Plusieurs centaines de morts, des milliers de personnes évacuées et d'habitations détruites, routes et communications coupées, élections reportées sine die... Une fois de plus, l'un des pays les plus pauvres de la planète accuse le coup. Car comme Sandy en 2012, Matthew a ravagé les cultures, balayé la terre et emporté les semences, alors que le pays, que la déforestation rend déjà très vulnérable aux aléas climatiques, peine encore à se relever du violent séisme de 2010.
Aujourd'hui, craint le journaliste haïtien Ronel Odatte, correspondant d’AlterPresse et animateur de la matinale sur la radio des paysans MPP (Mouvement Paysan Papaye), c'est un nouveau coup dur pour l'autonomie alimentaire de l'île, déjà bien compromise. Initiateur de l’association Hercule Haïti d’aide aux petits paysans, il témoigne de l'impact dévastateur du passage de l'ouragan Matthew sur une économie agricole en mal de réformes agraires dans un contexte politique difficile :
Ce sont à la fois les semences et les récoltes de céréales, notamment de maïs, qui sont touchées. Difficile de chiffrer le nombre de personnes touchées. Avec 6 ou 7 départements ravagés, quelque 80 % de la population est en détresse. Elle n’a plus qu’à attendre l’aide et l’approvisionnement en riz et en maïs de l’extérieur, et l’apport d’argent de la diaspora… C’est ainsi que l’on vit en Haïti, tout le temps.
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De par sa situation géographique, Haïti a toujours été exposé à tout un spectre de phénomènes : cyclones, raz-de-marée, séismes et autres catastrophes naturelles. Mais ce sont l’instabilité politique et les crises socio-économiques, ajoutées à la faiblesse des décisions gouvernementales, qui tiennent le pays dans un état de risque permanent et croissant.
Aussi les dégâts causés par Matthew – 1000 mm de pluies en quelques heures – ne sont-ils pas un hasard. Le pays n’était pas préparé, et les problèmes d’infrastructures y sont tels que les gens ne peuvent rien faire pour se prémunir – ils n’ont pas les moyens.
La prévention devrait commencer au niveau de l’Etat, qui devrait inscrire à son budget une somme suffisante pour faire face à ce genre d’événements et prévoir les infrastructures nécessaires pour limiter les risques. En 2010, par exemple, ce n’est pas tant le séisme qui a tué, mais notre mode de construction, notre mode de vie, qui a fait plus de 200 000 morts.
La priorité des priorités devrait être l’agriculture et l’environnement, pour que les gens aient à manger, vivent décemment, et que le pays devienne souverain en matière alimentaire.
Une réforme agraire intégrale qui permette de vivre à ceux qui s’adonnent au travail de la terre. 70 % de la population est paysanne et cette majorité n’a pas accès à la terre. Une violence inouïe se déchaîne autour des terres. Ici, on s’entretue pour quelques miettes de terrain.
Le gouvernement devrait protéger l’agriculture haïtienne contre les produits alimentaires subventionnés provenant d’Europe ou des Etats-Unis. Depuis le Plan de Sécurité Alimentaire 1996, les produits importés sont moins chers que les produits locaux. Dans ces conditions, les cultivateurs locaux se découragent. Et quand ils ne produisent plus, le prix des produits importés monte en flèche et cela est catastrophique pour la population.
Haïti est en proie à une crise écologique et environnementale aiguë. Les impacts sur les cultures sont terribles. La couverture végétale n’est, aujourd’hui, plus que de 2 % et les saisons sont réduites à une succession de sécheresses et d’inondations. Depuis l’an dernier, la sécheresse fait des ravages. Et voilà que, tout à coup, les paysans sont à la merci des eaux et des vents.
Tous les candidats ont inscrit la réforme agraire à leur programme, mais les socialistes sont ceux qui mesurent mieux l’étendue du problème. On estime les besoins alimentaires d’Haïti à 1,83 millions de tonnes équivalents de céréales, dont la production locale couvre à peine la moitié. Le pourcentage des produits locaux dans la couverture des besoins alimentaires est passé de 70-75 % au début des années 1970 à 50-55 % en 1996-97. Aujourd’hui, il n’est plus que de 45 % et avec l’ouragan, il pourrait bien chuter encore. Le pays s’enlise dans l’insécurité alimentaire, et même si une réforme agraire intégrale est mise en œuvre, il faudra des années, peut-être même dix ans pour que s’installe le changement.