"Pauvrophobie": la discrimination anti-pauvres a un nom

Après xénophobie, homophobie, islamophobie voici "pauvrophobie"... Consultés depuis plusieurs mois via les réseaux sociaux, les internautes ont choisi ce néologisme pour désigner la discrimination visant les plus pauvres. En cette Journée mondiale de refus de la misère, la naissance de ce nouveau mot prend tout son sens.
Image
pauvrophobie
©Thinkstock
Partager 4 minutes de lecture

La "pauvrophobie", ou discrimination pour précarité sociale, va-t-elle s'imposer dans le vocabulaire courant? C'est l'objectif de l'association ATD Quart Monde, dont la mobilisation a contribué à la promulgation, en juin, d'une loi reconnaissant cette forme de discrimination.

Annoncé lundi à l'occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, ce mot résulte d'une consultation sur les réseaux sociaux lancée il y a quelques mois par l'association, avec le hashtag #UnNomPourDireNon.

C

Les internautes ont choisi "pauvrophobie" plutôt que cinq autres propositions, précise l'organisation dans un communiqué: classisme, paupérophobie, pauvrisme, ptochophobie et misérophobie.
 

"Ce néologisme permettra de rendre visible la discrimination pour précarité sociale de même que les mots racisme, homophobie et xénophobie qualifient des discriminations reconnues et inacceptables", c'est en tout cas le souhait affiché par l'ONG. L'objectif final est de le faire entrer dans le dictionnaire.

Discrimination à l'emploi ou l'accès aux soins

ATD Quart monde s'est battue pendant des années pour l'inscription de cette discrimination dans le code pénal. Elle avait réalisé des "testings" montrant que les très pauvres pouvaient être discriminés dans l'accès à l'emploi ou aux soins de santé.

Elle a obtenu gain de cause avec la loi du 24 juin 2016 "visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale". Cette loi modifie le code pénal et le code du travail pour reconnaître la discrimination du fait "de la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de l'auteur".

La Journée Mondiale du Refus de la Misère est célébrée chaque 17 Octobre. Née de l’initiative du père Joseph Wresinski et de celle de plusieurs milliers de personnes de tous milieux qui se sont rassemblées sur le Parvis des Droits de l’Homme à Paris en 1987, cette journée est officiellement reconnue par les Nations Unies depuis 1992.

@zorroclichés

A l'occasion de cette journée, ATD Quart Monde lance un nouvel outil pour combattre en direct sur Twitter les idées reçues sur les pauvres et la pauvreté.

“Les pauvres ne paient pas d’impôts”; “S’ils sont à la rue, c’est qu’ils l’ont choisi”.
"Les pauvres sont régulièrement traités “d’assistés” et, en période de campagne présidentielle, nous nous attendons malheureusement à ce que cette stigmatisation continue à polluer les débats", peut-on lire sur le site de l'organisation qui lance donc @ZorroCliches, sorte de "factchecking" permettant de répondre en direct par de l’information factuelle.



Selon les derniers chiffres de l'Insee, 8,8 millions de personnes, soit 14,1% de la population française, vivaient sous le seul de pauvreté monétaire de 1.008 euros par mois en 2014.

Pauvreté et misère, selon Charles Peguy.

« Le premier devoir social ou, pour parler exactement, le devoir social préalable, préliminaire, celui qui est avant le premier, le devoir indispensable, avant l'accomplissement duquel nous n'avons même pas à discuter, à examiner quelle serait la cité meilleure ou la moins mauvaise, car avant l'accomplissement de ce devoir il n'y a même pas de cité, Vanté premier devoir social est d'arracher les miséreux à la misère... Comme il y a entre les situations où gisent les miséreux et la situation où les pauvres vivent une différence de qualité, il y a ainsi entre les devoirs qui intéressent les miséreux et les devoirs qui intéressent les pauvres une différence de qualité ; arracher les miséreux à la misère est un devoir antérieur, antécédent ; aussi longtemps que les miséreux ne sont pas retirés de la misère, les problèmes de la cité ne se posent pas. Au contraire, étant donné que tous les miséreux, sans aucune exception, seraient sauvés de la misère, étant donné que toutes les vies économiques, sans aucune exception seraient assurées dans la cité, la répartition des biens entre les riches différents et les pauvres, la suppression des inégalités économiques, l'équitable répartition de la richesse entre tous les citoyens n'est plus qu'un des nombreux problèmes qui se posent dans la cité instituée enfin... Sauver tous les miséreux de la misère est un problème impérieux, antérieur à l'institution véritable de la cité ».


Charles Péguy, De Jean Coste, Cahier de la Quinzaine, 4 novembre 1902. Coédition Actes Sud - Labor, - L'Aire, coll. Babel, 1993