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Ouïghours : pourquoi le monde musulman ne réagit-il pas face aux persécutions du gouvernement chinois ?

La présidente de l’Institut ouïghour d’Europe dénonce dans une tribune, l'immobilisme des pays musulmans face aux crimes contre l'humanité perpétrés par Pékin à l'encontre des Ouïghours, dans la province du Xinjian. Analyse des raisons de ce manque de "solidarité confessionnelle" mondial, avec Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste à TV5MONDE.

"Désolée, mais je ne vous souhaite pas un bon ramadan." : c'est ainsi que débute la tribune de Dilnur Reyhan (publiée dans l'Obs), présidente de l’Institut ouïghour d’Europe. Cette phrase d'introduction — qui peut sembler provocante au prime abord — est suivie d'une somme de constats terribles sur le traitement réservé aux musulmans du Xinjian : "A l’heure où des millions de Ouïghours et d’autres musulmans souffrent et meurent dans les camps de concentration chinois, où toute la population turcophone de la région ouïghoure est privée de ramadan, où les musulmans sont contraints par les autorités chinoises de manger du porc, de boire de l’alcool, de renier leur religion, où leurs mosquées millénaires sont démolies, leurs livres en écriture arabe brûlés ; à l’heure où vous, pays musulmans, observez un silence complice ; où vous allez même, pour certains d’entre vous, jusqu’à approuver ce monstrueux crime contre l’humanité afin de préserver vos relations avec la Chine, je ne peux pas vous souhaiter un bon ramadan."
 
Carte Xinjiang
La répression du gouvernement central chinois à l'encontre de la minorité Ouïghour s'accentue depuis des années, avec des arrestations permanentes et une surveillance généralisée qui s'exerce sur cette population de l'ouest de la Chine. Les technologies de surveillance numérique de pointe y sont utilisées pour détecter les comportements "non conformes" décidés par les autorités. 

> A lire : Surveillance numérique : les "algorithmes de répression" du gouvernement chinois dévoilés par Human Rights Watch

Entre 800 000 et 1,5 millions de Ouïghours seraient internés dans des camps fermés de "rééducation politique" — soit près d'une personne sur 6 appartenant à cette minorité. Le gouvernement chinois estime pour sa part qu'il "lutte contre le terrorisme" en effectuant des "déradicalisations" ainsi que des "formations professionnelles" dans ces camps d'internement. Un événement en en marge du Conseil des droits de l’homme a eu lieu à Genève en mars dernier pour aborder ce qu'un chercheur a appellé alors, un "génocide culturel". Cet événement était à l'initiative des Etats-Unis et de l’Allemagne, avec le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Canada présents. La France n'a pas participé. Ailleurs dans le monde, et particulièrement dans "le monde musulman", aucune réaction pour dénoncer la répression féroce du gouvernement chinois à l'encontre de la minorité musulmane oïghoure, comme le regrette amèrement la présidente de l’Institut ouïghour d’Europe. Entretien avec Slimane Zeghidour, journaliste et éditorialiste à TV5MONDE, sur ce "silence de l'islam" face au génocide culturel des Ouïghours.

TV5MONDE : Les Ouighours réprimés en Chine sont majoritairement musulmans, et pourtant les habitants des grands pays musulmans ne semblent pas se préoccuper de leur sort. Pourquoi ? 

Slimane Zeghidour : La première chose à bien comprendre est que dans les pays musulmans, l'opinion est bridée par les régimes en place. Il n'y a pas autant de liberté d'expression — comme en Occident — pour aller manifester dehors. Pour les Ouïghours, ou pour d'autres. Il n'y a aucune habitude ou culture de ce type de manifestations, de protestations et de solidarités publiques, dans ces pays. Ce qui ne veut pas dire que les gens ne ressentent rien dans leur for intérieur. Mais il y a un mythe  — qui existe seulement chez les islamistes et les islamophobes — qui est celui qui consiste à croire qu'il y a un monde musulman qui respire avec les mêmes poumons, qui a la même vision du monde et qui vibre à l'unisson. Cela n'a jamais existé, depuis l'époque du prophète jusqu'à aujourd'hui. 

Mais les dirigeants politiques de ces pays musulmans pourraient, eux, réagir. Pourquoi ne le font-ils pas ? 

S.Z : Les Etats, contrairement à ce que pense le mythe islamophobe ou islamiste, ne réagissent jamais au nom de l'islam. Par exemple l'Arabie saoudite qui a de très bons rapports avec la Chine, ou l'Iran, se garde de mettre Pékin dans l'embarras. Les opinions publiques de ces pays doivent être révoltées par ce qui est fait aux Ouïghours, mais leurs gouvernements font de la politique. Jamais aucun gouvernement n'a été mobilisé par la solidarité islamique, à part celui d'Erdogan le premier ministre turc. Parce que les Ouïghours ont une énorme diaspora en Turquie, et donc le lobby ouïghour en Turquie a poussé Erdogan à exprimer son mécontentement pour qu'il demande des explications à la Chine. 

Et au niveau des figures religieuses de l'islam ? 

S.Z : Ils s'expriment, mais comme ils n'ont pas d'autorité transnationale, ça n'arrive pas dans les agences de presse. Il y a des tas d'éditoriaux, des prêches qui parlent du problème ouïghour mais ça reste dans chaque pays. Ensuite, il faut réaliser qu'il y a tellement de musulmans réprimés sur la planète aujourd'hui, que les imams ne savent plus ou donner de la tête…

Les musulmans pourraient-il quand même se réveiller au sujet de cette répression à l’égard d’autres fidèles de leur propre religion, que sont les Ouïghours ? 

S.Z : Non, je ne pense pas. Mais il faut avoir en tête que la présence de l'islam en Chine remonte à la période du prophète, il y a 15 siècles. C'est une dimension de la culture chinoise qui est très ancienne. Des personnalité musulmanes ont joué un très grand rôle dans l'histoire des empires chinois. L'influence des musulmans chinois a été énorme dans l'histoire de ce pays. Le plus grand amiral de toute l'histoire de la marine chinoise, par exemple, était un musulman qui a vécu au 16ème siècle. Il faut bien réaliser que la situation des musulmans en Chine est pire qu'elle ne l'a jamais été avec aucun des empires féodaux précédents. Il y a sûrement des Chinois qui pourraient soutenir les Ouïghours aujourd'hui, mais la politique du gouvernement est la même qu'avec les Tibétains. Ce régime chinois, avec son hyper nationalisme, considère le christianisme et l'islam comme des pollutions étrangères. Les Ouïghours étaient majoritaires dans le Xinjian, et une politique de colonisation — avec l'arrivée massive de Chinois non ouïghours — les a transformés en minorité. C'est une politique d'étouffement culturel. Mais il n'y aura pas de réveil des musulmans à l'étranger pour soutenir les Ouïghours ni pour soutenir qui que ce soit ou dénoncer quoi que ce soit : ces pays musulmans sont des dictatures pour la plupart. Cela dit, il est possible que des pays comme l'Arabie saoudite aient demandé discrètement des explications à la Chine sur ce problème. Mais pas publiquement.