Panama Papers : les sociétés offshore en question

Les Panama Papers, au cœur des révélations qui ébranlent la planète depuis ce lundi 4 avril 2016, montrent la réalité d'une finance parallèle colossale, activée par des entreprises extraterritoriales dites "offshore". Pourquoi et comment ces "sociétés écrans", liées aux paradis fiscaux et souvent au crime organisé, prospèrent-elles ?
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Siège cabinet Panama
Le siège du cabinet d'avocats Mossak Fonseca à Panama (AP Photo/Arnulfo Franco)
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Mossack-Fonseca, le cabinet d'avocats panaméen dont sont issus les 11,5 millions de fichiers des "Panama Papers" — épluchés par les 300 enquêteurs du Consortium international des journalistes d'investigation —  a comme spécialité la création de sociétés "offshore" dans des paradis fiscaux. Ce cabinet juridique très discret a ainsi permis, en moins de 40 ans, l'enregistrement ou l'administration d'au moins… 214 000 entreprises "offshore".

Société "offshore" :

Une société extraterritoriale, ou société "offshore", est une société exempte d'impôt qui n'est pas autorisée à s'engager dans des affaires dans la juridiction de constitution, selon la définition proposée par l'Organisation de coopération et de développement économiques.

Ce sont des sociétés non résidentes, par opposition aux sociétés dites "onshore", qui sont résidentes. Une juridiction "offshore" pourrait aussi être définie comme une juridiction mettant en place un cadre juridique favorisant l'afflux de capitaux en provenance de pays étrangers :
    •    secret bancaire ;
    •    secret professionnel des divers intervenants ;
    •    système de taxation différent pour les résidents et non résidents (taux d'imposition moins élevé pour les sociétés non résidentes) ;
    •    anonymat des actionnaires ;
    •    tenue de comptabilité non obligatoire

(Source : wikipedia)

Les scandales que révèlent les "Panama Papers" portent avant tout sur des soupçons d'évasion fiscale, de détournement d'argent public, mais démontrent aussi un "système" parfaitement adapté au blanchiment d'argent sale des réseaux criminels. Un système pourtant largement toléré par les Etats.

Explications sur l'univers très opaque des sociétés offshore et de leurs paradis fiscaux…

Secret et anonymat

Le Panama est un petit État de 3,6 millions d'habitants qui a toujours refusé de signer les convention internationales sur le secret bancaire. Il doit sa richesse, pour une grande part, à son célèbre canal maritime et… à ses "services financiers". Le Panama est considéré comme un "paradis fiscal" par certaines institutions ou pays, et non par d'autres, et ce de façon changeante : la France, en 2012 — peu de temps avant l'élection présidentielle — a, par exemple, retiré le Panama de sa liste des paradis fiscaux. Le Panama a été réintégré dans la liste noire des paradis fiscaux en juin 2015 par la Commission européenne, et par la France, aujourd'hui même, ce 5 avril 2016 !

Le secret bancaire et la faible fiscalité sont des facteurs avantageux pour le Panama, mais ne sont malgré tout pas suffisants pour expliquer l'attrait que ce petit pays exercerait grâce à ces services "financiers". Ce que les premières révélations des "Panama Papers" dévoilent, se situe en fait bien au delà d'une optimisation fiscale effectuées par des entreprises de l'économie réelle depuis leur pays d'origine, vers un autre, comme cela se pratique couramment avec le Luxembourg, par exemple.

Les "Panama Papers" démontrent en réalité une quasi industrialisation de la création et de la gestion de sociétés-écran, depuis le Panama, mais enregistrées ensuite — pour la plupart aujourd'hui  — dans les Îles vierges britanniques ou aux Seychelles. Le cabinet d'avocats Mossack-Fonseca au cœur du scandale aurait aidé à constituer et enregistré depuis 1977 les 214 000 sociétés offshore dans pas moins de 20 paradis fiscaux. Selon le quotidien Le Monde, Mossack-Fonseca est "l'un des centres financiers les plus opaques de la planète, considéré comme une plaque tournante du blanchiment, où vient se recycler l'argent du crime et de la fraude".

Tout l'intérêt de ces sociétés-écran et "offshore" est d'offrir un anonymat parfait : le système des sociétés-écran "offshore" rend impossible la connaissance de l'identité véritable des détenteurs des fonds de ces "entreprises-fantômes". A moins qu'un lanceur d'alerte ne communique les documents internes du cabinet qui les gère.

Une chose reste en tout cas certaine — du point de vue de l'opacité financière et des facilités de fraude fiscale : les comptes en banque cachés en suisse sont de la petite bière à côté du système des sociétés "offshore".

