Commentaires de Dominique Vidal-Sephiha, ami de Leïla Shahid.
Collaborateur du Monde diplomatique et co-directeur de l'Etat du Monde, il est auteur de
nombreux ouvrages sur le conflit israélo-palestinien. La décision de Leïla Shahid était-elle attendue ? Elle préparait sa retraite. A 65 ans, c'est une démarche naturelle, sans amertume. Elle souhaite profiter de la vie, entre Beyrouth, où elle est née, le Maroc, d'où son mari est originaire, et sa maison près d'Uzès, en France. Leïla est quelqu'un de très français : elle a longtemps étudié à Paris, où elle côtoyait les milieux intellectuels de l'époque (années 1970, ndlr) qui l'ont beaucoup marquée ; puis elle est restée douze ans déléguée générale de la Palestine en France (de 1994 à 2005, ndlr). Et à Bruxelles (après 2005, ndlr), elle n'était pas très loin non plus... Dans quel état d'esprit part-elle ? Elle part dans une situation extrêmement grave, puisque le bout du tunnel est loin d'être en vue, avec l'
échec des négociations Kerry, l'intervention israélienne à Gaza et les tensions actuelles très fortes. D'un autre côté, c'est une période où se cristallisent tous les efforts de Leïla Shahid, avec la vague de
reconnaissance de l'Etat palestinien, soit parlementaire, soit étatique (
en cours en France, ndlr). Elle en est très heureuse. C'est formidable pour un diplomate de voir les résultats de son travail. Qu'est-ce que son retrait va changer ? Une personnalité aussi forte manquera longtemps à ses collègues. Une femme de caractère, avec une vraie vision du conflit, mais aussi de la politique internationale et de l'évolution des rapports de force dans le monde. Difficile de dire ce qui, désormais, va changer mais son absence sera difficile à combler. Nous l'avons vécu en France où, elle était devenue la voix de la Palestine, avant de partir à Bruxelles. Elle est extrêmement appréciée, à la fois par les femmes et hommes politiques, par la presse, mais aussi par l'opinion publique. J'ai fait de nombreux débats en sa compagnie, vers la fin de son mandat en France ; j'étais toujours frappé par le grand nombre de personnes qui venaient la voir et l'écouter, mais aussi par la gentillesse de l'accueil et par tous ceux qui la reconnaissaient dans la rue, pas seulement de visu, mais rien qu'à la voix. Les gens lui adressaient la parole et lui apportaient des petits cadeaux spontanément. Elle est très reconnue pour sa sincérité, au-delà de la cause qu'elle défend. Leïla Shahid refuse complètement la langue de bois, qui est pourtant l'apanage de la plupart des diplomates, pour répondre clairement aux questions qui lui sont posées. On la dit modérée, mais je n'emploierais pas ce terme. C'est quelqu'un qui refuse aussi bien la surenchère que la capitulation. Elle reste bien droite, d'où sa force de conviction. Jamais elle ne se laisse entraîner au-delà de ce qu'elle veut dire. Elle doute, très certainement, mais elle ne se laisse jamais ébranler, malgré des moments de profonde tristesse quand les choses vont très mal. Qui pourrait la remplacer ? Là encore, difficile de faire des pronostics. Mais ce qui m'a marqué, cet été, au moment de la tragédie de Gaza, c'est que sont apparus dans les médias de jeunes voix palestiniennes que le grand public ne connaissait pas et qui ne sont pas passées inaperçues. Comme
Majed Bamya, qui a été l'adjoint de Leïla à Bruxelles pendant de longues années, et qui s'est formé à son contact et avec son influence. Mais il est rentré en Palestine et travaille au ministère des Affaires étrangères de l'autorité palestinienne. Quant à
Hassan Balawi , il est à Bruxelles, et c'est Leïla Shahid qui l'avait fait venir. ..