Palestine : Leïla Shahid quitte ses fonctions d'ambassadrice en Europe

Leïla Shahid vient de l'annoncer sur TV5MONDE : elle cèdera sa place d'ambassadrice de la Palestine auprès de l'Union européenne fin 2014. Militante de la première heure, elle est restée une inépuisable avocate de la reconnaissance de l'Etat palestinien en France, en Europe et dans le monde. Réaction de Dominique Vidal-Sephiha, ami de longue date de Leïla Shahid et spécialiste des relations israélo-palestiniennes.
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Palestine : Leïla Shahid quitte ses fonctions d'ambassadrice en Europe
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C'est dans l'émission Bar de l'Europe - diffusée samedi 13 et dimanche 14 décembre sur TV5MONDE, et d'ores et déjà visible sur le site de l'émission - que Leïla Shahid a annoncé son retrait de la vie diplomatique. Elle rappelle aussi à la communauté internationale ses responsabilités face à la paix et à ses promesses :
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12.12.2014Liliane Charrier
Pendant près de trente ans, son franc-parler et ses coups de gueule ont ponctué les hauts et les bas du conflit israélo-palestinien. De sa voix rauque aux accents poignants de sincérité, Leïla Shahid n'a cessé d'appeler à la reconnaissance de l'Etat de Palestine, à la paix avec Israël et à l'intervention de la communauté et des organisations internationales en faveur du peuple palestinien. Née en exil à Beyrouth, en 1949, elle est issue d'une famille très impliquée dans le mouvement national palestinien dès les années 1920, Leïla Shahid s'engage à son tour à la fin des années 1960, aux côtés de Yasser Arafat. Etudiante en anthropologie, elle s'installe à Paris, où elle continue à évoluer dans les milieux littéraires et militants. Mariée à l'auteur marocain Mohammed Berrada en 1978, elle s'installe au Maroc pendant près de dix ans. En 1982, en visite à Beyrouth avec l'écrivain français Jean Genet, elle découvre les massacres des camps de réfugiés de Sabra et Chatila : "Cette nuit-là, nous avons passé la soirée à regarder le ciel illuminé par d'énormes fusées éclairantes, au sud de la ville, c'est-à-dire où sont les camps. Et on ne comprenait pas ce qui se passait. Pourquoi sur cette partie-là de la ville ? D'autant plus qu'on n'entendait ni canon, ni mitraillettes. Le calme total. Pas d'électricité, pas une voiture dans les rues. Un silence total, c'était effrayant, presque surréaliste (...)" témoignera par la suite l'écrivain dans un livre. En 1988, Yasser Arafat déclare l'indépendance de l'Etat palestinien devant l'assemblée générale de l'ONU. Mais ce n'est qu'en 1994 que Leïla Shahid visite pour la première fois les territoires palestiniens, après la signature des accords d'Oslo (1993). Sept ans plus tard, elle est nommée représentante de l'Organisation de Libération de la Palestine en Irlande, puis en 1990 aux Pays-Bas et au Danemark. De 1994 à 2005, elle sera la porte-parole de l'autorité palestinienne en France. En 2009, Leïla Shahid devient l'un des trois promoteurs du Tribunal Russell sur la Palestine. En 2011, déjà invitée du Bar de l'Europe, elle faisait, à quelques mois de l'accession de la Palestine au statut d'Etat observateur à l'ONU, un amer aveu d'échec des négociations avec Israël : "Nous négocions depuis vingt ans une occupation qui dure depuis quarante ans. Nous avons négocié avec 6 Premiers ministres. Aujourd'hui, nous constatons que nous devons revenir à une seule instance (...) l'Organisation des Nations unies." L'année suivante, Leïla Shahid faisait à la RTBF le constat désabusé que le choix de l'Autorité palestinienne de renoncer à la violence n'avait pas porté ses fruits : "[N]ous avons décidé, il y a 19 ans, d’arrêter toute la lutte militaire pour décider de négocier la solution de deux États. Mais soyons honnêtes, nous avons échoué (...) [ç]a fait 20 ans que nous négocions soi-disant une solution de l’occupation militaire de nos territoires depuis 45 ans. (...) Nous n’avons même pas réussi à faire retirer l’armée israélienne ni de Gaza ni de Cisjordanie, ni de Jérusalem-Est. Donc regardons la réalité en face : la communauté internationale est responsable aussi de notre propre échec." Aujourd'hui, elle annonce qu'elle quitte ses fonctions, mais qu'elle "continuera à militer" comme citoyenne. Son ami et spécialiste des relations israélo-palestiniennes Dominique Vidal-Sephiha nous a livré ses impressions.

