Le 14 mai dernier, une lettre ouverte de 18 scientifiques américains de renommée mondiale a été publiée dans la revue Science. Les spécialistes de l'évolution du virus y affirmaient que "des recherches supplémentaires sont encore nécessaires pour déterminer l’origine de la pandémie", mais aussi, que "les deux thèses, celle d’une fuite accidentelle d’un laboratoire ou celle d’une contagion par transmission de l’animal à l’homme du virus, restent toutes deux possibles."
Cette lettre ouverte qui explique qu'il faut "suffisamment de données" pour prendre au sérieux l'une ou l'autre thèse, met à mal le rapport de l'OMS. Ce dernier affirme qu'un incident de laboratoire est "extrêmement improbable" et que la piste de la transmission à l’homme par un animal intermédiaire est "probable à très probable". Mais cette lettre ouverte survient aussi très peu de temps après la divulgation de travaux universitaires menés à l’Institut de virologie de Wuhan (Wuhan Institute of Virology, WIV) entre 2014 et 2019, par un compte anonyme d'un scientifique sur Twitter. Ces trois mémoires — analysés comme appartenant bien au WIV — démontrent des incohérences avec les données fournies par ce même WIV. Ils soulignent en particulier que depuis le début de la pandémie, le nombre et la nature des coronavirus conservés au laboratoire, les expériences conduites sur ces virus, ne sont pas de même nature que ce qui a été déclaré par l’Institut de virologie de Wuhan.
Les deux thèses, celle d’une fuite accidentelle d’un laboratoire ou celle d’une contagion par transmission de l’animal à l’homme du virus, restent toutes deux possibles
Lettre ouverte de 18 scientifiques américains dans le revue Science
La demande d'une enquête "transparente et objective" effectuée par ces 18 scientifiques — que Joe Biden a reprise à son compte — devient donc plus évidente à comprendre, surtout quand on découvre que parmi les signataires de la lettre ouverte, se trouve le nom du microbiologiste Ralph Baric, qui compte parmi les meilleurs spécialistes mondiaux des coronavirus. Le chercheur sait de quoi il parle, puisqu'il a co-publié avec les chercheurs du WIV une étude sur la construction d'un "virus chimérique" hautement pathogène pour l’homme, basé sur… un coronavirus de chauve-souris. Cette expérience, très polémique, avait été considérée comme "risquée" par la revue scientifique Nature Medicine qui l'avait publiée en 2015.
Sachant que de nombreux experts mettent en cause l'intégrité des séquences génétiques virales publiées par l'institution de recherche de Wuhan pour expliquer l'apparition du virus, il n'y a qu'un pas pour commencer à douter des différentes versions officielles chinoises et des conclusions du dernier rapport de l'OMS, toutes deux critiquées par de nombreux spécialistes ainsi que 14 gouvernements, dont celui des États-Unis.
L’équipe de l’OMS chargée d’enquêter sur les origines de la pandémie de coronavirus
s'est vu refuser l’accès — par les autorités chinoises — aux données brutes des premiers cas de contamination. Difficile dans ces conditions d'analyser les origines de l'épidémie. Le Wall Street Journal vient par ailleurs de dévoiler dans un article du 23 mai 2021 que trois scientifiques travaillant à l’Institut de virologie de Wuhan ont été hospitalisés en urgence à l'hôpital avec des symptômes similaires à ceux du Covid-19, en novembre 2019. Soit très peu de temps avant que l'épidémie ne débute en Chine, de manière officielle le 8 décembre 2019. Ces révélations sont tirées de sources du renseignement américain et n'ont pas fait l'objet de commentaires de la part du WIV, ni de la Commission nationale de la santé chinoise.
