Palestiniens et Israéliens : un même cœur pour la paix
Le temps d’une opération du cœur, les conflits politiques, culturels s’effacent. L’unique combat se joue dans le bloc opératoire du docteur Jean-Jacques Azaria Rein en Israël. Il opère de cardiopathies des enfants palestiniens. Une maladie génétique difficilement opérable sur les territoires palestiniens par manque de moyens financiers et matériels. Grâce à l’action de l’association Un cœur pour la paix, des enfants sont sauvés des deux côtés de la frontière.
Dépasser les obstacles culturels, politiques, financiers qui séparent Palestiniens et Israéliens dans un seul but : sauver des vies. Ainsi pourrait être résumée la belle histoire de l’association Un cœur pour la paix qui a débuté son action en 2005 en Israël. Depuis, 530 enfants palestiniens ont été sauvés par le professeur israélien Jean-Jacques Rein. Celui-ci a commencé, dans les années 1990, à opérer gratuitement des enfants palestiniens atteints de malformations cardiaques à l’hôpital Hadassah de Jérusalem : « On a toujours opéré des Palestiniens. Mais depuis les accords d’Oslo, en 1993, ils n’avaient plus les moyens de se faire opérer chez nous (en Israël, ndlr) pour des raisons économiques, financières, parce que ce sont des opérations très coûteuses, confie le professeur Rein. Tout s’est arrêté en 1992 jusqu’au début des années 2000. C’est là que Muriel Haïm (fondatrice de l’association Un cœur pour la paix, ndlr) est intervenue. Elle nous a proposé de créer une association qui, premièrement, financerait les opérations et deuxièmement proposerait un transfert de connaissances aux Palestiniens dans un souci d’autonomie. »
« Une vie est une vie » La française Muriel Haïm, 62 ans, a travaillé de longues années dans des laboratoires pharmaceutiques, en France et aux États-Unis. En 2005, elle rend visite au professeur Rein. L’indignation face à l’injustice laissera place à l’action : « Je trouvais difficile que des enfants ne puissent pas être soignés alors qu’à 50 kilomètres de là, il y avait les moyens de le faire dans une structure qui fonctionnait, raconte-t-elle. Une vie est une vie. Il fallait tout faire pour qu’ils puissent être sauvés. » Un cœur pour la paix commence à battre en 2005 pour ne plus s’arrêter, voire s’emballer. Grâce aux financements trouvés par Muriel Haïm, auprès de donateurs français notamment, Jean-Jacques Rein multiplie les opérations au rythme d’une par semaine en moyenne. Chaque intervention coûte 14 000 euros et est prise en charge à parts égales par l’hôpital Hadassah de Jérusalem et l’association française. Ces opérations répondent à un besoin spécifique des familles palestiniennes. Le risque de cardiopathie congénitale est plus élevé dans le monde arabe, selon le professeur Rein, y compris chez les Palestiniens où : « presque un mariage sur deux est consanguin. Et comme les malformations sont dues à des mutations génétiques parfois transmissibles, il y a beaucoup plus de cardiopathies dans cette population », explique-t-il.