“Son absence sera difficile à combler“

Commentaires de Dominique Vidal-Sephiha, ami de Leïla Shahid. Collaborateur du Monde diplomatique et co-directeur de l'Etat du Monde, il est auteur de nombreux ouvrages sur le conflit israélo-palestinien. La décision de Leïla Shahid était-elle attendue ? Elle préparait sa retraite. A 65 ans, c'est une démarche naturelle, sans amertume. Elle souhaite profiter de la vie, entre Beyrouth, où elle est née, le Maroc, d'où son mari est originaire, et sa maison près d'Uzès, en France. Leïla est quelqu'un de très français : elle a longtemps étudié à Paris, où elle côtoyait les milieux intellectuels de l'époque (années 1970, ndlr) qui l'ont beaucoup marquée ; puis elle est restée douze ans déléguée générale de la Palestine en France (de 1994 à 2005, ndlr). Et à Bruxelles (après 2005, ndlr), elle n'était pas très loin non plus... Dans quel état d'esprit part-elle ? Elle part dans une situation extrêmement grave, puisque le bout du tunnel est loin d'être en vue, avec l'échec des négociations Kerry, l'intervention israélienne à Gaza et les tensions actuelles très fortes. D'un autre côté, c'est une période où se cristallisent tous les efforts de Leïla Shahid, avec la vague de reconnaissance de l'Etat palestinien, soit parlementaire, soit étatique (en cours en France, ndlr). Elle en est très heureuse. C'est formidable pour un diplomate de voir les résultats de son travail. Qu'est-ce que son retrait va changer ? Une personnalité aussi forte manquera longtemps à ses collègues. Une femme de caractère, avec une vraie vision du conflit, mais aussi de la politique internationale et de l'évolution des rapports de force dans le monde. Difficile de dire ce qui, désormais, va changer mais son absence sera difficile à combler. Nous l'avons vécu en France où, elle était devenue la voix de la Palestine, avant de partir à Bruxelles. Elle est extrêmement appréciée, à la fois par les femmes et hommes politiques, par la presse, mais aussi par l'opinion publique. J'ai fait de nombreux débats en sa compagnie, vers la fin de son mandat en France ; j'étais toujours frappé par le grand nombre de personnes qui venaient la voir et l'écouter, mais aussi par la gentillesse de l'accueil et par tous ceux qui la reconnaissaient dans la rue, pas seulement de visu, mais rien qu'à la voix. Les gens lui adressaient la parole et lui apportaient des petits cadeaux spontanément. Elle est très reconnue pour sa sincérité, au-delà de la cause qu'elle défend. Leïla Shahid refuse complètement la langue de bois, qui est pourtant l'apanage de la plupart des diplomates, pour répondre clairement aux questions qui lui sont posées. On la dit modérée, mais je n'emploierais pas ce terme. C'est quelqu'un qui refuse aussi bien la surenchère que la capitulation. Elle reste bien droite, d'où sa force de conviction. Jamais elle ne se laisse entraîner au-delà de ce qu'elle veut dire. Elle doute, très certainement, mais elle ne se laisse jamais ébranler, malgré des moments de profonde tristesse quand les choses vont très mal. Qui pourrait la remplacer ? Là encore, difficile de faire des pronostics. Mais ce qui m'a marqué, cet été, au moment de la tragédie de Gaza, c'est que sont apparus dans les médias de jeunes voix palestiniennes que le grand public ne connaissait pas et qui ne sont pas passées inaperçues. Comme Majed Bamya, qui a été l'adjoint de Leïla à Bruxelles pendant de longues années, et qui s'est formé à son contact et avec son influence. Mais il est rentré en Palestine et travaille au ministère des Affaires étrangères de l'autorité palestinienne. Quant à Hassan Balawi , il est à Bruxelles, et c'est Leïla Shahid qui l'avait fait venir. ..