Otages en Afghanistan : vivre enfermés pendant un an

En ce 29 décembre 2010, cela fait un an que les deux journalistes français, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ont été pris en otage en Afghanistan avec leurs trois accompagnateurs. Ancien otage au Liban durant 105 jours et grand reporter à France 2, Philippe Rochot ne croit plus en une libération à court terme.
Image
Otages en Afghanistan : vivre enfermés pendant un an
Partager 6 minutes de lecture

« Il n’y a pas vraiment d’éléments palpables favorables à leur libération »

Entretien avec Philipppe Rochot, journaliste et ancien otage

« Il n’y a pas vraiment d’éléments palpables favorables à leur libération »
Une bannière demandant la libération de Ghesquière et de Taponier, au siège de Reporters sans frontières à Paris en avril 2010 - AFP
D’après le Quai d’Orsay, les deux journaliste de France 3 sont affaiblis mais en vie. Au bout d’un an de détention dans quel état psychologique, selon vous, doivent-ils se trouver ? Ces jours-ci, je me mettais à leur place et me disais qu’ils allaient se réveiller un matin - si du moins ils arrivent à dormir – en pensant… « Mais bon sang ça fait un an qu’on est ici et qu’on n’est toujours pas sorti... » Ce qui est terrible, je pense, quand on est otage, c’est de ne pas savoir quand on va sortir. Quand vous êtes un détenu qui purge une peine de prison, vous savez, par exemple, qu’au bout de deux ans vous allez retrouver la liberté sortir, donc vous commencez un compte à rebours qui va vous amener à la libération. Tandis que l’otage, lui, a pour seul moyen de comptabilité les jours qu’il a déjà passé. Un an, est-ce vraiment un cap douloureux à passer quand on est otage ? Oui sans aucun doute. Un an, c’est quatre saisons. Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier ont déjà vu passer une partie de l’hiver dernier, le printemps, l’été et là ils reviennent en hiver, saison assez inconfortable en Afghanistan surtout dans la région montagneuse de Kapisa où ils ont été enlevés (voir la carte ci-dessous, NDLR). Nous, au Liban, nous étions enchaînés jours et nuits. Je ne sais pas si c’est la même chose pour eux. Mais en général, les preneurs d’otages utilisent les mêmes méthodes. Et c’est très douloureux… Et quand vous étiez dans votre geôle au Liban, que faisiez-vous pour « tuer le temps » ? J’essayais de rester journaliste. J’observais ce qui se passait. Je guettais notamment les bruits, pour savoir où l’on était détenu parce qu’ils nous avaient fait faire plusieurs tours dans la ville pour que l’on perde le sens de l’orientation. Donc j’essayais de deviner dans quel quartier de Beyrouth on était, qui étaient nos ravisseurs, quelle était leur personnalité. Je pense que lorsqu’on est « journaliste otage », on est presque dans de meilleurs conditions qu’un « militaire otage ». Nous avons l’avantage de connaître le pays et les gens et de vouloir toujours en savoir plus. Cela aide certainement à garder le moral et une certaine motivation pour rester sans rien faire des journées entières.
Quel était alors votre rapport au temps ? Comptiez-vous les jours ? Moi j'avais pris l’habitude de compter mais on avait rien pour compter... Ecoutez l'extrait sonore, 1'05
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...
Otages en Afghanistan : vivre enfermés pendant un an
Kapisa, la région où ont été enlevés les deux journalistes français et leurs accompagnateurs - Cliquez sur la carte pour l'agrandir.
A votre avis, la longue détention d’Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier est t-elle due, en partie, à un manque d’efficacité du gouvernement français ? Je ne permettrais pas de juger le gouvernement français dans cette affaire. Je me doute que leur libération doit être extrêmement compliquée à négocier. Dans les montagnes de Kapisa, ils se trouvent dans une zone de fracture entre l’est et l’ouest de l’Afghanistan. Les tadjiks d’un côté, les talibans de l’autre. Les prisonniers dont les ravisseurs demandent la libération sont au main du gouvernement afghan. Or Kaboul en a déjà lâché plusieurs sur la demande des pays occidentaux et ne veut pas rentrer dans un