Toutes ces nouvelles informations viennent semer le doute sur la version établie début 2020, celle qui affirmait que l'épidémie avait débuté probablement par des pangolins vendus au marché couvert de Wuhan. Des animaux qui auraient été contaminés par une chauve-souris, mammifère connu pour être porteur de nombreuses formes de coronavirus. Cette thèse a été mise en avant par des études, souvent de chercheurs chinois et publiées dans les meilleures revues scientifiques. Elle a prospéré durant une grande partie de l'année 2020, au point de devenir — pour un temps — l'explication scientifique incontournable de l'origine de l'épidémie.
L'Institut de virologie de Wuhan manipulait des virus proches du SARS-CoV-2 prélevés dans le sud de la Chine (…) Parmi ces virus, le cousin le plus proche du SARS-CoV-2, appelé RaTG13, a été collecté dans une mine désaffectée en 2013.Extrait d'un article de la publication universitaire The Conversation
Cette thèse — affirmant une contamination humaine par un animal intermédiaire — était aussi soutenue par d'éminents scientifiques américains. Une publication de février 2020 dans la revue scientifique The Lancet ne laissait aucune place au doute sur le sujet, déclarant même que la possibilité d'une origine "non naturelle" était forcément "complotiste" :
"Nous sommes solidaires pour condamner fermement les théories du complot suggérant que le COVID-19 n'a pas d'origine naturelle. Des scientifiques de plusieurs pays ont publié et analysé les génomes de l'agent causal, le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS-CoV-2), et ils concluent à une écrasante majorité que ce coronavirus est originaire de la faune, comme tant d'autres agents pathogènes émergents."
(Extrait de la tribune scientifique : "Déclaration de soutien aux scientifiques, aux professionnels de la santé publique et aux professionnels de la santé de Chine luttant contre le COVID-19" dans The Lancet, le 19 février 2020.)
Mais après de nombreuses recherches au cours de l'année 2020, le coronavirus dont le pangolin était porteur se révèle en fin de compte être trop éloigné du virus détecté chez l’homme pour être à l'origine de l'épidémie. C'est avec cette nouvelle donne que les enquêtes scientifiques commencent donc à se pencher sur d'autres pistes, puisque jusque là, les scénarios à base de contanimation animale, dits "zoonotiques", ne fonctionnent pas. Selon le rapport de l'OMS, 80 000 échantillons d’animaux testés, issus d’une trentaine d’espèces se sont tous révélés négatifs. Ces échantillons provenaient d'animaux d’élevage et d'animaux sauvages de différentes provinces chinoises. Malgré tout, les scientifiques restent prudents et n'écartent pas définitivement ce scénario zoonotique.
En l’absence d'éléments probants concernant le dernier intermédiaire animal avant la contamination humaine, certains auteurs suggèrent que ce virus pourrait avoir franchi la barrière d’espèce à la suite d'un accident de laboratoire ou être d’origine synthétique
Étienne Decroly, virologue et directeur de recherche au CNRS
Ce potentiel retour à la case départ pour déterminer l'origine de la contamination chez l'être humain force les chercheurs à envisager d'autres pistes, dont celle d'une contamination issue d'un laboratoire. Le coronavirus RaTG13, qui à à ce jour est le plus proche du Covid-19, a relancé cette piste. Ce virus a été collecté en 2013 par l'institut de virologie de Wuhan et a retenu l'attention des chercheurs, comme le souligne la publication universitaire The Conversation :
Cet institut de virologie [Le WIV, ndlr] manipulait des virus proches du SARS-CoV-2 prélevés dans le sud de la Chine et en particulier dans la province du Yunnan. Parmi ces virus, le cousin le plus proche du SARS-CoV-2, appelé RaTG13, a été collecté dans une mine désaffectée en 2013. Or, en 2012 plusieurs ouvriers y ayant travaillé avaient souffert d’une pneumonie sévère ressemblant au Covid-19, qui avait provoqué la mort de trois d’entre eux.
