Des dizaines de réfugiés, majoritairement soudanais et érythréens, vivent sous le pont de la Chapelle, dans le 18ème arrondissement de Paris. Sous des tentes fournies par des associations, ils attendent l’aboutissement de leur demande d’asile. Rencontres.
C’est par un froid glacial, battu par le vent et quelques flocons de neige, qu’Omar, d’origine nigérienne, raconte son histoire. Il vivait à Tripoli, en Libye : "Je suis parti parce que c’est la guerre là-bas
", explique-t-il. Depuis son arrivée en France, voici environ un mois, il habite sous le pont de la Chapelle avec quelque 150 autres réfugiés. Sa tente verte, c’est une association qui lui a fournie, mais il ne sait pas laquelle. Une de celle qui leur vient en aide, justement, est sur place. "Ils viennent tous les jours nous apporter de la nourriture
", assure Omar. L’association s’appelle Miséricorde. Aujourd’hui, il y a du pain, de l’eau et des bananes : tous les vivres sont distribués et engloutis très rapidement. Omar parle français et quand on lui demande ce qu’il souhaite faire en France, il répond : "étudier"
.
De l’autre côté des tentes, un petit groupe de migrants discute. Parmi eux, des hommes originaires du Maghreb : des Algériens et des Tunisiens. Eux ne demandent pas l’asile mais ils sont "en galère" comme ils disent. Jamel est Tunisien. Il vit en France depuis 2003. Sans papiers, il s’est retrouvé à la rue il y a six mois. Et depuis, lui aussi habite sous le pont de la Chapelle. "Vous trouvez qu’il fait froid ? Nous on vit ça tous les jours !" lance-t-il avec un sourire moqueur. Ici, il se sent isolé du monde. "Ca fait du bien de parler avec des gens extérieurs. Il faut venir nous voir", souligne Jamel.
Ici, presque tout le monde se connaît et la solidarité est bien présente. Malgré leur situation difficile, tous essaient de rester propres et présentables. "On va se laver derrière la mairie. En plus l’eau est chaude !", s’exclame Jamel. Christian, un Camerounais arrivé il y a peu de temps, confie : "D’habitude je n’aime pas me laisser pousser la barbe. Je n’ai pas les moyens d’acheter un rasoir mais dès que je pourrai, je vais la couper".
Dans le camp, tous ne parlent pas la même langue. Alors ils communiquent en arabe. C’est dans cette langue, en tout cas, que Jamel s’adresse à Adam, un soudanais de 36 ans venu leur rendre visite, comme il le fait régulièrement. Adam a vécu sous le pont lui aussi. Cela fait deux mois qu’il est parti pour rejoindre un hôtel en banlieue parisienne. Son dossier de demande d’asile est "en cours". "J’attends que l’on me donne un rendez-vous à l’Opra", confie-t-il. La dernière étape avant la délivrance (ou non) d’une carte de séjour. En attendant, il vient ici presque tous les jours voir ses amis qui vivent encore sous les tentes. "Je ne peux pas oublier cet endroit. Ils m’ont accueilli quand je suis arrivé et on s’est entraidés. Maintenant, je leur apporte du soutien comme je peux".
Adam fait partie des 800 Soudanais qui font une demande d’asile en France chaque année. Il a fui le Soudan car il y était menacé. Pourtant, il possédait une entreprise et vivait aisément. Mais son activisme politique et sa critique du pouvoir l’ont obligé à partir. "J’avais un blog où j’écrivais ce que je pensais du pouvoir et de la dictature", raconte-t-il. Il avait notamment soutenu Meriam, la jeune soudanaise condamnée à mort pour apostasie en mai 2014. "J’ai fait de la prison pour avoir dit ce que je pense. J’ai même été condamné à la peine de mort", assure Adam. Aujourd’hui, il se sent en sécurité en France et il compte recommencer une vie ici.