engrenage pernicieux. Hervé et Stéphane ont largement dépassé la durée moyenne de détention des otages en Afghanistan qui est de deux à six mois. Ce qui montre la complexité du problème. Et puis, comme tout le monde, je ne sais pas ce qui est fait précisément pour les libérer. Donc, vraiment je ne me permettrais pas de juger. Michèle Alliot-Marie a remplacé Bernard Kouchner au ministère des Affaires étrangères. Cela peut-il changer la donne dans les négociations ? Je ne pense pas. Il n’y a pas trente-six choses à négocier. Des exigences ont été posées mais sont sans doute difficilement réalisables. Quand j’étais otage, je me disais « on s’occupe de moi ; j’appartiens quand même à une grande chaîne de télé », mais j’avais aussi peur que mes ravisseurs changent leurs revendications et demandent notamment à la France d’arrêter ses livraisons d’armes à Saddam Hussein (ancien président de l’Irak, NDLR), ce qui était en effet le cas à l’époque, car je savais que cela ne serait jamais accepté. Dans les premiers mois de détention des deux otages français, le gouvernement a recommandé la discrétion voire le silence absolu. A posteriori, cela a-t-il été une erreur ? Le silence, ça n’a qu’un temps. Cela peut durer huit à quinze jours dans le cas où une solution peut être facilement trouvée. Mais ce qui m’a vraiment choqué, c’était de voir qu’au tout début on refusait de donner leur nom et de montrer leur visage. Cela a créé un doute, une forme de suspicion dans l’opinion française. Heureusement, cela a été fait mais au bout de trois mois et demi ! Les Français ont le droit d’être informés. Après, faut-il faire un peu ou beaucoup de battage médiatique ? C’est une autre question. Mais il faut au moins donner les informations de base. Ce qui est aussi une marque de respect pour ceux qui sont pris en otage. Ils existent, ils ont une identité et une personnalité. D’ailleurs, les otages qui n’ont pas de nom courent un grand risque pour leur vie car cela signifie que leur vie ne vaut pas grand-chose sur le marché des otages. Le comité de soutien appelle à la mobilisation ce 29 décembre. Avez-vous l’impression qu’au bout d’un an on est en train d’oublier nos deux confrères ? L’opinion publique est un peu désarmée car on en parle de temps en temps mais personne n'a d'informations précises. Je crois qu’il y a toujours une grande solidarité, notamment en France, avec toute personne prise en otage. Mais dans le cas d’Hervé et de Stéphane, on ne sait pas quoi dire ni quoi faire, même nous journalistes. On ne sait pas trop quoi raconter. On essaie de faire des bilans des opérations réalisées mais cela reste difficile d’informer sur le fond. Malgré les annonces déçues de libération probable, vous restez optimiste ? Pas à court terme mais à moyen terme. En claire, je pense qu’ils sortiront mais pas dans les semaines à venir. Peut-être d’ici six mois ou un an. Pour l’instant, dans le contexte afghan, il n’y a pas vraiment d’éléments palpables qui seraient favorables à leur libération. Quand je vois qu’il y a des opérations militaires de l’Otan qui se finissent en bavure, que le gouvernement afghan déclare ne pas vouloir libérer des terroristes - ce qui est compréhensible de la part d’un Etat même si c’est ce que réclament les ravisseurs - et qu’on n’arrive même pas à savoir qui sont vraiment les preneurs d’otages, cela ne me rend pas optimiste. Enfin… on peut avoir de bonnes surprises encore. Cela peut évoluer très vite.

Philippe Rochot, ex-otage

Philippe Rochot, ex-otage
Journaliste français à France 2, Philippe Rochot a été capturé par un groupe terroriste, l'OJR (Organisation de la Justice Révolutionnaire) à Beyrouth le 8 mars 1986 avec son équipe de reportage (Jean-Louis Normandin, Georges Hansen, Aurel Cornea) alors qu’il tentait d’expliquer les circonstances de la mort du chercheur Michel Seurat, otage à Beyrouth, dont les ravisseurs avaient annoncé l’exécution. Il est resté détenu durant 105 jours. Un tragédie qu'il dit être restée grâvée dans sa mémoire. Vingt plus tard, il revient sur cette expérience dans son livre, Du Liban en Afghanistan 20 ans de reportage, (éditions Balland, février 2010).