Peine de mort : un recul en trompe l’œil

Amnesty International livre aujourd'hui son rapport annuel sur la peine capitale dans le monde. S'il offre aux abolitionnistes quelques raisons de se réjouir (baisse sensible apparente du nombre d'exécutions), il en donne d'autres de s'alarmer : l'inflation des condamnations à mort .

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Peine de mort
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C'est un succès en trompe l’œil, comptable plus que de fond que dévoile le rapport annuel d'Amnesty international sur la peine de mort rendu public ce 1er avril. Si l'on s'en tient aux chiffres de l'organisation, 607 exécutions « au moins » ont eu lieu dans le monde. Une baisse de presque 22 % par rapport à 2013. Mais le « au moins » laisse beaucoup de place.

Rapport Amnesty

Faute de vérification possible, le bilan ne prend pas en compte les exécutions en Chine, couvertes par le secret d’État, et dont on sait seulement qu'elle sont « plusieurs milliers ». D'autres statistiques demeurent, selon Amnesty elle-même, très certainement sous-estimées, telles celles de l'Iran qui ne communique pas tout et dont les exécutions non-déclarées sont estimées à 454.

Il ne recense, en outre, que les exécutions judiciaires mises en œuvre par des autorités reconnues, et permettant l'observation. L'explosion du Proche-Orient et le phénomène « djihadiste » modifient cette approche et certaines terrae sont devenues incognitae, comme la Syrie. Les mises à mort, même hors combat et « à froid », perpétrées par milliers par des milices comme Boko Haram, voire le prétendu « État Islamique » ne sont pas comptabilisées.

L'avenir proche ne laisse guère entrevoir d'embellie et les quartiers de condamnés à mort sont plus peuplés que jamais: 2 466 personnes ont été condamnées à la peine capitale en 2014, soit une hausse de 28 % par rapport à 2013. « Cette progression, précise le rapport d'Amnesty, s'explique en grande partie par l'envolée du nombre de peines de mort en Égypte et au Nigeria, où les tribunaux ont prononcé des condamnations en série à l'égard de dizaines de personnes dans certaines affaires ».

Au nom de la sécurité...

Le rapport pointe une tendance nouvelle : un nombre alarmant de pays ayant appliqué la peine de mort en 2014 l'a fait en réaction à des menaces réelles ou perçues pesant sur la sécurité de l'État et la sécurité publique, du fait du terrorisme, de la criminalité ou de l'instabilité de la situation intérieure. 

Le Pakistan, par exemple, a levé le moratoire sur les exécutions de civils en vigueur depuis six ans, à la suite de la meurtrière attaque lancée contre une école à Peshawar. Le gouvernement s'est engagé à exécuter des centaines de condamnés à mort ayant été déclarés coupables d'infractions liées au terrorisme. 7 ont été mis à mort en décembre, 54 depuis le début de l'année. « On en est à 61, s'alarme Anne Denis, responsable du dossier « peine de mort » à Amnesty International France. Il y a dans les prisons du Pakistan 8000 condamnés à mort, dont 500 ont épuisé toutes les possibilités d'appel. On peut tout craindre ». La Chine a également eu recours à l'application de la peine de mort, dans le cadre de la campagne visant à « frapper fort », décrite par les autorités comme une réponse au terrorisme et à la criminalité violente dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang.

Bon nombre des États où la peine de mort est toujours en vigueur continuaient de l'appliquer en violation du droit et des normes internationaux. « En 2014, le recours à la peine mort présentait toujours des caractéristiques préoccupantes : procès iniques, « aveux » extorqués sous la torture ou par d'autres formes de mauvais traitements, condamnations à mort de mineurs ou de personnes présentant un handicap mental ou intellectuel, et pour des crimes autres que celui d'« homicide volontaire ».

En 2014, les méthodes d’exécution utilisées ont été notamment la décapitation, la pendaison, l’injection létale et le peloton d’exécution. « Des exécutions publiques ont eu lieu en Iran et en Arabie saoudite, remarque Amnesty. Des personnes ont été condamnées à la peine capitale pour toute une série de crimes n'ayant pas entraîné la mort, tels que des vols avec violence, des infractions à la législation sur les stupéfiants et des crimes économiques, mais aussi pour des actes qui ne devraient même pas être considérés comme des crimes, comme l’« adultère », le « blasphème » ou la « sorcellerie ». De nombreux pays ont utilisé le prétexte de « crimes » politiques, définis en termes vagues, pour exécuter des dissidents réels ou supposés ».

Seule lueur d'un tableau sombre: le nombre de pays pratiquant des exécutions, lui, reste stable : 22, comme en 2013 mais la tendance à la baisse se confirme sur le long terme : deux fois moins qu'il y a vingt ans (41). Des États comme le Surinam ou Madagascar sont devenus abolitionnistes ou ou en passe de l'être. Une raison d'espérer pour le secrétaire général d'Amnesty Salil Shetty : « Les chiffres parlent d’eux-mêmes, estime t-il. La peine de mort est peu à peu reléguée au passé. Les pays qui continuent de procéder à des exécutions doivent se regarder franchement dans le miroir et se demander s’ils veulent continuer de bafouer le droit à la vie ou se joindre à la vaste majorité d’États qui ont renoncé à ce châtiment des plus cruels et inhumains ».

Télécharger le rapport complet d'Amnesty international