La thèse d'un virus manipulé et "amélioré"dans le laboratoire de Wuhan ne peut pas être écartée ou simplement déclarée complotiste par défaut, comme ce fut le cas au départ de l'épidémie en 2020, selon le le directeur de recherche du CNRS et virologue Étienne Decroly. Ce dernier explique que, "En dépit des recherches de virus dans les espèces animales vendues sur le marché de Wuhan, aucun virus intermédiaire entre RaTG13 et le SARS-CoV-2 n’a pu être identifié à ce jour. Tant que ce virus intermédiaire n’aura pas été identifié et son génome séquencé, la question de l’origine de SARS-CoV-2 restera non résolue. Car en l’absence d'éléments probants concernant le dernier intermédiaire animal avant la contamination humaine, certains auteurs suggèrent que ce virus pourrait avoir franchi la barrière d’espèce à la suite d'un accident de laboratoire ou être d’origine synthétique."
Scientifiquement parlant, quelques certitudes existent, mais au milieu d'un océan de questions, pour l'instant sans réponses. Le virologue Etienne Decroly confirme par exemple un acquis important : "Le SARS-CoV-2 est génétiquement plus proche de souches virales qui ne se transmettaient jusqu’alors qu’entre chauves-souris. Il ne descend pas de souches humaines connues et n’a acquis que récemment la capacité de sortir de son réservoir animal naturel qui est probablement la chauve-souris."
Sur le virus à proprement parler, le chercheur explique : "Il a été découvert que le gène codant la protéine Spike contient quatre insertions de courtes séquences que l’on ne retrouve pas chez les CoV humains les plus proches génétiquement. Ces insertions confèrent probablement des propriétés remarquables à la protéine Spike de SARS-CoV-2."
Ces quatre insertions de séquences aux propriétés remarquables, sont, pour trois d'entre elles, issues de souches plus anciennes de coronavirus — et sont donc une évolution naturelle du virus—, selon le virologue qui s'interroge néanmoins au sujet de la quatrième : "La quatrième insertion fait apparaître un site de protéolyse furine (Une enzyme à action très spécifique, ndlr) chez le SARS-CoV-2 absente dans le reste de la famille des SARS-CoV. On ne peut donc pas exclure que cette insertion résulte d’expériences visant à permettre à un virus animal de passer la barrière d’espèce vers l’humain dans la mesure où il est bien connu que ce type d’insertion joue un rôle clé dans la propagation de nombreux virus dans l’espèce humaine."
Les enquêteurs devraient explorer la possibilité que le SARS-CoV-2 puisse être né d’expériences à gain de fonction, lors desquelles des virus trouvés dans la nature sont manipulés génétiquement pour voir s’ils sont susceptibles de devenir plus contagieux ou mortels pour les humains.
Extrait de la lettre ouverte du 4 mars 2021 publiée dans le quotidien Le Monde
Une autre lettre ouverte, majoritairement composée de scientifiques, a été publiée en dans le Wall Street Journal ainsi que dans le quotidien français Le Monde, le 4 mars 2021. Celle-ci réclame elle aussi que le maximum de pistes soient suivies. Les signataires indiquent les différents scénarios sur lesquels enquêter : "Evénement zoologique avec ou sans animal intermédiaire ", "infection sur un site de prélèvement d’un employé de laboratoire ou d’un membre du personnel accompagnant", "infection pendant le transport d’animaux et/ou d’échantillons collectés", "infection acquise en laboratoire dans la ville de Wuhan", " fuite de laboratoire sans infection acquise dans son enceinte", (par le biais, notamment, de l’évacuation de déchets ou de la fuite d’animaux).
Les signataires affirment également que les enquêteurs "devraient explorer la possibilité que le SARS-CoV-2 puisse être né d’expériences "à gain de fonction", lors desquelles des virus trouvés dans la nature sont manipulés génétiquement pour voir s’ils sont susceptibles de devenir plus contagieux ou mortels pour les humains."
Alors que le pangolin a été la réponse aux causes de l'épidémie de Covid-19 en 2020, il semble qu'en 2021 l'origine du virus et sa transmission à l'être humain se situera ailleurs. Si, et seulement si, des réponses scientifiques claires et indiscutables sont apportées.