Idée spectaculaire que celle de ce directeur du musée d'art contemporain près de Naples en Italie. Antonio Manfredi brûle les œuvres de son musée pour protester contre les importantes coupes budgétaires du gouvernement. Préoccupant dans un pays qui dit abriter la moitié du patrimoine culturel mondial. La crise peut-elle justifier que l'on délaisse un patrimoine ?
Entretien avec Christian Manhart, chef de la section musées à l'UNESCO.
Antonio Manfredi brûle l'oeuvre de l'artiste française Séverine Bourguignon devant le Musée d'art contemporain de Casoria, près de Naples, mardi 17 avril 2012. / Photo EPA
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Christian Manhart
Un Etat est-il obligé de protéger son patrimoine culturel ? Il est obligé dans le cadre de la convention du patrimoine mondial de l’Unesco pour tous les sites inscrits. Pour les autres Etats, il n’y a pas d’obligations légales vis à vis de la communauté internationale ou de l’Unesco . Cela dépend de la législation de chaque Etat. Si ces œuvres n’ont pas de statut de patrimoine mondial, l’Etat pourrait décider de les vendre, les donner ou de les échanger. L’Unesco n’a aucun mot à dire. Dans un cas grave, l’Unesco peut exercer une pression morale en rappelant l’importance de ce patrimoine mais cela n’a rien de légalement contraignant. Que se passe-t-il si un Etat ne fait cependant pas le nécessaire pour protéger son patrimoine ? En général, nous sommes avertis par des individus, souvent des conservateurs du site. Le centre du patrimoine mondial fait une évaluation puis le comité du patrimoine mondial se rassemble. Les 21 pays membres élus du comité décident d’envoyer une mission d’évaluation dans les cas graves. Cette mission se rend sur le site pour voir quel est le problème et comment le résoudre. Si le problème est réel, si c’est la faute du gouvernement, l’UNESCO menace le pays de rayer ses sites de la liste du patrimoine mondial. Deux fois des sites ont été rayés : le premier le parc naturel d'oryx à Oman et le site de la vallée de l'Elbe à Dresde en Allemagne. Parce que les Etats n’ont pas respecté les obligations de la convention, on saisit aussi les ministères.
Le petite théâtre de Marie-Antoinette au Château de Versailles, restauré grâce à la WMF. / Photo AFP Olivier Mattei
Quand les Etats ne peuvent plus assumer leur patrimoine, qui prend le relais ? Des fonds privés ? Aux États-Unis par exemple, la conservation du patrimoine est peu financée par l’Etat. Ce sont surtout des donateurs privés qui bénéficient d’une exemption d’impôts. Des fondations américaines comme la World Monuments Fund s’impliquent dans la restauration de monuments, de châteaux, d’églises… financée par l’argent de donateurs privés. Ils ont une part importante dans la préservation des monuments. Ils ont ainsi restauré le petit théâtre de Marie-Antoinette à Versailles. En Europe en général, ce sont les fonds privés moins importants que les fonds donnés par des gouvernements. Il est plus difficile d’obtenir de l’argent du privé que du public. Des gouvernements donnent même des fonds extra-budgétaires pour la préservation. C’est le cas du Japon, de l’Italie, de la Norvège, des États-Unis et de l’Arabie Saoudite. L'Italie donne des fonds extra-budgétaires alors que son budget alloué au secteur de la culture représente seulement de 0,21% de son budget ? Les fonds extra-budgétaires ne viennent pas du ministère de la culture mais du ministère des affaires étrangères qui ont un fond pour la culture.
Les bouddhas de Bamiyan détruits par les Talibans en 2001.
Qu’en est-il du patrimoine culturel dans un pays en proie à un conflit ? Les bouddhas de Bamiyan en Afghanistan par exemple ont été dynamités par les Talibans en 2001. L’Afghanistan avait ratifié la convention du patrimoine mondial dans les années 70 sans inscrire de sites sur la liste. Donc, il n’y avait aucune protection. L’Unesco a fait une pression morale en écrivant au Mollah Omar. L’Unesco a fait pression sur les religieux en envoyant une mission de treize dignitaires pour discuter avec le Mollah pendant 4 heures sans résultat. Ni L’Unesco, ni l’ONU n’a pu éviter la destruction. Dans ces cas-là, l’Unesco n’a pas une force militaire pour intervenir. Pourquoi est-ce si important de préserver le patrimoine mondial culturel ? C’est vrai que l’Unesco peut faire relativement peu. On ne peut se consacrer qu’à des patrimoines significatifs. Mais nous ne voyons pas le patrimoine dans un but en lui-même. Le résultat n’est pas uniquement le musée, c’est une composante de développement. On donne du travail aux nationaux lors de chantiers de rénovations. On assure la préservation de l’identité culturelle d’un peuple surtout dans des pays en situation de conflit. Les projets culturels peuvent aussi être un vecteur de réconciliation nationale et internationale. Ils sont capables de coopérer autour de projets culturels.
- un bien dont on hérite d’ascendants - est considéré comme un bien propre, une richesse (son intelligence) - est considéré comme l’héritage commun d’un groupe (patrimoine culturel d’un pays) - est aussi l’ensemble des éléments aliénables et transmissibles qui sont la propriété, à un moment donné, d'une personne, d'une famille, d'une entreprise ou d'une collectivité publique.
Pour l’Unesco un patrimoine culturel doit répondre à certains critères tels :
- apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue. - être directement ou matériellement associé à des événements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle.
Comment faire protéger des sites par l’Unesco ?
Le processus est long et lourd pour des petits pays. Ils doivent soumettre une liste indicative de sites qu’ils souhaiteraient inscrire sur la liste du patrimoine mondial. Bien sûr, ils doivent avoir ratifié la Convention de 1972 comme les 187 autres pays. Chaque pays peut soumettre deux sites à classer par an : un site naturel et un site culturel. Les Etats doivent envoyer tout un dossier qui montre que ces sites répondent aux critères du patrimoine mondial. Le centre du patrimoine mondial vérifie que le dossier est recevable. Puis l’Unesco envoie une mission sur place. Les dossier avec les recommandations de la mission est soumis au comité réuni une fois par an fin juin. Les 21 Etats votent si ce site doit être inscrit, refusé ou soumis à nouveau. Les Etats qui ont le moins de sites inscrits sont invités à inscrire des sites. L’Afrique est le continent où il y a le moins de sites reconnus par l’Unesco.