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Paradis fiscaux : l’UE blanchit sa liste noire

L'Union Européenne a réduit de moitié sa pourtant maigre liste noire des paradis fiscaux, moins de deux mois après l'avoir établie avec de frappantes omissions. Une décision fortement critiquée par les ONG qui réclament davantage de transparence.
Huit miracles en deux mois. Sur les 17 paradis fiscaux initialement « blacklistés » (mis en liste noire, en bon français) par l'Union européenne, huit viennent de se voir retirés de la liste « après s'être engagés à remédier aux inquiétudes de l'UE ». Ainsi en ont décidé les 28 ministres des Finances réunis le 23 janvier à Bruxelles.
 

Parmi les heureux repêchés : la Tunisie, la Corée du Sud, la Mongolie mais aussi le Panama, les Émirats arabes unis (EAU), Macao et les îles de la Grenade et de la Barbade.

Transfigurations

Tant de pays lointains et incontrôlables dotés d’une économie étroitement liée à leur culture fiscale subitement revenus à la vertu laisse songeur.

De source européenne, plusieurs de ces États auraient écrit à la Commission pour leur communiquer leurs bonnes résolutions mais on ne sait exactement lesquelles et pour quand.

« Grâce à un travail important de dialogue (...) et une forte mobilisation du gouvernement, on est arrivé à dépasser ce quiproquo, cet accident de parcours dans notre relation (avec l'UE) et c'est une très bonne chose », affirme le secrétaire d’État tunisien au commerce extérieur Hichem Ben Ahmed.

Tunisie
Plage tunisienne en 2015.
(AP Photo/Paul Schemm)

Le sort de la Tunisie avait effectivement suscité une certaine surprise, le pays à la fois en transition démocratique et sous de multiples pressions hostiles n'étant pas connu pour ses activités offshore.

Son taux assez bas d'impôt sur les sociétés exportatrice, principalement, lui avait valu d'être classée dans les paradis mais cette particularité ne rendait pas compte de son profil économique peu flibustier.

On n'en dira pas forcément autant du Panama, considéré de longue date comme une plaque tournante de la finance douteuse ou occulte, qui a donné le nom aux Panama papers.

Ce n’est que le 15 décembre dernier que le pays, sous pression et à contrecœur, a consenti à la signature d’une convention d’échanges de données fiscales à partir de 2018.

Mais l'on ignore les autres promesses qui auraient été faites à la Commission européenne. « Notre engagement est d'assurer les plus hauts standards en terme de transparence financière », a vaguement affirmé Juan Carlos Varela, président du Panama.

Quand aux Émirats arabes unis, ils semble qu’ils n’aient pas eu besoin de rien promettre. Amis stratégiques de l’Europe, ils sont aussi très appréciés de sa finance et de sa grande industrie, telle Airbus.

Opacité

Cette réduction – pressentie depuis une semaine – d’une liste noire déjà maigre et … opaque, provoque l’exaspération des eurodéputés verts et des ONG. « L'UE se dépêche de retirer des pays de sa liste noire sans dire clairement ce qu'ils ont promis d'améliorer, cela sape le processus », fustige Aurore Chardonnet, experte de l'ONG Oxfam.

D'autant plus que les 28 ministres des Finances de l'UE n'ont pas voulu rendre publics les engagements donnés par les pays auparavant sur la liste. « Nous ne pouvons pas publier automatiquement les lettres (dans lesquelles les pays ont promis de corriger leur législation fiscale, ndlr). Ce que nous proposons, c'est d'entrer en contact avec ces territoires pour voir s'ils veulent publier leurs engagements », déclare le ministre bulgare des Finances, Vladislav Goranov, dont le pays assure la présidence tournante de l'Union pour six mois.

Mosco
Pierre Moscovici à Bruxelles le 18 janvier 2018.
(AP Photo/Geert Vanden Wijngaert)

Le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, avait pourtant appelé jeudi dernier à une telle transparence. « Il n'est pas possible de travailler en secret sur ces questions », a-t-il répété mardi.

Sa demande avait été accueillie favorablement par le ministre français des Finances, Bruno Le Maire et son homologue espagnol, Luis de Guindos. « Je ne suis pas hostile à ce qu'il y ait de la transparence sur les engagements pris, sur la vérification de ces engagements », confirmait mardi Bruno Le Maire. On en est resté là.

Indulgence

Adoptée le 5 décembre 2017, --une première dans son histoire-- la liste noire avait été décidée dans le sillage d'une série de scandales d'évasion fiscale - « LuxLeaks » fin 2014, « Panama Papers » en avril 2016 et « Paradise Papers » en novembre 2017.

Elle s’était d’emblée attirée de nombreuses et fortes critiques en ne prenant pas en compte certains territoires et pays européens suspects, eux aussi, de favoriser l’évasion fiscale ou de se livrer au dumping fiscal. « L'Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas ou Malte ne remplissent même pas les critères de l'UE », avait noté l’eurodéputée verte Eva Joly.

La semaine passée, Pierre Moscovici lui-même les avait qualifiés de « trous noirs fiscaux » sans pour autant plaider pour qu'ils figurent sur la liste noire.

Après révision, la liste ne contient plus que neuf malchanceux, d’importance assez secondaire : Bahreïn, Guam, les Îles Marshall, la Namibie, les Palaos, Samoa, les Samoa américaines, Sainte Lucie ainsi que Trinidad et Tobago.

Grisaille

Les huit pays retirés de la liste noire passent tout de même par un – peu effrayant – purgatoire : une liste grise de pays ayant pris des engagements de bonne conduite en matière fiscale qui et feront l'objet d'un suivi.

D'ici la fin de l'année, il sera décidé s'ils retournent sur la liste noire ou s'ils quittent la liste grise. Cette dernière, qui comprenait 47 pays, en compte désormais 55, avec les huit nouveaux venus.

Pierre Moscovici a appelé à «  rester vigilants pour que les 55 juridictions de la +liste grise+ passent de la parole aux actes ».

La Commission européenne affirme par ailleurs par ailleurs nourrir le projet de « continuer à examiner les contre-mesures et sanctions les plus pertinentes au niveau communautaire » pour les pays « blacklistés ».