Un peu à l’écart du groupe, debout entre deux tentes, Gervais regarde les voitures passer. Il semble perdu dans ses pensées. Cet Ivoirien de 25 ans a quitté son pays en août 2013, à "cause de la crise politique et économique". Il est ensuite allé au Mali avant de rejoindre l’Espagne où il a sauté les fameux murs et barbelés de Mellila. Il est à Paris depuis deux mois. Le jeune homme compte faire une demande d’asile. En attendant, il vit avec tous les autres, sous le pont. Mais il a du mal à s’y faire. "Les gens pensent que nous sommes des clochards mais ce n’est pas ça. Certains s’arrêtent en voiture pour regarder, s’étonne-t-il… Moi j’ai fais des études, j’ai une licence. Et quand j’aurai le droit de travailler, je voudrais apprendre un métier pour devenir boulanger ou pâtissier", affirme le jeune homme.
Si beaucoup d’entre eux imaginent déjà leur futur en France, cela n’a pas toujours été le cas. "Il y a six mois environ, les personnes qui vivaient ici ne demandaient pas l’asile. Elles étaient là de passage", raconte Eric Lejoindre. "Il y en a beaucoup qui sont revenus de Calais, explique Pedro Pablo Naranjo. Ils sont fatigués d’essayer de passer en Angleterre". Désormais, ils semblent donc vouloir tenter leur chance en France. "Ils voient également que beaucoup d’associations leur donnent du soutien", précise Pedro.
Soutien associatif
Plusieurs associations viennent en aide à ces réfugiés : Médecins du monde, Emmaüs… elles fournissent un certain nombre de denrées alimentaires, de sacs de couchages, de tentes et autres produits en lien avec les besoins élémentaires. Elles prennent également en charge les gens les plus vulnérables comme les femmes, les malades ou les personnes âgées.
La mairie du 18ème arrondissement est un peu "dépassée" par la situation reconnaît le maire Eric Lejoindre. "L’hébergement et l’asile, ce n’est pas du ressort de la ville, explique-t-il. "Mais on ne ferme pas les yeux" sur ce camp installé dans le quartier de la Chapelle. Chaque semaine, un service de nettoyage est effectué dans le camp. "Cela se passe bien, les réfugiés enlèvent leurs affaires le temps que les équipes fassent leur travail".
Parmi les associations qui oeuvrent à l’amélioration du statut de ces migrants, il y a la paroisse Saint-Bernard de la Chapelle, chapeautée par le père Livio Pegoraro et sœur Marie-Joseph Bilao. Une quarantaine de bénévoles sont mobilisés pour apporter du soutien aux réfugiés. Ils agissent à trois niveaux : vestimentaire, alimentaire et hébergement. Chaque week-end, les bénévoles de la paroisse distribuent entre 60 et 100 petits déjeuners. C’est également l’occasion pour les migrants de faire une demande vestimentaire. Pedro, un Colombien bénévole pour la paroisse, est en charge de cette mission. Il reçoit environ 50 personnes entre le samedi et le dimanche. "Tout se passe très bien", dit-il. "Mais certains migrants ont la gale donc il faut jeter leurs affaires".
La paroisse Saint-Bernard propose également un hébergement pour huit ou neuf réfugiés. L’abri a rouvert le 1er décembre dernier. Les migrants qui y dorment ont d’abord dû passer un entretien avec "sœur Marie-Jo" qui s’occupe du suivi de ces personnes. "Nous en accueillons seulement huit pour pouvoir les suivre jusqu’au bout, jusqu’à la fin de la procédure de demande d’asile. Le but est qu’ils ne retournent plus dehors", explique-t-elle. Pour Eric Lejoindre, maire du 18ème arrondissement : "Il faut faire du cas par cas, car la réponse pour chacun d’entre eux est différente".
Cela fait quatre ans que la paroisse a ouvert sa section hébergement. Les réfugiés de l’année dernière sont actuellement tous hébergés dans un centre d’accueil ou dans un hôtel, selon les bénévoles. "Lorsqu’on les prend en charge, ils sont presque assurés de régulariser leur situation", assure sœur Marie-Jo. "Certains d’entre eux reviennent même aider les bénévoles à distribuer les petits déjeuners le weekend. Des liens d’amitié se sont créés", note Nancy, une bénévole de la paroisse depuis quatre ans.