Pays et territoires "non-coopératifs"

En décembre 2015, le gouvernement français dévoilait ses nouvelles dispositions pour lutter contre les pays et territoires non-coopératifs en matière d'information fiscale. Ces mesures — prises à la suite des scandales révélés par les Offshore Leaks (2013) puis les LuxLeaks (2014) — sont censées empêcher les possibilités de transactions avec les paradis fiscaux. Mais ces dispositifs ont aussi vu étrangement diminuer le nombre de pays et territoires déclarés comme non-coopératifs. Désormais, pour l'Etat français, il ne reste plus que 6 noms sur la liste noire (7 aujourd'hui avec le retour du Panama), puisqu'ont été retirées de celle-ci les fameuses Îles vierges britanniques… où sont logées la majorité des sociétés "offshore" du cabinet panaméen Mossack-Fonseca.

Les Iles vierges britanniques et Montserrat, l'île d'émeraude des Caraïbes, ont été retirées de la liste noire des pays et territoires qui refusent l'échange d'informations fiscales avec la France. Elles se sont engagées à s'amender et à respecter les standards internationaux en ce domaine.

Décembre 2015, Rfi : "Paradis fiscaux: la France revoit sa liste noire"

Les sociétés "offshore" enregistrées dans des territoires défiscalisés, comme les Îles vierges britanniques, n'ont d'existence que sur le papier. Elles ne possèdent en général ni locaux, ni employés, mais seulement une boite postale et un ou plusieurs comptes en banque. Leur existence est légale, au sens strictement juridique, mais leurs activités, elles, n'ont pas vocation à l'être. Comment justifier autrement une activité légale, tout en employant autant de précautions pour que rien ne puisse transparaître, sans possibilité de connaître la nature, la provenance des flux financiers, jusqu'à cacher l'identité de leurs détenteurs, et sans activité économique concrète ?

Les sociétés-écran telles que celles-décrites dans les "Panama Papers" sont des coquilles vides qui permettent à des grandes fortunes, des mafias, des banques ou des multinationales de cacher des fonds qui échapperont ainsi entièrement aux impôts, ou encore, qui proviennent de sources illégales et trop "gênantes" pour les faire transiter par le système bancaire normal. Les dernières révélations du quotidien Le Monde indiquent que des grandes banques comme HSBC ou la Société générale ont créé des centaines voire des milliers de sociétés "offshore" grâce au cabinet Mossack Fonseca :

Selon le journal Le Monde, c'est HSBC qui a eu le plus recours au cabinet d'avocats panaméen dans la tourmente Mossack Fonseca, avec quelque 2300 entités créées.

Les Helvètes UBS (1100 sociétés) et Crédit Suisse (1105), ainsi que Société Générale (979) sont elles aussi pointées du doigt pour faire partie du top 5 des banques ayant créé le plus de sociétés offshore via ce cabinet

Conséquences politiques et économiques lourdes

L'indignation est à son comble en Islande : le Premier ministre apparaît dans les "Panama Papers" comme ex-détenteur d'une société offshore (revendue à sa femme et non déclarée) ce qui a poussé une foule de 20 000 manifestants (sur une population de 320 000)- habitants) dans la rue pour demander sa démission. Au delà de l'indignation légitime face aux pratiques de camouflages financiers des grands de ce monde, les "Panama Papers" relancent, une fois encore, le problème central de l'évasion et de la fraude fiscale des grandes fortunes par des entreprises ou des personnes privées. L'estimation du manque à gagner chaque année pour l'Europe est de 1000 milliards d'euros, entre 60 et 80 milliards pour la France seule.

Les politiques de rigueur et d'austérité, les réformes sociales demandant des sacrifices aux populations sont toutes activées en Europe pour compenser des problèmes de déficits publics, alors que l'argent manquant est en fait… caché dans les sociétés "offshore" des paradis fiscaux.

Les gouvernements sont sous pression avec cette nouvelle affaire, et pour cause : leur capacité à endiguer le détournement de sommes colossales par le canal des montages "offshore" s'est avérée très réduite depuis plusieurs années. En décembre 2015, le gouvernement de Manuel Valls a bloqué de nuit en toute urgence une loi anti-paradis fiscaux, et ce sans donner plus d'explications. Cette loi devait obliger les entreprises à rendre publiques les informations les concernant, pays par pays et détecter celles qui abusaient des systèmes "offshores" couplés aux paradis fiscaux…

La divulgation de tous les montages obscurs et les détournements financiers des "Panama Papers" devrait, normalement, pousser à mettre fin à ces pratiques financières qui participent grandement à assécher les comptes publics des grandes démocraties. Si le monde politique se décide à agir fermement. Enfin.