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Le chirurgien vivait près de Jonzac, en Normandie. C’est le témoignage d’une fille de cinq ans qui l’a précipité derrière les barreaux en 2017. Cette fillette, voisine du sexagénaire, aurait été attouchée sexuellement dans le jardin de ses parents, à travers le grillage.
Après son témoignage, les nièces du chirurgien se sont aussi manifestées. Condamné une première fois en 2005, l’homme attend d’être jugé – une première audience est prévue début 2020. Aujourd’hui, les enquêteurs cherchent à déterminer si les agressions sexuelles consignées dans le carnet, retrouvé chez lui, sont réelles, ou « fantasmées », comme l’invoque l’avocat du chirurgien.
Cette affaire replace, temporairement, la pédophilie, dans les colonnes des journaux. Un sujet qui ne fait l’objet d’aucune campagne de prévention au niveau national en France, et dans d’autres pays. Pourquoi ? Nous avons posé la question à Roland Coutanceau, psychiatre, et membre du Cifas, le congrès international francophone sur l’agression sexuelle. Il a coordonné « Sexualités et transgressions » aux éditions Dunod.
TV5MONDE : Quelle est la définition du terme « pédophilie » ?
Roland Coutanceau : L’attrait pédophilique se caractérise par une excitation sexuelle, au stade de fantasme, pour un corps prépubère, garçon ou fille. Disons pour une personne âgée de moins de 13 ans environ.
Quand l’attirance sexuelle est dirigée vers un adolescent, on parle d’« adolescentophilie ». Jeffrey Epstein, par exemple, me semble davantage adolescentophile que pédophile.
Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’on a un fantasme que l’on passe à l’acte. La pédophilie est un monde. Elle peut être exclusive, préférentielle (préférer les enfants aux adultes), ou secondaire (être attiré en priorité par des adultes, et ensuite par des personnes prépubères).
La pédophilie est classée dans la liste des désordres mentaux, de l’Organisation Mondiale de la Santé par exemple. La dénomination clinique de la pédophilie est « trouble de la préférence sexuelle ». On ne parle pas officiellement de maladie.
Existe-t-il des hommes, mais aussi des femmes, pédophiles ?
Oui, les deux existent mais je n’ai jamais rencontré, dans mes consultations, de femmes exclusivement pédophiles (uniquement attirées par des enfants, de sexe féminin ou masculin).
Il existe davantage d’hommes pédophiles. Il n’y a pas d’explication définitive, mais voici quelques éléments : la sexualité masculine est plus segmentaire, plus fétichiste et plus voyeuriste que celle des femmes, en général.
En France, aucun organisme public ne soutient des actions de prévention de la pédophilie au niveau national.
Roland Coutanceau, psychiatre
Quels sont les moyens mis en œuvre aujourd’hui, en France, en Belgique ou encore au Canada en termes de prévention de la pédophilie ?
En France, aucun organisme public ne soutient des actions de prévention de la pédophilie au niveau national. Le seul politique qui ait eu le courage d’en parler, c’est Jean-Louis Borloo. Nous participions, lui et moi, à une émission il y a une dizaine d’années. Il s’est tourné vers la caméra et a dit : « Si vous êtes attiré par des enfants, consultez ».
En Belgique et au Canada, certaines initiatives existent au niveau local, ou provincial comme au Québec. A Percé, une prison pour délinquants sexuels, qui accueille notamment des pédophiles, a été créée en 2010. Les pédophiles y reçoivent des traitements spécialisés. La thérapie dure six mois.
En Belgique, beaucoup de travail est réalisé à l’intérieur des prisons. Dans ce pays, le courant criminologique est très fort (étude des causes, du développement d’un crime).
(Ndlr : En Flandre, une ligne d’aide pour les pédophiles a été mise en place en 2017 : « Stop it now ! », Arrêtez maintenant).
Existe-t-il d’autres initiatives, développées par des associations par exemple ?
En 1991, j’ai créé la première consultation en région parisienne pour que les personnes présentant ce trouble puissent parler.
D’autres consultations existent dans les grandes villes de France. Il faut se renseigner auprès du FFCRIAVS (Fédération française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles).
Nous essayons de proposer ce qui existe en Allemagne : une information grand public pour que les potentiels pédophiles puissent consulter. Outre-Rhin, un spot de prévention à destination des pédophiles est diffusé à heure de grande écoute. On y voit un enfant assis sur les genoux de sa mère dans le métro. Un homme lui sourit. Puis une voix off interroge : "Vous aimez les enfants plus que ce qui ne faudrait ? Nous pouvons vous aider".
Nous sommes en train de créer, par nos propres moyens, le premier numéro national d’appel pour les pédophiles potentiels. J’espère qu’il sera opérationnel à la fin de l’année, ou début 2020 au plus tard.
Au niveau national, je pense que l’État devrait, prioritairement, mettre en place une ligne téléphonique à destination des pédophiles, et former tous les personnels des institutions qui s’occupent des enfants, de manière à les rendre plus « sensibles » au comportement d’un pédophile potentiel, afin de mieux pouvoir appréhender certaines situations.
D’après vous, pourquoi n’existe-t-il pas de campagnes nationales de prévention contre la pédophilie, dans les pays francophones ?
D’abord, ce sujet est tabou. Il n’est pas facile de parler des auteurs. Car ils suscitent la méfiance et le dégoût du grand public. Le public pense qu’il faut les punir, une fois qu’ils sont passés à l’acte. En France, l’État punit davantage qu’il ne prévient.
La France est un pays hypocrite, pas pragmatique, et un peu en retard dans ce domaine.
Roland Coutanceau, psychiatre
C’est donc compliqué pour un politique de se lancer dans une campagne de prévention (ndlr, avec un spot s’adressant directement aux pédophiles potentiels par exemple). L’État laisse donc le soin aux équipes spécialisées, comme la mienne, de développer des programmes de prévention.
La France est un pays hypocrite, pas pragmatique, et un peu en retard dans ce domaine. On a commencé à parler de l’inceste vers 1988 en France, et de la pédophilie vers 1995 avec l’affaire Marc Dutroux.
Peut-on « soigner » la pédophilie ?
Oui, ce n’est pas une fatalité. Nous avons obtenu des résultats. Mon équipe a réussi à « réorienter » des personnes pédophiles vers une sexualité avec des personnes âgées de plus de 18 ans. Nous avons aussi connu des échecs.