Une chance, donc, pour Ibrahim et Abdalla, qui font partis de ces hébergés. "Je suis chanceux" confirme Abdalla. "J’ai encore plein d’amis qui dorment sous le pont". Ce Soudanais de 42 ans est arrivé en France en octobre dernier. Il a quitté son pays car là-bas, "les conditions de vie sont très difficiles. Il y a beaucoup de problèmes politiques", raconte-t-il. Il a donc fui la guerre et la famine comme de nombreux autres soudanais, en laissant toute une famille derrière lui. "Elle me manque. Tout ce que je fais c’est pour elle. Et mon but est de la ramener ici en France", confie-t-il.
Comme lui, Ibrahim, rêve de revoir rapidement sa femme et son enfant. Cet Erythréen de 40 ans, a fui son pays à cause des problèmes liés au service militaire à durée illimitée, comme plus de 330 Erythréens en 2013. En 2011, ils étaient près de trois fois plus à faire leur demande d’asile en France.
Pour venir en France, Ibrahim est passé par l’Italie, comme un bon nombre de réfugiés provenant du même pays. "Je veux rester en France, les gens sont moins racistes ici qu’en Italie," assure-t-il. Cela fait deux mois qu’Ibrahim vient à la paroisse Saint Bernard pour dormir. A 8h30 le matin, il doit avoir quitté les lieux avec ses camarades. "Il y a des règles à respecter", souligne sœur Marie-Jo. Avant, Ibrahim vivait sous le pont avec les autres réfugiés. "Je veux commencer une nouvelle vie", dit-il, souriant. Et pour cela, il s’est rendu de nombreuses fois à la préfecture pour obtenir une carte de séjour mais "c’est très long".
Les réfugiés en France
- Le nombre de réfugiés en France augmente depuis six ans ;
- En 2013, l’Ofpra a enregistré 66 251 demandes d’asile (dont les réexamens et les mineurs accompagnants). Cela représente près de 8 % de plus qu’en 2012.
- La France est le deuxième d’accueil de demandeurs d’asile après l’Allemagne.
- En 2013, L’Ile de France concentrait 40 % des demandeurs d’asile, mais ce taux était en baisse.
Procédure (toujours) trop longue
La plupart des migrants ne connaissent pas le fonctionnement de l’administration française. "Une des actions de France Terre d’Asile a été de les informer sur leurs droits", affirme Pierre Henry, directeur général de FTA. La procédure pour un demandeur d’asile arrivant en France est la suivante : il doit d’abord s’enregistrer à la préfecture en obtenant un rendez-vous. Cela peut prendre plusieurs mois. Une fois enregistré, la préfecture lui délivre une autorisation provisoire de séjour (APS). Il bénéficie ensuite de 21 jours maximum pour déposer une demande d’asile auprès de l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (Opra). Une fois la demande étudiée, il sera reçu en entretien par un officier de protection, parfois accompagné d’un interprète, chargé d’instruire le dossier. A l’issu de la rencontre, si la réponse de l’Opra est favorable, le réfugié obtient une carte de séjour temporaire d’un an renouvelable dans le cadre d’une protection subsidiaire ou bien le statut de réfugié accompagné d’une carte de résident de dix ans. Si la demande est refusée, il peut avoir recours à la Cour nationale du droit d’asile.
"Je veux accélérer les procédures", affirme le directeur général de France terre d’asile. Il a récemment alerté Opra de la situation des réfugiés du pont de la Chapelle pour que l’organisme intervienne directement sur le camp. "J’ai alerté les pouvoirs publics, maintenant l’Etat doit faire le nécessaire pour ces personnes", s’indigne-t-il.
Un projet de loi à la réforme de l’asile "est en cours" rappelle le maire du 18ème arrondissement. Il a déjà été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 16 décembre dernier. Cette loi doit permettre d’"ouvrir de nouvelles garanties aux demandeurs d’asile et de renforcer l’efficacité du dispositif, réduire les délais de traitement des demandes mais également de limiter le recours à la procédure pour des fins qui lui sont étrangères," peut-on lire dans un communiqué de presse du Ministère de l’Intérieur.
Aujourd’hui, le temps nécessaire à l’examen d’un dossier est d’environ deux ans depuis l’inscription en préfecture jusqu’au recours devant la Cour nationale du droit d’asile.
Pendant ce temps, les réfugiés sont livrés à eux-mêmes et les tentes fleurissent sous le pont de la chapelle…
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