Paradis fiscaux : les outils de la transparence

Affaire Cahuzac, "offshore leaks" de l'ICIJ, révélations sur les activités des banques françaises dans les paradis fiscaux... Le grand déballage a commencé. Une catharsis nécessaire pour les citoyens du monde dans une économie de marché en crise. Contre l’évasion fiscale, une seule stratégie : la transparence. Quelles en sont les solutions concrètes ? Eléments de réponse avec Daniel Lebègue, président de Transparency international France.
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Paradis fiscaux : les outils de la transparence
Les îles Cook abritent de nombreuses structures offshore à l'abri du fisc (photo AFP)
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Jusqu’à où ira le grand déballage de l’offshore leaks  ?

Nous ne sommes qu’au début d’un mouvement qui va prendre de l’ampleur, et ce pour deux raisons. Tout d’abord parce que tous les Etats du monde inscrivent la réduction des déficits publics parmi leurs priorités économiques. L’Europe et les Etats-Unis, qui ont un énorme déficit budgétaire à gérer, mais aussi tous les grands pays émergents dans un contexte de crise. Avant d’instituer de nouveaux prélèvements, le bon sens consiste à faire rentrer les recettes fiscales dues à l’Etat. Et cela peut se faire en parfaite conformité avec l’économie de marché. De fait, celle-ci ne peut fonctionner que si tous les rouages restent transparents. Aussi la pression va-t-elle monter sur toutes les formes de fraude.

Ensuite parce que pour l’opinion publique partout dans le monde, la fraude est inacceptable dès lors que l’on demande des sacrifices aux citoyens. Ainsi la pression de la société civile, elle aussi, va s’accroître contre l’évasion fiscale et le détournement de fonds qui, jusque-là étaient tolérés. La société civile rejettera la mondialisation si elle s’accompagne d’un gonflement permanent de ces formes d’économie souterraine. Les responsables politiques doivent réagir pour préserver le consentement à l’impôt des citoyens, qui est l’un des fondements de la démocratie.


Quelle stratégie contre les paradis fiscaux ?

La transparence est le préalable à toute lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment de l’argent issu d’activités illégales et mafieuses – corruption, trafics d’armes, de drogue, d’animaux… Aujourd’hui, il reste impossible de décrire ce qui se passe dans les centres financiers opaques que sont les paradis fiscaux ou dans les structures opaques – trusts, fondations, fiducies - qui y sont domiciliées. Or on constate que des intermédiaires financiers, des grandes banques, y compris françaises, sont très présentes dans ces centres financiers au travers de filiales ou de succursales. Ce qu’elles y font est-il toujours parfaitement licite ? Ou les comptes et les flux financiers qu’elles gèrent transgressent-ils la ligne rouge de la fraude ou du blanchiment d’argent sale ? Telle est la question.  Pour pouvoir y répondre, trois mesures  concrètes devraient fournir à l’administration les moyens de lutter sérieusement contre les paradis fiscaux et l’utilisation abusive du secret bancaire pour dissimuler l’évasion fiscale et les sources de revenus illicites.

Paradis fiscaux : les outils de la transparence
Daniel Lebègue, président de Transparency international France
Quelles mesures concrètes pour répondre à cette question ?

Trois mesures  concrètes devraient fournir à l’administration les moyens de lutter sérieusement contre les paradis fiscaux et l’utilisation abusive du secret bancaire pour dissimuler l’évasion fiscale et les sources de revenus illicites. 

  • Le reporting pays par pays

Le système de reporting oblige toutes les banques à dévoiler leurs activités, leur chiffre d’affaires, leurs effectifs, leurs résultats, les impôts payés dans tous les pays où elles opèrent, des îles Caïmans à l’Allemagne. Jusqu’à présent, le rapport annuel de la BNP Paribas, par exemple, ne mentionne absolument rien sur la création de sociétés offshore révélée par les "offshore leaks", et à plus forte raison sur les capitaux gérés, les effectifs employés et les impôts payés en Suisse ou ailleurs. Hier encore, nous n’avions même pas accès à la liste de leurs succursales, filiales et joint ventures. Aujourd’hui, la notion de reporting est intégrée par les institutions européennes et inscrite parmi les projets de loi de la réforme bancaire en France.

  • L’échange automatique d’informations

L'échange systématique entre les administrations fiscales des Etats de l’Union européenne et de leurs partenaires, dont la Suisse, est désormais presque acquis. Sans qu’on le lui demande, l’adminisration belge, par exemple, fournira de façon complète, automatique et précise, les coordonnées de tous les comptes détenus par des sociétés ou des investisseurs  français, ainsi que le montant et la nature de tous les avoirs placés sur son territoire. Ce régime existe déjà depuis 2005 en vertu de la directive européenne sur l’épargne entre 25 des 27 pays de l’Union. Elle est actuellement en cours de renégociation pour intégrer le Luxembourg et l’Autriche, les deux seuls pays qui font de la résistance, et à ses frontières, la Suisse. De leur côté, les Etats-Unis viennent de mettre en vigueur le FATCA. Dorénavant, toutes les banques du monde doivent déclarer les comptes détenus chez elles par des résidents américains, ainsi que les transactions réalisées à partir de ces comptes. Lorsqu’il fonctionneront pleinement entre l’Union européenne et les Etats-Unis, ces échanges automatiques de données bancaires permettront d’améliorer la transparence qui donnera au FISC et aux douanes les moyens de lutter contre la fraude fiscale.

  • La pression sur les sociétés écran et les paradis fiscaux

Il ne s’agit pas d’interdire les sociétés écran, mais de leur imposer la même chose qu’aux sociétés commerciales de tous les pays du monde : un registre du commerce indiquant l’identité de leurs actionnaires, gestionnaires et bénéficiaires. Tel est l’objectif affiché par le G20 depuis 2008.

Reste à définir des sanctions. Si les îles Caïmans refusent aux Etats étrangers avec lesquels ils sont en relation d’entrer dans l’échange automatique des données ou de dévoiler les noms de ses gestionnaires, la conséquence doit être claire et simple : l’inscription sur la liste des Etats non coopératifs de l’OCDE. Résultat : une opération réalisée par un Français ou un Canadien dans un Etat non coopératif pourrait être taxée au taux maximum, ou l’Etat pourrait demander à ses banques de fermer toutes leurs installations ou de cesser toute opération avec un pays non coopératif.
 

Paradis fiscaux : les outils de la transparence
Paradis fiscaux en 2008 (Sciences Po)