Des symboles pesants Sous le poids de “ces cadenas d’amour”, un bout de grillage s’est effondré dimanche sur le Pont des Arts, à Paris. Cette passerelle, réparée depuis, est le rendez-vous des amoureux du monde entier. Depuis 2008, date à laquelle sont apparues ces premières floraisons d’acier, le pont n’en finit plus de se charger de ces symboles plutôt pesants : le poids de ces cadenas représenterait quarante tonnes ! Aujourd’hui, plus de 700 000 cadenas envahissent les ponts de Paris. Ces petits symboles pèseraient plus de 300 kilos par mètre. En comparaison, les “chaînes du mariages” paraitraient presque légères ! Le phénomène, qui s’est propagé au sommet de la tour Eiffel où l'on signale une quarantaine de cadenas, pose aujourd’hui un problème de sécurité et d’esthétisme. Bien entendu, Paris n’est pas la seule ville touchée par cette épidémie. A
Genève , Rome, Bruxelles, Sydney, Moscou le principe est le même : des amoureux scellent leur union sur un cadenas où sont gravées leurs initiales, puis ils jettent la clé par dessus bord. Torride. Chaque époque réinvente ainsi ses illusions. Il n’y a pas si longtemps, beaucoup revendiquaient “L’amour-liberté”, aujourd’hui voici “L’amour cadenassé” ! Mais il faut être juste. Avec cette mode, les arbres parisiens respirent : cela fait autant de cicatrices en moins sur la jambe. Reste que si l’amour n’a pas de prix, les vendeurs, eux, ont un tarif. Aux abords de ces lieux touristiques, les cadenas se monnaient entre 3 et 7 euros.
L'arbre des amoureux A l'origine de cette mode, il y aurait un roman sentimental italien paru en 2006 signé Federico Moccia : "Ho voglia di te" (J’ai envie de toi). Le héros et l'héroïne s'embrassent sur le pont Milvio, près de Rome puis ils jettent la clé dans les eaux du Tibre. La municipalité italienne, depuis, a pris des dispositions qui n'ont rien de romantiques. Désormais, la pose de cadenas est interdite, sous peine de se voir infliger une amende de 50 euros. A Moscou, depuis 2011, la municipalité a installé des arbres métalliques destinés à accueillir les cadenas près du pont Luzhkov. Une fois l'arbre saturé, les agents remplacent l'arbre par un autre, vierge celui-là de tout pendentif. Une solution que préconise aussi Mathieu Tournaire, créateur de bijoux "fabriquées en France ", tient-il à préciser. Le joaillier, pour qui ces cadenas "expriment une symbolique forte et universelle" a même créé "Lock & Love" un bijou spécial pour, dit-il carrément, "redéclarer son amour". "L'arbre métallique, c'est LA solution, affirme-t-il. Il s'agit d'une alternative qui fonctionne. J'ai même déposé un dossier à la Mairie de Paris qui va dans ce sens mais cette initiative, baptisée, "L'arbre des amoureux" est restée lettre morte pour l'instant. L’idée a d’ailleurs déjà été adoptée par les mairies de Séoul ou de Moscou, qui ont créé ces sculptures pour protéger le mobilier urbain. Nous proposons donc d’offrir à la ville de Paris, dès aujourd’hui, un arbre que nous avons fait réaliser par un artiste, Marcel Sénéchal. Il s'agit d'une sculpture de métal de 2 m 40 de haut..." Du côté de la Mairie de Paris, justement, tout en se disant conscient du problème, aucune décision n'a encore été prise pour endiguer cette nouvelle forme de pollution. La nouvelle maire Anne Hidalgo a toutefois chargé Bruno Julliard de mener "une réflexion autour du phénomène des "cadenas d'amour", afin de proposer des alternatives à la fois artistiques, solidaires et écologiques". Aucune échéance annoncée. La crainte pour la nouvelle équipe municipale dit-on, est de se voir coller une image "ringarde" auprès des touristes en visite dans la capitale. Sans parler du coût qu'occasionnerait un dispositif policier ad hoc. Bref, il est urgent d'attendre. Quitte à fâcher les parisiens.
Le e-cadenas ? Deux jeunes New-Yorkaises qui résident à Paris et qui réclament l'enlèvement de ces cadenas ont lancé en mars une
pétition pour les éradiquer. Selon elles, "ils ont enlaidi le Pont des Arts, privant les Parisiens d'une qualité de vie dans leurs espaces publics au bord de la Seine". Plus de 7400 personnes l'ont signée.
Via leur site , Lisa Anselmo et Lisa Taylor-Huff, infatigables activistes amoureuses de la capitale, ont même recensé les villes où pullulent ces "cadenas d'amour". Inquiétant. La solution à cette épidémie mondiale pourrait passer par internet. Au moins deux sites web proposent de sceller virtuellement son amour sur plusieurs ponts du monde. Le premier,
Lucchettipontemilvio, a été créé en Italie après la mise en place des procès verbaux et le second,
Lovemasterlock offre à l'internaute la possibilité de choisir son cadenas mais aussi "son" pont dans plusieurs capitales : Paris, New York, Venise, Prague ou Sidney. Reste à décliner son identité, écrire un court message et le cadenas est envoyé via une carte virtuelle. "L'amour est à réinventer" affirmait Rimbaud.