Soins gratuits Les Palestiniens manquent cruellement de moyens et de médecins formés spécifiquement pour ces malformations cardiaques pédiatriques. Alors les enfants sont opérés en Israël gratuitement grâce à la vigilance de tout un réseau de médecins formés pour détecter ce genre de cardiopathie. « Aujourd’hui, quand un diagnostic s’impose, on est tout de suite contactés, raconte Jean-Jacques Rein. Un de nos médecins palestiniens, si c’est en Cisjordanie, va sur place, fait un examen d’urgence avec un matériel portable qu’on lui a fourni. Il retransmet l’examen sous forme de clip. On voit le résultat en quelques secondes puis on décide quoi faire : le traiter sur place à l’hôpital d’Hébron ou alors le faire passer à Jérusalem et le prendre tout de suite en charge. Ça se passe très vie et très facilement. » Transmettre les connaissances est un élément essentiel de l’activité de l’association pour ne pas tomber dans l’assistanat des médecins palestiniens : « Cela va un peu à l’encontre d’autres mission qu’il y a un peu partout au Moyen-Orient mais surtout en Palestine, souligne le professeur. En général, les missions caritatives vont opérer une semaine et repartent. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Les médecins ne sont pas formés, et ça ne fait qu’entériner une situation qui, des deux points de vue, n’est pas supportable. »
Former les médecins Objectif ? Une prise en charge directe des enfants chez eux, en Cisjordanie, par exemple. Ainsi, trois infirmiers des soins intensifs et de la salle d’opération vont-ils être formés cette année à Hadassah sur les pratiques d’hygiène pour ensuite retourner travailler dans leur hôpital. C’est aussi une manière d’éviter que les médecins partent se former à l’étranger et ne reviennent plus dans leur pays. Une fois le diagnostic établi, les enfants palestiniens sont transférés rapidement à Jérusalem. La rapidité du transfert repose sur une coopération bilatérale et directe avec les postes de contrôle aux frontières : « On n’a jamais eu un enfant arrêté sur 530 soignés », souligne Muriel Haïm. En cas d’urgence, un jeune patient – ils ont moins d’un an pour la plupart- peut être transféré en trois heures vers Israël. Les différends politiques s’effacent à l’ombre de cette action humanitaire, qui vise aussi à renouer le dialogue entre Palestiniens et Israéliens. Tout ne va pas sans tension politique entre autorités ni critiques : « On a parfois des réactions franchement antisémites, regrette le professeur Rein. Après avoir reçu un prix assez important du Parlement européen, j’ai eu un message de médecins belges : c’est bien de financer cette action pour les Palestiniens mais c’est dommage d’attribuer ça à Israël car ils se font la main sur les Palestiniens… disait-ils. »
Renouer le dialogue Pour le professeur, son action auprès des enfants malades permet surtout de renouer le dialogue avec des confrères avec qui il travaille depuis des années. Patients et personnels soignants palestiniens ont toujours été nombreux en Israël. « C’est quelque chose qui est tout à fait admis ici, souligne le professeur Rein. On n’en parle pas dans les médias européens car ce n’est pas intéressant, ça ne fait pas de vagues. En Israël, il suffit de rentrer dans n’importe quel hôpital israélien pour voir qu’une partie importante de la population des patients est palestinienne. » Et peu importe les différends politiques, un respect mutuel s’installe : « On vit véritablement ensemble depuis des années. Mais là, on est encore plus proches parce que les enfants palestiniens vivent avec nous, viennent chez nous, et on va chez eux. Non seulement au niveau professionnel, mais aussi au niveau culturel on apprend énormément de choses. » Ce rapprochement n’est cependant pas bercée d’une douce illusion pour Muriel Haïm, qui se rend régulièrement sur place : « On ne dit pas que l’on va signer la paix demain, mais on se dit qu’en sauvant un enfant on ne peut pas se tromper. Aujourd’hui, au lieu d’aller au cimetière, les parents voient jouer leur gamin dans la cour. On pourra raconter ce que l’on veut aux gens mais quelqu’un qui sauve votre enfant, vous acceptez de lui parler de reconsidérer ce que vous pensez. »
Trêve Les parents palestiniens et israéliens apprennent ainsi à se connaître autour du lit de leurs enfants malades à l’hôpital Hadassah de Jérusalem. Une trêve face à la maladie qui rend chacun humble face à l’adversité. Les parents, même s’ils ne parlent pas la même langue, se réconfortent les uns les autres : « C’est important pour les mamans israéliennes aussi qui, parfois, ont peur des Palestiniens sans savoir pourquoi parce que les gens ne se connaissent pas. Quand ils se voient tous autour du lit d’un enfant, qu’il soit israélien ou palestinien, c’est pareil. Un enfant c’est un enfant. A partir de là les gens commencent à se parler. » La médecine devient un lieu de paix, le temps d’une opération et bien après quand les enfants reviennent avec les parents, les frères et sœurs pour des visites de contrôle : « Il faut créer des lieux non conflictuels, martèle avec optimisme Muriel Haïm. La médecine est un lieu non conflictuel. C’est un lieu où les gens peuvent laisser tomber les a priori, les préjugés, et s’occuper de ce qui est important, c’est-à-dire sauver des enfants. »