"Panama Papers" : le premier ministre islandais a démissionné

Poussé par la pression de la rue et des politiques, le Premier ministre islandais a fini par démissionner. Sigmundur David Gunnlaugsson est le premier haut dirigeant emporté par le scandale d'évasion fiscale des "Panama papers".
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Des manifestants brandissent la caricature du Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson, qui a finalement démissionné mardi 5 avril 2016, Reykjavik (Islande).
©AP Photo/David Keyton
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Une journée aura finalement suffi pour faire céder le Premier ministre islandais. Face à la pression grandissante de la rue et du monde politique, Sigmundur David Gunnlaugsson a annoncé mardi en fin d'après-midi, qu'il démissionnait.

De quoi ravir les milliers d'Islandais, qui dès lundi soir avaient envahi la capitale Reykjavik pour réclamer son départ. Cette mobilisation intervenait une journée à peine après les révélations du scandale "Panama papers", dans lequel le Premier ministre islandais, Sigmundur David Gunnlaugsson, se retrouve en première ligne.

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Les Islandais sont d'ailleurs les seuls à être descendus, massivement, dans la rue pour dénoncer ce scandale et réclamer la démission de leur chef de gouvernement. Selon les organisateurs de ce rassemblement, ils étaient environ vingt mille dans les rues de Reykjavik. Belle démonstration de force populaire dans un île de 329 000 habitants. Cela représenterait, selon les calculs du Monde, une foule qui s'élèverait entre 1,6 et 4,3 millions de personnes en France.

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Des milliers de manifestants devant le parlement islandais pour réclamer la démission du Premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson, Reykjavik, lundi 4 avril 2016.
©AP Photo/Brynjar Gunnarsson

De nombreux manifestants ont brandi des bananes pour dénoncer une “république bananière”, et lancé du fromage blanc contre les murs du parlement, un geste de colère traditionnel islandais.

La société de sa femme

Selon des documents publiés par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ), Sigmundur David Gunnlaugsson, 41 ans, a possédé avec sa femme une société dans les îles Vierges britanniques, jusqu'à ce qu'il lui cède ses parts fin 2009 pour un dollar symbolique.

premier ministre islandais
Le Premier ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson, s'exprime devant le Parlement, lundi 4 avril 2016 à Reykjavik.
©AP Photo/Brynjar Gunnarsson

Quand il a été élu député pour la première fois en avril 2009, il a omis cette participation dans sa déclaration de patrimoine. Deux ministres islandais, celui des Finances, et de l’Intérieur apparaissent aussi dans les données connectées à des sociétés offshore.

L'affaire est extrêmement sensible dans un pays marqué par les excès des années 2000, où un secteur financier euphorique dont ses dirigeants et cadres usaient et abusaient des sociétés écran.

Pas de démission

Dans un entretien télévisé, puis devant le Parlement, Sigmundur David Gunnlaugsson a répété qu’il ne démissionnerait. « Cette compagnie appartenait à ma femme, et elle a toujours payé des impôts. Ce n’est pas une fraude fiscale », a-t-il répété. Au micro de la télévision public RUV, il précisait qu’il «regrettait de ne pas avoir révélé plus tôt cette participation», tout en répétant «qu’il ne s’était pas rendu coupable d’évasion fiscale.» Mais il a finalement abdiqué mardi 5 avril en présentant sa démission.

Il regrette peut-être mais cela ne l’a pas empêché, avant que l’affaire ne connaisse le retentissement planétaire de ces derniers jours, de renvoyer sèchement dans les cordes une équipe de la télévision suédoise SVT, venue l’interroger sur le sujet précisément, le 11 mars. Une séquence qui a fait le tour des journaux télévisés du monde entier lorsque les Suédois ont décidé de la rendre publique, lundi 4 avril. Et qui depuis multiplie les visionnages sur YouTube:
 


Fils de député et à l'origine journaliste, il était censé incarner une rupture avec la classe politique, y compris celle de son parti, qui avait fermé les yeux sur la frénésie d'expansion des banques islandaises. Celle-ci s'est terminée par une crise financière historique, une récession, et un sauvetage du Fonds monétaire international.

L'épouse du Premier ministre, Anna Sigurlaug Palsdottir, 41 ans également, est la fille d'un homme d'affaires qui a fait fortune comme concessionnaire des voitures Toyota dans le pays.

Le 15 mars, c'est elle-même qui avait rendu publique sur Facebook l'existence de la société que le couple a créée en 2007, appelée Wintris, pour gérer la fortune dont elle a héritée. Elle y expliquait qu'avec l'aide du cabinet de conseil KPMG, elle avait fait en sorte de payer tous ses impôts en Islande.

Demande de dissolution du Parlement

Lundi 4 avril au soir, les députés d’opposition ont déposé une motion de censure et une demande de dissolution du Parlement, qui devrait être examinée dans les prochains jours.

L'opposition de gauche devrait certainement l'appuyer, tandis que le parti du chef de gouvernement, le Parti du progrès, devrait s'y opposer. Dans ce cas, le sort du gouvernement serait décidé par la deuxième formation de la coalition gouvernementale, le Parti de l'indépendance (droite), qui apparaît divisé sur la question.

Une position politique intenable

Que Sigmundur Gunnlaugsson se soit rendu coupable d'évasion fiscale reste à prouver. Mais politiquement, sa position est devenue intenable.

"Le Premier ministre doit immédiatement démissionner" car il "a fait preuve de sa méfiance envers la monnaie et l'économie islandaises en plaçant son argent dans un paradis fiscal", a lancé dimanche 3 avril au soir l'ancienne chef de gouvernement, la sociale-démocrate Johanna Sigurdardottir.

Plus gênant peut-être: Wintris a détenu des créances auprès des banques islandaises en faillite. Or M. Gunnlaugsson a percé en politique après avoir mené un mouvement de fronde, couronné de succès, contre les conditions drastiques auxquelles l'Islande était censée rembourser d'autres pays lésés par la faillite de ces banques.

Les Islandais ont déjà prouvé leur capacité de mobilisation et d’intervention citoyenne en 2008, quand ils avaient manifesté à grands coups de casseroles devant le Parlement suite à la crise financière. En 2009, après la révélation des graves manquements des responsables politiques dans la surveillance des banques, la mobilisation populaire avait poussé le gouvernement de droite à la démission.